Au printemps le fleuve déborde, s’unissant à la mer,
De l’océan, la lune monte avec la marée;
Scintillante, suivant les flots sur dix mille lis,
La lune glisse omniprésente le long du fleuve au printemps.
Le courant serpente entre les prairies parfumées,
Les arbres fleuris deviennent neigeux sous les rayons argentés;
Dans l’air qui semble condensé, se meut le givre
Qui voile les rives sablonneuses, à peine distinctes.
Ciel et fleuve, sans l ‘ombre d ‘une poussière, forment un camaïeu pur,
Au-dessus duquel brille une lune solitaire dans le firmament infini;
Qui fut le premier à contempler la lune au bord du fleuve?
Et quand pour la première fois, la lune a-t-elle éclairé la nuit?
La vie se perpétue, génération après génération,
Fleuve et lune paraissent immuables, année après année.
Innombrables sont les hommes qui s’en sont allés sous cette lune,
Seul demeure le grand Yangtsé charriant ses eaux précipitées.
Autant me semble, éloigné ce flocon de nuage qui va s’effilochant,
Autant est triste l’homme sur la rive aux érables verts;
Cette nuit-dans quelle maison, pense-t-on au voyageur sur l ‘eau
Sous cette lune qui s’attriste d’éclairer en solitaire le pavillon vide?
Elle s’y attarde, comme accrochée par dessus son toit,
Et pénètre le boudoir habité par une âme esseulée.
Elle se présente, insistante, à la fenêtre au rideau tiré,
Indélébile sur la planche où tomberont les coups du battoir.
A cette heure, à défaut de nouvelle, nous regardons la même lune,
Mais je voudrais être un de ces rayons qui te caresse…
Que l ‘oie sauvage porte mon message aussi loin que la lune!
Que les ondes nées des ébats des poissons composent mon courrier!
La nuit précédente, un rêve, où les pétales tombaient sur l’étang;
La mi-printemps déjà passée, et toi, malheureuse, tu ne me reviens pas…
Avec les eaux du fleuve, le printemps touche presque à sa fin,
A l’ouest, près de l ‘étang, la lune est sur son déclin;
Elle va bientôt se coucher au fond de la mer brumeuse,
Mais longue est la route, avant que les fleuves, Xiao et Xiang se rejoignent:
Combien sont-ils, ceux qui rentrent au clair de lune, cette nuit-là?
A la lune déclinée, les arbres du fleuve soupirent, mélancoliques.
Quand un facteur s´envole
S´envole s´envole
C´est qu´il est trop léger
Alors pour voyager
Au-dessus des platanes
Il plane il plane
Au-dessus des maisons
Il chante une chanson
Les oiseaux à la ronde
Lui font bonjour
Autant d´oiseaux au monde
Autant de lettres d´amour
Que le facteur apporte
Et glisse sous les portes
C´est le courrier du cœur
Le courrier du bonheur
C´est le courrier du cœur
Le courrier du bonheur
Joie sans pareille
Pour le facteur
Comme il fait bleu qu´il fait bon dans son cœur
Il s´émerveille
Ô liberté
Joli soleil
Amour clarté!
2. Quand un facteur s´envole
S´envole s´envole
Il voit le monde petit
Les gens comme des fourmis
Le clocher du village
Bien sage bien sage
L´école et la mairie
Et la gendarmerie
Sa fiancée toute rose
Dans un jardin
Comme une fleur éclose
Au milieu du chemin
Alors vite il se repose
Et cueille cette rose
Qu´il emporte avec lui
Seul dans son paradis
Qu´il emporte avec lui
Seul dans son paradis
Et c´est ainsi
Ainsi que finit
La chanson folle
Du facteur qui s´envole
Un oiseau passe
Éclair de plumes
Dans le courrier du crépuscule
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur que tu viens d’un pays
Formé dans une poignée de main
Un pays simple comme bonjour
Où les nuits chantent
Pour conjurer la peur des lendemains
Dis-leur
Que nous sommes une bouchée
Répartie sur sept îles
Comme les sept couleurs de la semaine
Mais que jamais ne vient
Le dimanche de nous-mêmes
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur que les marées
Ouvrent la serrure de nos mémoires
Que parfois le passé souffle
Pour attiser nos flammes
Car un peuple qui oublie
Ne connaît plus la couleur des jours
Il va comme un aveugle dans la nuit du présent
Dis-leur que nous passons d’île en île
Sur le pont du soleil
Mais qu’il n’y aura jamais assez de lumière
Pour éclairer
Nos morts
Dis-leur que nos mots vont de créole en créole
Sur les épaules de la mer
Mais qu’il n’y aura jamais assez de sel
Pour brûler notre langue
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur qu’à force d’aimer les hommes
Nous avons appris à aimer l’arc-en-ciel
Et surtout dis-leur
Qu’il nous suffit d’avoir un pays à aimer
Qu’il nous suffit d’avoir des contes à raconter
Pour ne pas avoir peur de la nuit
Qu’il nous suffit d’avoir un chant d’oiseau
Pour ouvrir nos ailes d’hommes libres
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
C’est le printemps.
Au pays de Ts’in, prés d’un ruisseau mélodieux,
Lo Fo, dans le soleil, cueille des fleurs de mûrier.
Ses mains, comme des papillons,
se posent sur les branches vertes.
Elle vient de dire au cavalier qui la regarde :
« Les vers à soie ont faim, seigneur!
Il ne faut pas que les sabots de votre cheval
meurtrissent plus longtemps ce gazon. »
C’est l’été.
Le lac King-hou, qui a trois cents li de tour, est un immense nénuphar.
Une jeune fille rêve, assise à l’ombre d’un saule.
Près d’elle, un batelier regarde avec impatience si les promeneurs s’éloignent.
C’est l’automne.
Dans le crépuscule jaune,
le vent éparpille les claquements des battoirs
de ces laveuses accroupies au bord du torrent.
Une ronde de feuilles tourbillonnantes oblige une femme à faire un détour.
La tête basse, elle s’éloigne.
Je devine ses pensées.
« Quand pourrons-nous imposer la paix aux Barbares?
Quand reviendra-t-il, mon époux bien-aimé? »
C’est l’hiver.
Un courrier va partir pour la frontière.
Durant toute la nuit, on a cousu des vêtements chauds.
De jolis doigts ont manié bravement l’aiguille et les ciseaux glacés,
encore plus glacés, à l’aube.
Dans combien de jours ce courrier arrivera-t-il à Lin-tao!
Si tu m’attends, je reviendrai,
Mais attends-moi très fort.
Attends, quand la pluie jaune
Apporte la tristesse,
Attends quand la neige tournoie,
Attends quand triomphe l’été
Attends quand le passé s’oublie
Et qu’on n’ attend plus les autres.
Attends quand des pays lointains
Il ne viendra plus de courrier,
Attends, lorsque seront lassés
Ceux qui avec toi attendaient.
Si tu m’attends, je reviendrai.
Ne leur pardonne pas, à ceux
Qui vont trouver les mots pour dire
Qu’est venu le temps de l’oubli.
Et s’ils croient, mon fils et ma mère,
S’ils croient, que je ne suis plus,
Si les amis las de m’attendre
Viennent s’asseoir auprès du feu,
Et s’ils portent un toast funèbre
A la mémoire de mon âme…
Attends. Attends et avec eux
refuse de lever ton verre.
Si tu m’attends, je reviendrai
En dépit de toutes les morts.
Et qui ne m’a pas attendu
Peut bien dire : « C’est de la veine ».
Ceux qui ne m’ont pas attendu
D’où le comprendraient-ils, comment
En plein milieu du feu,
Ton attente
M’a sauvé.
Comment j’ai survécu, seuls toi et moi
Nous le saurons,
C’est bien simple, tu auras su m’attendre, comme personne.
Je suis un crabe ponctuel je suis un courrier sans
événement mon champ est vide pur balayé de la
moindre étoile j’ai voilé de velours la masse
bombée de l’oeil cet instrument ne détaillera plus
que ses poussières
(Jacques Roubaud)
Recueil: Je suis un crabe ponctuel
Editions: Gallimard
Les vieux aiment bien
les petits faits certains.
Le courrier arrivera
à quatre heures pile, pas environ,
les mots croisés seront
en haut à gauche de la
page vingt-trois.
Le poids d’un enfant,
les longueur et largeur d’une chaussure,
le montant exact d’une facture
et sa date de paiement,
l’endroit de tel événement,
pas sa raison, mais quand précisément.
Les vieux
n’aiment vraiment pas
aller au-delà
de ce qu’ils connaissent le mieux.
Ils ne veulent pas errer dans la purée, encore moins
passer l’avenir au peigne fin
trop loin de chez eux.
Non, les vieux n’aiment pas du tout
s’éloigner beaucoup
de petits faits certains comme ceux susdits,
le nom, la date, le lieu
et le nombre et l’amour et l’appétit…
Mais qu’y a-t-il avec les vieux ?
Tout le monde vieillit un jour ou deux.
***
OLD MEN ARE FOND
Old men are fond
of little certainties.
The mail will arrive
at exactly three-forty-five,
the crossword puzzle will be
in the upper lefthand corner of
page twenty-three.
The weight of a baby,
the length and breadth of a shoe,
the exact amount of a bill
and when it is due,
the place where it happened,
not why, but precisely when.
Old men
are not at all fond
of going beyond
familiar attachments…
They don’t want to roam in the gloam or to comb
the future with a fine-tooth comb
too far from home.
No, old men are not at all fond
of going much distance beyond
such little certainties as those mentioned above,
the name and the date and the place
and the number and hunger and love…
But what about old men?
Everybody gets to be old now and then.
(Tennessee Williams)
Recueil: Dans l’hiver des villes
Traduction: Jacques Demarcq
Editions: Seghers
Jardin natal, vers toi mon regard s’oriente;
interminable, interminable est le chemin!
Dites seulement que je suis dans la paix!
Avec mes deux manches, vieil homme que je suis,
je n’arrive pas à sécher mes larmes.
Tous deux à cheval, nous n’avons ni pinceau ni papier,
Le courrier, ça chemine.
Des cachettes du sac
la lettre hoche la tête:
J’ai le timbre fêlé
d’avoir tant voyagé!
Et la dame en liseuse
amoureusement songe:
Le désir qui m’anime
est celui qui le ronge.