Soit la nuit la plus noire, et plus profonde,
Et gelée, et sombre la mer des monstres:
Soit l’oeil de Dieu comme celui du serpent :
Une fente d’écailles dans une pierre.
Soit le centre de la terre feu ou cendres,
Et plus tortueuse et sulfureuse la cicatrice
Des incendies qui vont d’un côté à l’autre
De cette face mesquine, lamentable.
Soit la rue la plus longue et découverte,
Et à son extrémité le plus haut mur qui
De la suspension du pas fait commerce
D’étoffes ternes et d’ors sans poinçons.
Soit le fruit le plus pourri et trompeur,
Entre la main et le blé l’araignée noire.
Soit la chaleur du soleil autre fantasme
Dans la froideur de la grotte des spectres.
Soit le monde mordu et toute la chair
Par les mandibules difformes ou ventouses,
Ou des aiguilles mortelles de combien d’êtres
D’autres terres du ciel descendant sur celle-ci.
Peu importe quoi que ce soit, ou vienne à être,
Ou ait été de douleur et d’agonie,
De misère, épouvante et amertume,
Si ton ventre s’ouvre et me cherche.
***
Ainda que seja
Seja a noite mais negra, e mais profundo,
E gelado, e sombrio o mar dos monstros.
Seja o olho de Deus como o da cobra:
Urna fenda de escamas numa pedra.
Seja o centro da terra fogo ou cinzas,
E mais torta e sulfúrea a cicatriz
Dos incêndios que vão de lado a lado
Desta face mesquinha, lamentável.
Seja a rua mais longa e descoberta,
E mais alta a parede que ao fim dela
Da suspensão do passo faz comércio
De panos baços e ouros sem contraste.
Seja o fruto mais podre e enganoso,
Entre a mão e o trigo a aranha preta.
Seja o calor do sol outro fantasma
Na frieza da gruta dos espectros.
Seja o mundo mordido e toda a carne
Pelas mandíbulas disformes ou ventosas,
Ou agulhas mortais de quantos seres
Doutras terras do céu desçam a esta.
Seja là o que for, ou venha a ser,
Ou tenha sido em dor e agonia,
Em miséria, pavor e amargura,
Se o teu ventre se abre e me procura.
(José Saramago)
Recueil: Les poèmes possibles
Traduction: Nicole Siganos
Editions: Jacques Brémond
Si je n’ai une autre voix qui me dédouble Ce
silence en échos d’autres sons,
C’est parler, parler encore, jusqu’à dévoiler La
parole cachée de ce que je pense.
C’est, brisé, la dire entre des détours
De flèche qui elle-même s’envenime,
Ou mer haute coagulée de navires Où
le bras noyé nous fait signe.
C’est forcer vers le fond une racine Quand
la pierre rigoureuse coupe le chemin, C’est
lancer vers le haut tout ce qu’on dit Car
plus arbre est le tronc le plus seul.
Elle dira, parole découverte,
Les dits de l’habitude de vivre :
Cette heure qui serre et desserre,
Le non voir, le non avoir, le presque être.
***
«Se nao tenho outra voz…»
Se não tenho outra voz que me desdobre Em
ecos doutros sons este silêncio,
É falar, ir falando, até que sobre A
palavra escondida do que penso.
É dizê-la, quebrado, entre desvios De
flecha que a si mesura se envenena,
Ou mar alto coalhado de navios Onde
o braço afogado nos acena.
É forçar para o fundo urna raiz
Quando a pedra cabal corta caminho,
É lançar para cima quanto diz
Que mais árvore é o tronco mais sozinho.
Ela dirá, palavra descoberta, Os
ditos do costume de viver: Esta
hora que aperta e desaperta,
É não ver, o não ter, o quase ser.
(José Saramago)
Recueil: Les poèmes possibles
Traduction: Nicole Siganos
Editions: Jacques Brémond
Dans l’avenir à découvert
Comme dans une larme de feu
Où rien ne va à la cendre
Où rien ne va au remords
On comprend qu’il y a de l’or
Qui règne sous la peau
Et une vague violente qui n’espérait que ça
(André Velter)
Recueil: Avec un peu plus de ciel
Traduction:
Editions: Gallimard
Que ne t’atteigne pas l’air, l’aurore, la nuit,
mais seulement la terre, et la vertu des grappes,
et la pomme qui pousse en entendant l’eau pure,
la résine et la boue de ta terre odorante.
Depuis Quinchamali où tes yeux furent faits
jusqu’à tes pieds créés pour moi sur la Frontière
tu es la glaise obscure et que je reconnais :
tout le blé je le touche à nouveau sur tes hanches.
Et peut-être l’ignorais-tu, mon Araucane,
lorsque avant de t’aimer j’oubliai tes baisers
qu’il nie restait au coeur mémoire de ta bouche
et j’allai par les rues pareil à un blessé
pour comprendre à la fin que j’avais découvert
mon territoire, amour, de baisers, de volcans.
***
No te toque la noche ni el aire ni la aurora,
sólo la tierra, la virtud de los racimos,
las manzanas que crecen oyendo el agua pura,
el barro y las resinas de tu país fragante.
Desde Quinchamalí donde hicieron tus ojos
hasta tus pies creados para mí en la Frontera
eres la greda oscura que conozco :
en tus caderas toco de nuevo todo el trigo.
Tal vez tú no sabías, araucana,
que cuando antes de amarte me olvidé de tus besos
mi corazón quedó recordando tu boca
y fui como un herido por las calles
hasta que comprendí que había encontrado,
amor, mi territorio de besos y volcanes.
1
Parcourir un corps dans son extension de voile
C’est s’ouvrir sur le monde
Traverser sans boussole la rose des vents
Îles golfes péninsules digues battues par des vagues furieuses
Pour être plaisante, ce n’est point tâche facile
Ne pense pas y parvenir en un jour ou une nuit de draps en bataille
Il est des secrets dans les pores pour combler tant de lunes
2
Le corps est une carte astrale en langage chiffré
Découvres-tu un astre, peut-être te faudra-t-il alors
Changer de cap lorsque nuée ouragan ou hurlement profond
Te feront tressaillir
Conque de la main que tu ne soupçonnais pas
3
Parcours plusieurs fois telle étendue
Découvre le lac aux nénuphars
Caresse de ton ancre le centre du lys
Plonge suffoque distends-toi
Ne te refuse point l’odeur le sel le sucre
Les vents profonds cumulus rhumbs des poumons
Brume dans le cerveau
Tremblement des jambes
Raz-de-marée assoupi des baisers
4
Attends pied dans l’humus sans peur de la fatigue sans hâte
Ne prétends pas atteindre le terme
Retarde l’entrée au paradis
Place ton ange retombé ébouriffe sa dense chevelure
De l’épée de feu usurpée
Croque la pomme
5
Sens
Ressens
Échange des regards salive imprègne-toi
Tourne et retourne imprime des sanglots peau qui s’éclipse
Pied découverte à l’extrémité de la jambe
Suis cherche secret du pas forme du talon
Courbure de la démarche baies croquant une allure cambrée
Savoure…
6
Écoute conque de l’oreille
Comme gémit l’humidité
Lobe qui s’approche de la lèvre rumeur de la respiration
Pores qui se dressent formant de minuscules montagnes
Sensation frémissante de peau insurgée au toucher
Pont suave nuque descends à la houle poitrine
Marée du coeur susurre à ton oreille
Découvre la grotte de l’eau
7
Franchis la terre de feu la bonne espérance
Navigue fou là où se rejoignent les océans
Traverse les algues arme-toi de coraux hulule gémis
Émerge avec le rameau d’olivier pleure fouissant des tendresses
occultes
Dénude des regards stupéfaits
Éveille le sextant depuis le haut des cils
Hausse les sourcils dilate les narines
8
Aspire soupire
Meurs un peu
Doucement lentement meurs
Agonise contre la pupille accrois la jouissance
Plie le mât gonfle les voiles
Navigue cingle vers Vénus
Étoile du matin
— la mer comme un vaste cristal étamé —
endors-toi naufragé.
(Giaconda Belli)
Recueil: L’Ardeur ABC poétique du vivre plus
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Tu les croises dans l’île
à rêves découverts,
visages confondus,
vingt mille robinsons,
solitudes à vendre
sept lundis par semaine
et pas un Vendredi qui vaille l’or d’aimer.
(Karel Logist)
Recueil: J’arrive à la mer
Traduction:
Editions: De le Différence
Je ne crois pas qu’il y ait un monde occulte ou quelque chose de caché au monde,
je ne crois pas qu’il y ait sous le réel apparent
des étages enfouis ou refoulés de notions, de perceptions, de réalités, ou de vérités.
Je crois que tout l’essentiel surtout fut toujours à découvert et en surface
et que ça a coulé à pic et au fond
parce que les hommes n’ont pas su et pas voulu le maintenir.
C’est tout.
L’occulte est né de la paresse,
mais n’en est pas devenu occulte,
c’est à dire irrévélable, pour cela.