Seul debout.
Seul assis.
Seul couché.
Seul sur the gril.
Seul écartelé par les chevaux de labour
dont il ne voyait que les croupes.
Seul pendu et son sperme devint mandragore.
Seul dans la vitesse qui n’est pas,
dans la minute qui n’est pas,
dans l’espace qui n’est pas,
dans le temps qui n’est pas,
dans l’éternité qui n’est pas,
dans l rien qui ne l’est pas,
dans le vide plein de boue.
Seul dans un bloc de quartz ignoble,
dans un iceberg en voyage.
Seul avec la solitude qui n’en est pas une.
Avec la lune qui fut sans être.
Avec ses pas qui n’en sont pas.
Avec ce tison qui se croûte et qui brûle au milieu
et se croûte et brûle dans un songe qui n’est même pas un songe.
Seul avec le sommeil du condamné à mort.
***
Alone
Alone standing.
Alone sitting.
Alone lying down.
Alone on the grille.
Alone drawn and quartered by workhorses,
seeing only their rumps.
Alone hanging, ejaculating a mandrake.
Alone in the quickness that isn’t,
in the minute that isn’t,
in the space that isn’t,
in time that isn’t,
in eternity that isn’t,
in the nothing that isn’t,
in an emptiness full of mud.
Alone in a corrupted chunk of quartz,
in an iceberg floating by.
Alone in solitude that isn’t.
With a moon that was without being.
With his footsteps that aren’t footsteps.
With this ember that crusts over and burns at its center,
and crusts and burns in a dream that isn’t even a dream.
Alone in the sleep of the condemned to death
Mer au corps multiple
Qui tend sa croupe
Aux caresses du vent
Ou à ses coups
Qui se frotte le ventre
Au rivage qui le gratte
Ou le chatouille
Mer je voudrais boire
A ton sein immense
Mais tu le réserves
A tes Néréides.
Mes membres fourmillent de reflets pétrifiés
je ne peux m’endormir sans devenir la terre
sans rabattre mon linceul
comme le vent rabat aux cerisiers
leurs jupons sur la tête
une fois devenue bloc
je porte en croupe les eaux
obsédantes
je ne sais jamais qui est moi
(Thérèse Plantier)
Recueil: Je est un autre Anthologie des plus beaux poèmes sur l’étranger en soi
Traduction:
Editions: Seghers
Dans un journal à fascicules
J´ai lu en lettres majuscules
Qu´on ne peut vivre sans calcul
En ce siècle où les automates
Sont les grands rivaux des primates
Qu´on ne peut plus vivre sans maths
Comme d´ailleurs depuis toujours
Quel que soit l´homme et ses recours
On ne peut vivre sans amour
Moi qui tiens fermement à vivre
Et qui suis lucide autant qu´ivre
J´ai uni le lit et le livre
J´ai rencontré au point critique
La femme la plus érotique
Une Vénus mathématique
Vive la nouvelle Vénus mathématique!
Au bal de l´Hôtel Terminus
Je vis soudain cette Vénus
Qui embrasa mes cosinus
C´était la folle nuit du rythme
Au bras d´un jeune sybarite
Elle exhibait ses logarithmes
C´était pour moi un jour de bol
La voilà qui me carambole
D´un grand sourire en hyperbole
C´était la grande nuit du rut
Le temps de pousser un contre-ut
Je l´attaquai comme une brute
Grâce à son triangle et son pis
Aussi rond que le nombre Pi
Elle augmenta mon entropie
Vive la nouvelle Vénus mathématique!
Et moi, très vite, j´adorai
Cette enfant qui suivait de près
De toute science les progrès
Les manuels, les opuscules
Les courbes, les tests, les calculs
Lui tenaient lieu de crépuscules
Au saint nom des mathématiques
Elle appliqua ses statistiques
À nos étreintes frénétiques
Au diable les gens qui attifent
Leur passion de préservatifs
Ou de retraits intempestifs
Bientôt, nous réglâmes tous nos
Exercices abdominaux
Selon la méthode Ogino
Vive la nouvelle Vénus mathématique
Et la Vénus aux équations
Me fit goûter des sensations
D´une nouvelle dimension
Les entités humanoïdes
Aux formes hyperboloïdes
Charment les spermatozoïdes
Dans mon vieux grenier en spirale
Chaque soir, quel concert de râles
Quand je frôlais son intégrale
Elle avait uni sans histoire
La mécanique ondulatoire
Et les positions giratoires
Mes caresses venaient en troupe
Selon la théorie des groupes
Pour réunir jambes et croupes
Vive la nouvelle Vénus mathématique
Hélas, un jour, un jour funeste
Elle me fit passer un test
Qui lui démontra sans conteste
En comparant des numéros
Que j´étais un pauvre zéro
Elle prit la tangente au trot
Avec ses courbes inconnues
Dans l´espace discontinu
Elle s´en alla toute nue
Vive la nouvelle Vénus mathématique!
Anthis, danseuse de Lydie, a sept voiles autour d’elle.
Elle déroule le voile jaune, sa chevelure noire se répand.
Le voile rose glisse de sa bouche.
Le voile blanc tombé laisse voir ses bras nus.
Elle dégage ses petits seins du voile rouge qui se dénoue.
Elle abaisse le voile vert de sa croupe double et ronde.
Elle tire le voile bleu de ses épaules,
mais elle presse sur sa puberté le dernier voile transparent.
Les jeunes gens la supplient : elle secoue la tête en arrière.
Au son des flûtes seulement, elle le déchire un peu,
puis tout à fait, et, avec les gestes de la danse,
elle cueille les fleurs de son corps.
En chantant : « Où sont mes roses ? où sont mes violettes parfumées ?
Où sont mes touffes de persil ?
— Voilà mes roses, je vous les donne.
Voilà mes violettes, en voulez-vous ?
Voilà mes beaux persils frisés. »
(Pierre Louÿs)
Recueil: Les chansons de Bilitis
Traduction:
Editions: Gallimard
A l’aube, sur la montagne après la pluie
J’ai encore un amour dans mon coeur.
La croupe de la montagne, là-bas, plus loin, s’est recroquevillée ;
Une vapeur chaude jaillit comme d’une bête qui a reçu unе flèche.
Maintenant je n’essaierais même plus de t’oublier.
Quand je descendais de la montagne,
La montagne était une île que j’avais laissée dans le ciel.
Comme un oiseau file vers la falaise pour voler
Au milieu de mon espoir, c’est le vide.
(Hwang Ji-u)
Recueil: DE L’HIVER-DE-L’ARBRE AU PRINTEMPS-DE-L’ARBRE Cent poèmes
Traduction: Kim Bona
Editions: William Blake & co
Esquisser de ma langue
Autour de ton nombril
Un vêvê pour Erzulie et
Dans un nuage d’encens brut
Chevaucher nue
Ton enchanteur poto-mitan
Au gré du lascif yanvalou
De ma croupe
Jusqu’à l’arc-en-ciel
De la transe
Cette terre grise lissée par le vent dans ses croupes,
dans son galop vers la mer,
dans sa ruée de troupeaux sous les dômes
et les contreforts de l’intérieur, vue
dans le vertige depuis les glacis, file
la lumière, file de mystérieuses années-lumière,
file un seul destin de multiples façons,
dit : « regarde-moi, je suis ton étoile »
et en cet instant s’enfonce plus profond
dans le coeur l’épine de la vie.
Cette terre toscane nue et pure
où court la pensée de celui qui reste
ou qui, issu d’elle, s’en éloigne.
Mes années, plus de quarante, essaiment toutes
hors de leur nid d’abeilles. Elles cherchent
ici plus qu’ailleurs leur pain, s’enquièrent
de nous, de vous murés dans la croûte
de ce corps lumineux. Et persiste,
persiste à pulluler la mort — la vie —
tendre et hostile, claire et inconnaissable.
Voilà ce que l’oeil saisit de cette tour de guet.
***
DALLA TORRE
Questa terra grigia lisciata dal vento nei suoi dossi
nella sua galoppata verso il mare,
nella sua ressa d’armento sotto i gioghi
e i contrafforti dell’interno, vista
nel capogiro dagli spalti, fila
luce, fila anni luce misteriosi,
fila un solo destino in moite guise,
dice : « guardami, sono la tua stella »
e in quell’attimo punge più profonda
il cuore la spina della vita.
Questa terra toscan brulla e tersa
dove corre il pensiero di chi resta
o cresciuto da lei se ne allontana.
Tutti i miei più che quarant’anni sciamano
fuori del loro nido d’ape. Cercano
qui più che altrove il loro cibo, chiedono
di noi, di voi murati nella crosta
di questo corpo luminoso. E seguita,
seguita a pullulare morte e vita
tenera e ostile, chiara e inconoscibile.
Tanto afferra l’occhio da questa torre di vedetta.
(Mario Luzi)
Recueil: Dans l’oeuvre du monde
Traduction: Philippe Renard, Bernard Simeone
Editions: Editions Unes