Un tigre a mille courtisanes
dans les griffes mille langues
mille ventres de jardins
dans la nuque
Pavots des cheveux
dans le jour des mains croisées
dans la nuit blanche
des paumes ouvertes
Trembler de tout son corps
Les aubes de neiges sans poitrine
point d’amour point de cheminée
point d’interrogation de bouche plaquée
sur le désir plat
Filles de laine filles de lit
de lys de lit
Tout lie des corps rêches
aux pêches de luxure dans le cou
zébré des veines
Hommes à sabots de fauves —
ce qu’il reste de la sieste
troncs de dattiers —
cachés pour les repas de fourrure
cachés pour dormir dans les plumes
Cœur de chair de poules
Voici la plus belle, la pure, celle qui vient avec le vent, avec
l’ami, et portée par les routes géantes de la mer, la toute
ouverte, la tant couverte par les anges et les capitaines qui
furent grands aux temps anciens, la trop parée, et qui va nue,
voici son front qui est de braise, voici son sein bleu comme
le ciel après l’orage,
voici sa main qui a pitié,
voici sa main qui est guerrière,
une courtisane,
une paysanne qui va très loin dans sa campagne redresser l’épi
courbé, et des jachères l’accompagnent jusqu’au porche de
la nuit,
une paysanne qui va de saison en saison, qui sarcle et brûle
le chiendent, qui fait sillon après sillon, le dos courbé, proche
la glèbe,
une paysanne de fenaison,
une courtisane,
une reine étendue sous les dais du désert, avec des gazelles
pour compagnes, et au loin, très loin, voici venir le cri roux
des buccins de la nuit,
une reine dressée au seuil de son empire, sous l’arbre qui est
rouge, une reine qui fait justice et injustice dans son coeur noir,
une courtisane,
qui entre, les lèvres peintes et drapée de tissus étranges où des
oiseaux sont imprimés, oui,
Sauf peut-être
avec certains vents au long cours
ou quelque nuit de gel pur
longtemps soutenu
Elles se confient encore moins
Si ce n’est aux racines
de quelques très vieux troncs
aux bords de quelques sources
en montagne
et à la mer
où elles se couchent pour mourir
sous des marées
de courtisanes expertes
qui les épuisent
jusqu’aux langueurs de nos plages
ou l’exquise
douleur écumeuse des falaises
Elles ont pouvoirs sur nos seuils
puissance sur nos enceintes
et nos murailles
tirant orgueil des permanences
de la poussière
Comme des éponges bien vivantes
elles sont gonflées du chant
des mondes
font et défont sans fin
les noeuds quantiques de l’harmonie
Pour avoir si souvent dormi
Avec ma solitude
Je m´en suis fait presqu’une amie
Une douce habitude
Ell’ ne me quitte pas d´un pas
Fidèle comme une ombre
Elle m´a suivi ça et là
Aux quatre coins du monde
Non, je ne suis jamais seul
Avec ma solitude
Quand elle est au creux de mon lit
Elle prend toute la place
Et nous passons de longues nuits
Tous les deux face à face
Je ne sais vraiment pas jusqu’où
Ira cette complice
Faudra-t-il que j´y prenne goût
Ou que je réagisse?
Non, je ne suis jamais seul
Avec ma solitude
Par elle, j´ai autant appris
Que j´ai versé de larmes
Si parfois je la répudie
Jamais elle ne désarme
Et si je préfère l´amour
D´une autre courtisane
Elle sera à mon dernier jour
Ma dernière compagne
Non, je ne suis jamais seul
Avec ma solitude
Non, je ne suis jamais seul
Avec ma solitude
I
Péché! Tentation du soir ! Chairs profanées,
Lampe éteinte où ne brûle aucun reste de feu,
Lèvres ne sachant plus les douceurs de l’aveu,
Et s’effeuillant pour tous comme des fleurs fanées.
Chambres de volupté, rouge et flambant décor
Dont les miroirs profonds redisent la féerie,
Alcôves où la chair lamentable et fleurie
Offre son plaisir rose et nu sur des fonds d’or.
O baume du Péché ! courtisanes menteuses,
Muses des soirs mauvais, versant des élixirs
Qui sont entremetteurs d’amour et de désirs
Et du champagne blond aux mousses chuchoteuses.
Douceur des seins s’offrant comme un coussin moelleux
Où reposer sa tête endolorie et pâle
Quand l’ivresse, à travers les vins couleur d’opale,
Fait surgir des lits d’or sous de grands rideaux bleus.
Et vers ces lits profonds, baignés d’odeur légère,
On marche, halluciné par des fantômes nus,
Et l’on va demander, dans des bras inconnus,
La minute d’oubli d’une mort passagère!
Oh ! dormir! oublier tout ce qui peut mentir !
Les lèvres et les yeux, amante ou fiancée !
Etouffer les coups d’aile aux murs de sa pensée
Et clamer peu à peu la douleur de sentir.
C’est comme qui dirait une agonie heureuse !
On divague, on s’endort dans un énervement
Et les choses au loin flottent confusément
Dans l’aube du sommeil fragile et vaporeuse !
Et vaincu, tout un soir dans l’ombre, sans flambeau,
On enlace une chair que le spasme importune,
Triste comme les morts caressant sous la Lune
L’ange de marbre blanc couché sur leur tombeau !
Chantez, chantez encor, rêveurs mélancoliques,
Vos doucereux amours et vos beautés mystiques
Qui baissent les deux yeux
Des paroles du cœur, vantez la puissance,
Et la virginité des robes d’innocence,
Et les premiers aveux !
Ce qu’il me faut à moi, c’est un amour qui brûle,
Et comme un dard de feu dans mes veines circule,
Tout rempli d’alcool ;
C’est une courtisane enivrée et folâtre,
Dansant autour d’un punch à la flamme bleuâtre,
Et buvant à plein bol !
Ce qu’il me faut à moi, c’est la brutale orgie,
La brune courtisane à la lèvre rougie
Qui se pâme et se tord ;
Qui s’enlace à vos bras dans sa fougueuse ivresse,
Qui laisse ses cheveux se dérouler en tresse,
Vous étreint et vous mord !
C’est une femme ardente autant qu’une espagnole,
Dont les transports d’amour rendent la tête folle
Et font craquer le lit ;
C’est une passion forte comme la fièvre,
Une lèvre de feu qui s’attache à ma lèvre
Pendant toute une nuit !
C’est une cuisse blanche à la mienne enlacée,
Une lèvre de feu d’où jaillit la pensée ;
Ce sont surtout deux seins,
Fruits d’amour arrondis par une main divine,
Qui tous deux à la fois vibrent sur la poitrine,
Qu’on prend à pleines mains.
Eh bien ! venez encor me vanter vos pucelles,
Avec leurs regards froids, avec leurs tailles frêles,
Frêles comme un roseau ;
Qui n’osent d’un seul doigt vous toucher,- ni rien dire,
Qui n’osent regarder et craignent de sourire,
Ne boivent que de l’eau.
Non ! vous ne valez pas, ô tendre jeune fille,
Au teint frais et si pur caché sous la mantille,
Et dans le blanc satin,
Non, dames de grand ton, en tout, tant que vous êtes,
Non, vous ne valez pas, femmes dites honnêtes,
Un amour de catin !
(Alfred de Musset)
Recueil: Poètes du Baiser
Editions: Société des Éditions LOUIS-MICHAUD
Dans les yeux, rien de leur histoire ne s’efface;
Rien n’est soluble; tout s’avère à leur surface…
Ainsi tels yeux ont l’air pauvres dorénavant
Pour avoir médité d’entrer en un couvent;
Tels sont en fleur pour avoir vu des orchidées;
D’autres sont nus de tant de fautes regardées;
On y perçoit des courtisanes se baignant
Et par leurs fards perdus l’eau des yeux est nacrée;
D’autres, pour être nés près d’un canal stagnant,
Portent un vaisseau noir qu’aucun marin ne grée
Et qui semble, dans eux, captif en des glaçons…
Prolongement sans fin ! Survie ! Aubes lointaines !
Ciel qui met dans les puits de bleus caparaçons !
Nuages habitant les prunelles humaines !
Tout le passé qui s’y garde, remémoré !
Tout ce qui s’y trahit qu’on croyait ignoré :
Les voeux qu’on viola; les seins que nous fleurîmes;
Et le regard qu’on eut en pensant à des crimes;
Et le regard qu’on eut, pris d’un dessein vénal,
Fût-ce un instant, jadis, devant des pierreries
— Trésor qu’on troquerait contre ses chairs fleuries —
Et qui fait à jamais, de 1’oeil, l’écrin du Mal.
Car tout s’y fige, y dure, et tout s’y perpétue
Désirs, mouvements d’âme, instantané décor,
Tout ce qui fut, rien qu’un moment, y flotte encor;
Dans l’air des yeux aussi survit la cloche tue,
Et l’on voit, dans des yeux qui se croient gais et beaux,
D’anciens amours mirés comme de grands tombeaux !