Moi qui n’en suis pour rien dans ma venue sur terre
Qui n’ai jamais appris les mots que pour me taire
Et marche lentement de peur de tout briser
Croyez-vous que je puisse encor vous satisfaire
Tant de mains attendues n’en valent plus la peine
Une heure d’amitié ne fait pas la semaine
Est-ce mon sang déjà qui teinte le pavé
Mon coeur découragé qui tire sur sa chaîne
A quoi bon ces matins sans hâte de l’enfance
Ces fausses libertés mes désobéissances
Les grains d’or du soleil au fond du sablier
Puisque toute ma vie est faite de silence
C’est là dans mon grenier derrière la fenêtre
Avec le ciel qui bouge au fond pour me remettre
Un instant dans le cycle effarant du passé
Que je serai tenté un soir de disparaître
Alors que vous importe un cri dans le naufrage
Le fardeau de ma joie est un maigre bagage
De la douleur, mon Dieu, j’en eus toujours assez
Mon ombre fut mon seul compagnon de voyage
(René Guy Cadou)
Recueil: René Guy Cadou Poésie la vie entière oeuvres poétiques complètes
Traduction:
Editions: Seghers
Ta mère, quand elle t’écrivait
T’appelait hirondelle
Tu étais bonheur en l’espace
Délivrée d’elle, et pourtant
Comme prise dans ses cheveux
Unie au vent
Tes ailes coupant la lumière
Tu te cognais parfois à la vitre du ciel
Décourageant tes rêves
Ton vol de soie froissée
Annonçait la joie
Hirondelle, l’as-tu jamais su
Seule, tu faisais le printemps…
(Max Olivier Bizeau)
Recueil: Paris … en haïku et en brèves
Traduction:
Editions: La Simarre
Il y a toujours quelque part une étendue de jour
le travail du soleil ne s’arrête jamais
Il y a toujours quelque part un oiseau qui chante
et son chant fait chanter un autre oiseau plus loin
Il y a toujours quelque part un enfant qui naît
La vie invente la vie sans se laisser décourager
Il y a toujours quelque part un vivant qui meurt
Etcetera etcetera Ainsi de suite Etcetera
C’est comme ça depuis l’origine Et ce sera pareil
jusqu’à la fin La plus grande banalité
Si pourtant je n’arrive pas tout à fait à m’y faire
si je m’étonne encore eh bien c’est que c’est mon affaire
ce manège incessant qui me verra cesser
(Claude Roy)
Recueil: À la lisière du temps suivi de Le voyage d’automne
Traduction:
Editions: Gallimard
On a un bien joli canton :
des veaux, des vaches, des moutons,
du chamois, du brochet, du cygne ;
des lacs, des vergers, des forêts,
même un glacier, aux Diablerets ;
du tabac, du blé, de la vigne,
mais jaloux, un bon Genevois
m’a dit, d’un petit air narquois :
– Permettez qu’on vous interroge :
Où sont vos fleuves, franchement ?
Il oubliait tout simplement
la Venoge !
Un fleuve ? En tout cas, c’est de l’eau
qui coule à un joli niveau.
Bien sûr, c’est pas le fleuve Jaune
mais c’est à nous, c’est tout vaudois,
tandis que ces bons Genevois
n’ont qu’un tout petit bout du Rhône.
C’est comme : «Il est à nous le Rhin !»
ce chant d’un peuple souverain,
c’est tout faux ! car le Rhin déloge,
il file en France, aux Pays-Bas,
tandis qu’elle, elle reste là,
la Venoge !
Faut un rude effort entre nous
pour la suivre de bout en bout ;
tout de suite on se décourage,
car, au lieu de prendre au plus court,
elle fait de puissants détours,
loin des pintes, loin des villages.
Elle se plaît à traînasser,
à se gonfler, à s’élancer
– capricieuse comme une horloge –
elle offre même à ses badauds
des visions de Colorado !
la Venoge !
En plus modeste évidemment.
Elle offre aussi des coins charmants,
des replats, pour le pique-nique.
Et puis, la voilà tout à coup
qui se met à fair’ des remous
comme une folle entre deux criques,
rapport aux truites qu’un pêcheur
guette, attentif, dans la chaleur,
d’un œil noir comme un œil de doge.
Elle court avec des frissons.
Ça la chatouille, ces poissons,
la Venoge !
Elle est née au pied du Jura,
mais, en passant par La Sarraz,
elle a su, battant la campagne,
qu’un rien de plus, cré nom de sort !
elle était sur le versant nord !
grand départ pour les Allemagnes !
Elle a compris ! Elle a eu peur !
Quand elle a vu l’Orbe, sa sœur
– elle était aux premières loges –
filer tout droit sur Yverdon
vers Olten, elle a dit : «Pardon !»
la Venoge !
«Le Nord, c’est un peu froid pour moi.
J’aime mieux mon soleil vaudois
et puis, entre nous : je fréquente !»
La voilà qui prend son élan
en se tortillant joliment,
il n’y a qu’à suivre la pente,
mais la route est longue, elle a chaud.
Quand elle arrive, elle est en eau
– face aux pays des Allobroges –
pour se fondre amoureusement
entre les bras du bleu Léman,
la Venoge !
Pour conclure, il est évident
qu’elle est vaudoise cent pour cent !
Tranquille et pas bien décidée.
Elle tient le juste milieu,
elle dit : «Qui ne peut ne peut !»
mais elle fait à son idée.
Et certains, mettant dans leur vin
de l’eau, elle regrette bien
– c’est, ma foi, tout à son éloge –
que ce bon vieux canton de Vaud
n’ait pas mis du vin dans son eau…
la Venoge !
Vous qui savez aimer, vous qui savez comprendre,
Oh ! Ne vous laissez pas décourager en vain,
Poète dont le coeur, à la fois triste et tendre,
Vibre à chaque émotion du vaste coeur humain !
Gardez toujours en vous la frêle poésie,
Gardez toujours en vous son doux rythme touchant,
Ecoutez bien la voix, âme qu’elle a choisie ;
Gardez toujours en vous la lumière et le chant !
Gardez toujours en vous cet idéal suprême,
La noblesse de l’âme avec celle du coeur ;
Que votre vie soit la poésie même !
Et soyez de vous-même et du monde vainqueur !
Que rien ne vous attriste et ne vous décourage.
Sachant que vous avez l’harmonie et l’amour ;
Persévérez toujours ! — Ayant le grand message
Que chantait autrefois le moindre troubadour.
Oh ! Le monde a toujours été dur aux poètes !
Car la réalité tuait leur idéal,
Mais vous, — Ah ! Soyez grand ! Que tout ce que vous faites
Ait l’élan victorieux d’un hymne triomphal !
Et songez, quand parfois vous êtes seul et triste,
Que votre vie, hélas ! comprime votre coeur,
Ce coeur plein d’harmonie et de rêves d’artiste,
Songez que tout cela doit vous rendre meilleur !
Songez que cette vie ennoblit, ô poète !
Songez que chaque épreuve est un progrès de fait ;
Que c’est un pas de plus vers le sublime faîte ;
Songez que tout cela tend à rendre parfait.
Si votre force, hélas ! parfois s’est endormie,
Qu’à peine vous pouvez rester fier et debout,
Souvenez-vous alors d’une petite amie
Qui saura vous comprendre et souffrir avec vous !
Toute à sa lenteur
comme l’aiguille à
l’heure elle détruit
l’immobilité de la
nuit pierreuse
devenue chemin Le
but est grenade
fendue par l’attente
aux écailles larges
La soif a les yeux
mornes des brasiers
qu’elle décourage