Le ciel commence à l’aube
Et l’aube à chaque feuille poussée du pied
Le temps qu’il fait
Me livre à mon double de terre
Sous le soleil
Oscillant entre deux lignes de neige rouge
Mon désir d’être
Me cloue les bras en croix
Aux planches du décor
Défiguré par la lumière
J’offre mes mains au plus offrant de certitude
J’ignore le tracé de mes lèvres
Et la couleur de mes yeux
Je joue mon rôle pour les arbres et pour l’herbe
Et pour la fleur changeante de la fièvre
J’oublie mon point blanc dans le ciel
Quand mes amis se souviennent
Des portes de la ville aux sept promesses
Personne ici n’apportera le pain partagé
Dès l’aurore
Personne la confiance
Personne l’unité qui prolonge la nuit dans le jour
Ailleurs m’attend le vin de palmes
L’amitié me divise
Et l’amour me rassemble
Quand le vent force les fenêtres,
annoncé par tant de portes, tant de forêts battantes,
et que le soir passe sa tête
dans ce qui reste, immobile et défiguré,
Quand la rue s’accroche aux lumières qui, d’un seul coup, tirent à elles tout le ciel,
lourdes du feu qui s’écoule des carreaux, étranges prisonniers au long des villes,
il faut dominer l’amour, le dénuder
du sang qui en fait une soif sans remède,
le jeter aux gueules du sexe
comme un vivant qui s’éveille en plein incendie,
il faut oublier les mots trop tendres
qui tremblent dans la bouche comme des feuilles
et, crispé sur la chair comme les racines autour de la terre,
il faut fermer la femme à la clarté du jour.
Dans la ville, que le soir rassemble en hâte autour des murs, autour des lampes livides,
la pluie tombe, transpercée de vent et le monde comme un tunnel rampe dans la nuit.
Chaque fois que je te vois dans le souvenir,
j’entends chanter le coq en pleine nuit
et une soif de combats et de clochers
me rend au sacrifice où je te perds.
Qui sait où tu te trouves, je ne sais plus
si tes yeux sont en or ou en argent,
mais mon sang est une lumière jaillissante
et à nouveau je mords la douce pomme.
Ô balbutiement des ténèbres, duel
de mousse et de léopard et gémissement,
désespéré qui contrefait le ciel !
L’aube sordide plane comme la cendre,
sur le rêve vaincu et l’oreiller
défiguré par le creux d’une seule tête.
(Julio Cortázar)
Recueil: Crépuscule d’automne
Traduction: Silvia Baron Supervielle
Editions: José Corti
Quand le vent force la fenêtre
annoncé par tant de portes, tant de forêts battantes
et que le soir passe sa tête
dans ce qui reste, immobile et défiguré,
Quand la rue s’accroche aux lumières
en tirant à elle tout le ciel,
quand la terre n’a plus de jour pour montrer ses routes
le long des carreaux énormes comme des caillots,
il faut dominer l’amour, le dénuder
du sang qui en fait une soif sans remède,
il faut le jeter aux bouches brûlantes de la chair
comme un vivant qui s’éveille en plein incendie,
il faut oublier les mots trop tendres
qui tremblent dans la bouche comme des feuilles
et, crispé sur la chair comme les racines autour de la terre,
il faut fermer la femme à la clarté du jour.
Dans la ville que le soir rassemble en hâte
autour des murs, autour des lampes livides,
la pluie tombe transpercée de vent
et le monde se baisse pour entrer dans la nuit.
(Lucien Becker)
Recueil: Rien que l’amour
Editions: La Table Ronde
Que voulez-vous que j’offre à mon prochain
Un ciel mouvant de nuages
Des yeux secs et mon visage
Défiguré par la haine
À toi je ne donne rien et tu m’offres des nuits
Aussi troubles qu’un alcool au fond d’un verre
Dans le monde où nous partons au crépuscule
Les amours se dénouent comme des crimes
Des sirènes chantent en montrant leurs seins
Et des femmes plus belles que de coutume
Ouvrent l’éventail de leurs mains
Pour se parer de pierreries et de fourrures
L’univers est une caverne à voleurs
Éclairée par des yeux des regards
Brillants comme des diamants noirs
Dans la gangue bleue des paupières
Des yeux sombres fous illuminés hagards
Agrandis par le plaisir et la douleur
Ou bien lassés à peine visibles à la lisière des cils
À quel festin êtes-vous conviés
Aventuriers de la nuit noire
À quelle flamme allez-vous brûler
Les papillons de votre sommeil
Au pays où nous partons au crépuscule
L’amour est plus fort que la faim
Putain d’amour qui nous délaisse après nous avoir tant aimé
Putain d’amour qui fusille après avoir bien ensorcelé
Putain d’amour coulée de lave sur l’obscène des illusions
Putain d’amour comme une épave
Putain d’amour
Putain d’amour qui lacère après avoir tant caressé
Qui mord qui griffe qui marque aux fers
Putain d’amour défiguré
Putain d’amour qui parlemente
Voudrait bien trouver les mots
Les circonstances atténuantes
Putain d’amour, procurez-moi une arme blanche
Que j’étripe ce sale dimanche
Où l’amour qui transformait tout
Est devenu celui qui rend fou…
Putain d’amour qui se lamente
Se prosterne et supplie
Pour qu’on le laisse encore en vie
Mais c’est déjà fini…
Putain d’amour
Putain d’amour
Putain d’amour