Il y a quelque chose qui
manque qui manque tant
dans nos vies
Une fenêtre qui s’ouvrirait
un infini qui sourirait
un coin du coeur
qui s’enfoncerait
dans Ta grande vague
qui coulerait là
comme à jamais
Il y a quelque chose qui manque
qui manque tant
dans nos vies
Un quelque chose qui est pour toujours
qui comble chaque heure
comme une musique connue
comme une douceur perdue
et retrouvée dans cet instant
Il y a quelque chose qui crie qui crie tant dans nos vies
Quelque chose qui n’est pas là
et qui troue nos vies
d’une peine sans nom
d’un appel si vieux
qu’il est comme toutes les peines
du monde
d’un appel si chaud
qu’il est comme un amour
sans fond
pour toutes ces vies
ces vies perdues
Ah ! trouvera-t-on
ce quelque chose qui
manque qui manque tant
dans une petite seconde
comme dans les âges perdus ?
(Satprem) (1923-2007)
Recueil: Un feu au coeur du vent Trésor de la poésie indienne Des Védas au XXIème siècle
Traduction:
Editions: Gallimard
Le vent est tombé, la poussière embaume, les fleurs sont déjà passées,
Il se fait tard et je suis lassée de me peigner.
Le monde est là, il n’y est pas, tout est fini.
Je voudrais parler, mais les larmes coulent en premier.
J’entends dire que sur les Deux-Rivières, le printemps reste beau,
Alors me vient le projet d’aller y canoter.
Je crains pourtant que sur les Deux-Rivières une sauterelle, ce frêle esquif,
Ne puisse emporter autant de chagrin.
***
(Li Qing Zhào) (1084 — après 1149)
Recueil: Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes Poèmes Song illustrés par Dai Dunbang
Traduction: du Chinois par Bertrand Goujard
Editions: De la Cerise
chaque jour la ville tremble par deux fois
quand la femme passe
rapide et silencieuse,
un livre à la main,
ses cheveux lui couvrant la moitié du visage,
dans la grande rue
qui partage en deux la ville,
elle n’est pas une sainte
à qui l’huile coule du nez
ni une princesse heureuse
dans un musée de cire
ni une chanteuse prometteuse
sur le plateau de télévision,
les voitures s’arrêtent
les étudiants, les ouvriers et le fleuve s’arrêtent
au moment où elle passe rapide
son visage est une moitié de planète
à la lumière de la lune,
on dit qu’elle est étudiante en première année
et ouvrière précaire
dans la vieille usine de verre.
(Bandar Abd al-Hamid)
Recueil: Poésie Syrienne contemporaine
Traduction:de l’Arabe par Saleh Diab
Editions: Le Castor Astral
Je suis allongé chez une étrange nana.
Elle est brûlée par le sumac et le soleil
et elle est malheureuse
Elle va et vient,
lointains mouvements de vers solennels.
Elle ouvre et ferme les choses.
Elle fait couler de l’eau,
elle arrête de faire couler de l’eau.
Tous les sons qu’elle émet sont éloignés.
Ils pourraient être dans une ville différente.
C’est le crépuscule et les gens regardent
par les fenêtres de cette ville.
Leurs yeux sont emplis des sons
de ce qu’elle fait.
***
I Lie Here in a Strange Girl’s Apartment
For Marcia
I lie here in a strange girl’s apartment.
She has poison oak, a bad sunburn
and is unhappy.
She moves about the place
like distant gestures of solemn glass.
She opens and closes things.
She turns the water on,
and she turns the water off.
All the sounds she makes are faraway.
They could be in a different city.
It is dusk and people are staring
out the windows of that city.
Their eyes are filled with the sounds
of what she is doing.
(Richard Brautigan)
Recueil: C’est tout ce que j’ai à déclarer Oeuvres poétiques complètes
Traduction: Thierry Beauchamp, Frédéric Lasaygues et Nicolas Richard
Editions: Le Castor Astral
Le ruisseau s’éloigne en bouillonnant, le vent crie sa violence à travers les pins ;
Les rats gris s’enfuient à mon approche et vont se cacher sous les vieilles tuiles.
Aujourd’hui sait-on quel prince éleva jadis ce palais ?
Sait-on qui nous légua ces ruines, au pied d’une montagne abrupte ?
Sous forme de flammes bleuâtres, se montrent des esprits dans les profondeurs sombre
Et, sur la route défoncée, on entend des bruits qui ressemblent à des gémissement
Ces dix mille voix de la nature ont un ensemble plein d’accords,
Et le spectacle de l’automne s’harmonise aussi avec ce triste tableau.
Le prince avait de belles jeunes filles ; elles ne sont plus que de la terre jaune,
Inerte comme l’éclat de leur teint, qui déjà n’était que mensonge ;
Il avait des satellites pour accompagner son char doré,
Et, de tant de splendeurs passées, ce cheval de pierre est tout ce qui reste.
La tristesse m’étreint ; je m’assieds sur l’herbe épaisse,
Je commence des chants où ma douleur s’épanche ;
Les larmes me gagnent et coulent abondamment.
Hélas ! Dans ce chemin de la vie, que chacun parcourt à son tour,
Qui donc pourrait marcher longtemps !
(Du Fu)
(712-770)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Le cygne déploie ses ailes agiles et laisse le vent le porter au loin.
Un air vif le rappelle au souci et il tourne la tête, incertain.
Un cheval livre ses pas lourds à la steppe désertée — les siens sont partis.
Son coeur s’enlise dans des pensées interdites comme ses sabots dans la glaise meuble.
Le destin s’abat sans pitié sur deux dragons que leurs ailes opposent.
Il reste pourtant les chants qui savent révéler les amours secrets.
À l’ami qui s’en va, je joins les mots du ruisseau où coulent mes larmes.
L’écho des tambours exalte les vertus mâles et déchire les coeurs des compagnons vaincus.
La solitude des vers alimente le brasier du souvenir
Et plombe mon âme mon âme brisée dans l’horizon des peines.
J’aimerais pouvoir entonner encore les airs de l’enfance,
Ton pays est loin désormais — il t’ignore jusqu’au trépas.
Le mal me dévisage et il pleut sur les joues des filets d’amertume.
Les cygnes volent leur vie entière deux à deux
Mais pour nous, hommes, qui ne pouvons nous envoler ensemble
Il n’y a que routes mornes aux destins séparés.
(Su Wu)
(140-60)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Pour Joséphine,
quelques nouvelles après tant d’années
Qu’espères-tu, qu’attends-tu, mon amie,
qui reviens en un si triste voyage
jusqu’ici où les bourrasques
font entendre au soleil leur voix très forte et endeuillée,
au parfum de jasmin et de terre éboulée ?
Me voici à cet âge que tu sais,
ni jeune ni vieux, j’attends, je regarde
ces vicissitudes comme suspendues ;
je ne sais plus ce que j’ai voulu, ce qu’on m’a imposé,
tu entres dans mes pensées et tu en sors intacte.
Pour le reste, ce qui doit être est encore,
le fleuve coule, la campagne change,
il grêle, il ne pleut plus, un chien aboie,
la lune apparaît, rien ne s’éveille
rien ne sort de ce long sommeil aventureux.
***
Notizie a Giuseppina dopo tanti anni
Che speri, che ti riprometti, amica,
se torni per cosi cupo viaggio
fin qua dove nel sole le burrasche
hanno una voce altissima abbrunata,
di gelsomino odorano e di frane ?
Mi trovo qui a questa età che sai,
né giovane né vecchio, attendo, guardo
questa vicissitudine sospesa;
non so più quel che volli o mi fu imposto,
entri nei miei pensieri e n’esci illesa.
Tutto l’altro che deve essere è ancora,
il fiume scorre, la campagna varia,
grandina, spiove, qualche cane latra,
esce la luna, niente si riscuote,
niente dal lungo sonno avventuroso.
(Mario Luzi)
Traduction de Moussia et Jean-Marie Barnaud
Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers
Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu
Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu Adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles
II
Non je ne me sens plus là
Moi-même
Je suis le quinze de la
Onzième
Le soleil filtre à travers
Les vitres
Ses rayons font sur mes vers
Les pitres
Et dansent sur le papier
J’écoute
Quelqu’un qui frappe du pied
La voûte
III
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaîne
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
Avec le clefs qu’il fait tinter
Que le geôlier aille et revienne
Dans la cellule d’à coté
On y fait couler la fontaine
IV
Que je m’ennuie entre ces murs tout nus
Et peint de couleurs pâles
Une mouche sur le papier à pas menus
Parcourt mes lignes inégales
Que deviendrai-je ô Dieu qui connais ma douleur
Toi qui me l’as donnée
Prends en pitié mes yeux sans larmes ma pâleur
Le bruit de ma chaise enchainée
Et tour ces pauvres coeurs battant dans la prison
L’Amour qui m’accompagne
Prends en pitié surtout ma débile raison
Et ce désespoir qui la gagne
V
Que lentement passent les heures
Comme passe un enterrement
Tu pleureras l’heure ou tu pleures
Qui passera trop vitement
Comme passent toutes les heures
VI
J’écoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu’un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison
Le jour s’en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison
(Guillaume Apollinaire)
Recueil: La Liberté en poésie
Traduction:
Editions: Folio junior
Insurgés, révoltés, dissidents, rebelles,
Tienanmen, Mandela, Luther King et bien d’autres.
Hommes, femmes, de droit, de liberté
D’humanité et d’amitié
D’hier ou de là-bas
Et j’espère encore ici et demain.
Votre sang n’a pas coulé en vain
Il coule toujours dans nos veines.
(Zohra Karim)
Recueil: La révolte des poètes
Traduction:
Editions: Livre de poche Jeunesse