Je veux faire un poème
Rien qu’avec du silence
Que je ponctuerai
De points exclamatifs
Un silence, un soupir
Silence entre guillemets
Silence grave aigu
Ou interrogatif
Silence triomphant
Et silence coupable.
J’y mêlerai des larmes
Je le déchirerai
Par des cris de douleur
Je l’amplifierai
Par un peu de vacarme
Et beaucoup de malheur
Suivi de bruits de pas
Et ainsi que le jour
Frappant un clair de lune
La mort en s’y glissant
Ne s’y entendra pas.
(Antoine Tudal)
Recueil: Souspente
Traduction:
Editions: Le bruit du Temps
Par-delà mes ruines
toujours fraichissantes
écho non coupable
dans l’obscure arène
où je me débats
sans nulle manoeuvre
soudain apparue
égarée peut-être
énergie lointaine
je ne sais pour qui
je ne sais pas où
Echappée au temps
éclat non complice
dans ses lents replis
Misère et vaillance
mon sol dérobé
élue sans contrainte
égalant mon voeu
elle est la secrète
et brille au-dessus
du chant qui implore
du chant qui accuse
par-dela ma voix
A demain mes morts
continuement fraîches
comme il fut hier
comme il est aujourd’hui
la vie devenant
A travers mon cœur
et autres emblèmes
où il s’accomplit
l’Esprit s’est levé
d’entre ses combats
J’affirme sans preuve
Je tiens le contraire
Il n’importe pas
Il n’est pas de père
Aucun parchemin
ne m’a convaincu
Je crois en la grâce
Je parie pour elle
C’est la respirer
que d’en être épris
J’ai tant fait d’appels
sana avoir de signes
tant de vains efforts
A force de rage
et n’acceptant rien
que tout assumer
l’âme sourirait ?
Faveur inouïe
car la récompense
n’est pas méritée
Non plus le malheur
M’élevé-je en elle
Je n’ai plus de poids
Je chante à la grâce
même s’il n’est rien
que par mon amour
Nous étions assis sous une horloge sans nuages
comme à la source du temps bref.
La jeune fille la plus proche parlait le sanscrit
et quelqu’un lui demanda un chemin qui n’existait pas.
Derrière nous un village
aux yeux agrandis par le loisir.
Nous froissions des caresses
longtemps retenues aux vitres de la pluie
et la rouille gagnait l’extrémité de nos doigts.
Enfants tardifs et désoeuvrés
dont les visages ne servaient à personne
nous laissions l’herbe monter autour de nous
comme un besoin coupable
et nous rêvions de disparaître
enfin voilés par ce caprice aux longs cils
exemptés de toute présence et de tout lieu.
C’était un jour incrusté d’oubli
comme une chapelle baroque
un jour qui n’avait pas la force de se lever
et de nous regarder pâlir.
Avez-vous passé le virus à maman?
Voilà, voilà, comment on s’y prend
La toute première fois on n’pense pas à mal
Aujourd’hui l’virus ça semble banal
On va à l’EHPAD faire des embrassades
À sa pauv’ maman que le dentier fout le camp
En plus d’être cardiaque elle s’paye un cancer
Heureusement pour elle qu’elle a un Alzheimer
Virus passé, pour commencer
T’as des tuyaux plein les trous d’nez
S’il prolifère, là c’est plus moche
T’as plus qu’à faire sonner les cloches
Pour passer l’année sans choper le virus
Voilà, voilà, il faut de l’astuce
Avant qu’il n’attaque faut changer ton masque
Puis te faire tester toutes les cavités
Fais bien le contraire de c’qu’y disent de faire
Car on sait maintenant qu’ils se gourent tout l’temps
Après l’confinement, si y’a moins d’macchabés
Après l’couvre-feu y’a trois fois plus d’bébés
Leur confinement, leur couvre-feu
C’est blanc-bonnet mais pas blanc-bleu
La faute aux jeunes, la faute aux vieux
Faut un coupable, c’est jamais eux
Chez l’grand vizir et ses marquis
T’as l’remonte-pente mais pas les skis
Chez l’jupiter quoiqu’il goupille
On a l’bordel mais pas les filles
À l’Elysée la famille Tuche
Ils nous ont pris pour des nunuches
Vérantanplan et l’Salomon
Ils nous ont pris pour des couillons
Non, ce n’est pas la lune, c’est un cadran lumineux
Qui brille, et suis-je coupable si je peux
Des faibles étoiles palper la laiteuse clarté ?
Que m’est odieuse la morgue de Batiouchkov :
Comme on lui demandait ici « quelle heure est-il ? »
Il répliqua d’un étrange « l’éternité ».
Si c’est un crime que l’aimer
L’on n’en doit justement blâmer
Que les beautés qui sont en elle,
La faute en est aux dieux
Qui la firent si belle :
Mais non pas à mes yeux.
Car elle rend par sa beauté
Les regards, et la liberté
Incomparables devant elle.
La faute en est aux dieux
Qui la firent si belle :
Mais non pas à mes yeux.
Je suis coupable seulement
D’avoir beaucoup de jugement
Ayant beaucoup d’amour pour elle.
La faute en est aux dieux
Qui la firent si belle :
Mais non pas à mes yeux.
Qu’on accuse donc leur pouvoir,
Je ne puis vivre sans la voir,
Ni la voir sans mourir pour elle.
La faute en est aux dieux
Qui la firent si belle :
Mais non pas à mes yeux.
Château de nuées ensorcelé dans lequel nous dérivons…
Qui sait si nous n’avons pas déjà traversé ainsi
de nombreux cieux les yeux vitreux ?
Nous, bannis dans le temps
et expulsés de l’espace,
nous, aéronautes de la nuit sans fond.
Qui sait si nous n’avons pas déjà volé autour de Dieu
et, parce que nous tirions nos flèches d’écume sans le voir
en continuant de projeter notre semence
pour nous perpétuer en des lignées humaines toujours
plus obscures,
maintenant ne dérivons coupables ?
Qui sait si, depuis longtemps déjà, lentement nous ne mourons ?
Le bal de nuages avec nous aspire à s’élever toujours plus haut.
L’air raréfié aujourd’hui engourdit déjà nos mains,
et quand la voix se brisera et que notre souffle s’arrêtera… ?
Le sortilège se maintient-il dans les derniers instants ?
***
Menschenlos
Verwunschnes Wolkenschloß, in dem wir treiben…
Wer weiß, ob wir nicht schon durch viele Himmel
so ziehen mit verglasten Augen?
Wir, in die Zeit verbannt
und aus dem Raum gestoßen,
wir, Flieger durch die Nacht und Bodenlose.
Wer weiß, ob wir nicht schon um Gott geflogen,
weil wir pfeilschnell schäumten, ohne ihn zu sehen
und unsre Samen weiterschleuderten,
um in noch dunkleren Geschlechtern fortzuleben,
jetzt schuldhaft treiben?
Wer weiß, ob wir nicht lange, lang schon sterben?
Der Wolkenball mit uns strebt immer höyer.
Die dünne Luft lähmt heute schon die Hände.
Und wenn die Stimme bricht und unser Atem steht?
Bleibt die Verwunschenheit für letzte Augenblicke?
(Ingerborg Bachmann)
Recueil: Toute personne qui tombe a des ailes
Traduction: Françoise Rétif
Editions: Gallimard
Encore un matin
Un matin pour rien
Une argile au creux de mes mains
Encore un matin
Sans raison ni fin
Si rien ne trace son chemin
Matin pour donner ou bien
matin pour prendre
Pour oublier ou pour apprendre
Matin pour aimer, maudire ou mépriser
Laisser tomber ou résister
Encore un matin
Qui cherche et qui doute
Matin perdu cherche une route
Encore un matin
Du pire ou du mieux
A éteindre ou mettre le feu
Un matin, ça ne sert à rien
Un matin
sans un coup de main
Ce matin
C’est le mien, c’est le tien
Un matin de rien
Pour en faire
Un rêve plus loin
Encore un matin
Ou juge ou coupable
Ou bien victime ou bien coupable
Encore un matin, ami, ennemi
Entre la raison et l’envie
Matin pour agir ou attendre la chance
Ou bousculer les évidences
Matin innocence, matin intelligence
C’est toi qui décide du sens
Le virus à maman (Pierre Perret)
Posted by arbrealettres sur 11 janvier 2021
Le virus à maman
Avez-vous passé le virus à maman?
Voilà, voilà, comment on s’y prend
La toute première fois on n’pense pas à mal
Aujourd’hui l’virus ça semble banal
On va à l’EHPAD faire des embrassades
À sa pauv’ maman que le dentier fout le camp
En plus d’être cardiaque elle s’paye un cancer
Heureusement pour elle qu’elle a un Alzheimer
Virus passé, pour commencer
T’as des tuyaux plein les trous d’nez
S’il prolifère, là c’est plus moche
T’as plus qu’à faire sonner les cloches
Pour passer l’année sans choper le virus
Voilà, voilà, il faut de l’astuce
Avant qu’il n’attaque faut changer ton masque
Puis te faire tester toutes les cavités
Fais bien le contraire de c’qu’y disent de faire
Car on sait maintenant qu’ils se gourent tout l’temps
Après l’confinement, si y’a moins d’macchabés
Après l’couvre-feu y’a trois fois plus d’bébés
Leur confinement, leur couvre-feu
C’est blanc-bonnet mais pas blanc-bleu
La faute aux jeunes, la faute aux vieux
Faut un coupable, c’est jamais eux
Chez l’grand vizir et ses marquis
T’as l’remonte-pente mais pas les skis
Chez l’jupiter quoiqu’il goupille
On a l’bordel mais pas les filles
À l’Elysée la famille Tuche
Ils nous ont pris pour des nunuches
Vérantanplan et l’Salomon
Ils nous ont pris pour des couillons
(Pierre Perret)
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Posted in poésie | Tagué: (Pierre Perret), Alzheimer, année, astuce, attaquer, aujourd'hui, banal, bébé, blanc, bleu, bonner, bordel, cancer, cardiaque, cavité, changer, choper, cloche, commencer, comment, confinement, contraire, couillon, coupable, couvre-feu, dentier, dire, EHPAD, Elysée, embrassade, faute, fille, goupiller, heureusement, jeune, Jupiter, macchabée, mal, maman, marquis, masque, moche, nez, nunuche, passer, pauvre, penser, premier, proliférer, remonte-pente, se gourer, ski, sonner, tester, trou, tuyau, vieux, virus, vizir, voilà | 2 Comments »