Fruit qui jaillissez du couteau,
Beauté dont saveur est l’écho,
Aurore à gueule de tenailles,
Amants qu’on veut désassembler,
Femme qui portez tablier,
Ongle qui grattez la muraille,
Désertez ! désertez !
Tu t’en vas sans moi, ma vie.
Tu roules,
Et moi j’attends encore de faire un pas.
Tu portes ailleurs la bataille.
Tu me désertes ainsi.
Je ne t’ai jamais suivie.
Je ne vois pas clair dans tes offres.
Le petit peu que je veux, jamais tu ne l’apportes.
A cause de ce manque, j’aspire à tant.
A tant de choses, à presque l’infini…
A cause de ce peu qui manque, que jamais tu n’apportes.
j’ai voué à la solitude
ce corps qui m’entrave
et le plus souvent que je puis
je le déserte l’abandonne
à ses fièvres et fatigues
il traîne où il veut
tue le temps comme bon lui semble
et quand il revient
je continue de l’ignorer
Mon amour
Mon Dieu que c’est long
Que c’est long
Ce temps sans toi
J’en suis à ne plus compter les jours
J’en suis à ne plus compter les heures
Je laisse aller le temps entre mes doigts
J’ai le mal de toi comme on a le mal d’un pays
Je ferme les yeux
J’essaie de retrouver
Tout ce que j’aime de toi
Tout ce que je connais de toi
Ce sont tes mains
Tes mains qui disent comme ta bouche les mots
En les dessinant dans l’air et sur ma peau parfois
Tes mains serrées dans le sommeil avec la nuit
Dans le creux de ta paume
Tes mains qui battent les rêves comme des cartes à jouer
Tes mains que je prends dans les miennes
Pendant l’amour
Ce matin tandis que le soleil venait à la fenêtre j’ai fermé les yeux
Et ta bouche s’est posée sur ma bouche
La tienne à peine ouverte
Et tes lèvres doucement se sont écrasées sur les miennes
Et ta langue s’est enroulée à ma langue
J’ai songé à l’Italie alors
Au citronnier de Ravello accroché dans l’à-pic au-dessus de la mer
Très bleue
Au vent dans tes cheveux
Tu portais ta robe rose
Elle devenait une fleur
Elle jouait avec tes cuisses et tes bras nus
Le vent la tordait comme un grand pétale souple
Le vent chaud comme ton ventre après l’amour
Tandis que mon sexe dans ton sexe frémit encore et s’émerveille
Que le plaisir a rendu mauves nos paupières
Que nous sommes couchés non pas l’un contre l’autre
Mais l’un à l’autre
Oui l’un à l’autre mon amour
Mon présent s’orne de mille passés dont il change la matière
Et qui deviennent par ta grâce des présents magnifiques
Ces heures ces instants ces secondes au creux de toi
Je me souviens du vin lourd que nous avions bu
Sur la terrasse tandis que la nuit couvrait tes épaules
D’un châle d’argent
Je me souviens de ton pied gauche jouant avec les tresses de ta sandale
La balançant avec une grâce qui n’appartient qu’à toi
Je me souviens de ce film de Nanni Moretti Caro Diaro
Vu dans un vieux cinéma
Des rues de Rome
De la lumière orangée de la ville
Et de la Vespa que nous avions louée quelques jours plus tard
Et nous avions roulé comme Nanni dans le film
Sans but et sans ennui
Dans l’émerveillement du silence de la ville
Désertée pour la ferragosto
Tu me tenais par la taille et tu murmurais à mon oreille
« Sono uno splendido quarantenne »
Et tu riais
Et je riais avec toi sous le nuage des pins parasols
Dans les parfums de résine
Et le soir devant le grand miroir rouillé de la très petite chambre de l’hôtel
Tu jouais un autre film
« Tu les trouves jolies mes fesses ?
Oui. Très.
Et mes seins tu les aimes.
Oui. Enormément. »
Et je disais oui à tout
Oui à toi
Oui à nous
Je sors une heure chaque jour
Cela est permis
Je marche je tourne je tourne en rond
Et rien ne tourne rond
Pour moi sans toi
Pour moi loin de toi et qui n’ai plus que ma mémoire
Pour te faire naître dans mon cerveau
Et l’apaiser l’embraser t’embrasser te serrer te chérir en lui
Hier le surveillant tandis que je rentrais dans ma cellule après la promenade
M’a dit que le confinement allait prendre fin au-dehors
Aux âmes citoyens
Que nos baisers donnent le ton
Aux âmes citoyens
Que les armées désertent nos chansons
Allons enfants de toutes les patries
Le jour de croire est enfin arrivé
Si alentour, nous semions l’harmonie
L’étendard sanglant serait lavé
Entendez vous dans les campagnes
S’unir nos précoces petits gars
Ils viennent jusque dans vos bras
Vous serrer fort et soulever des montagnes
Aux âmes citoyens
Que nos baisers donnent le ton
Aux âmes citoyens
Que les armées désertent nos chansons
Amour sacré de la fratrie
Conduis soutiens nos bras enjôleurs
De la liberté, liberté chérie
Nous voilà les ambassadeurs
Militants du parti des étoiles et du vent
Des tireurs de sonnette et puis des cerfs-volants
Bambins et marmots, gardiens de l’espoir
Sans nos drapeaux que de victoires
Aux âmes citoyens
Que nos baisers donnent le ton
Aux âmes citoyens
Que les armées désertent nos chansons
Quand la haine s’élève
Nous allons bienveillants
Sur le sentier de la trêve
Désarmés jusqu’aux dents
Nous livrerons bataille
Sentiments en jalons
Nos sourires pour médailles
La tendresse comme canon
Aux âmes citoyens
Que nos baisers donnent le ton
Aux âmes citoyens
Que les armées désertent nos chansons
Si je pouvais en moi-même me dérober,
Vivre inconnu, inconnu,
Me dissoudre
Dans l’alliage muet de la nuit et des songes.
Si je pouvais déserter le dehors,
Saoul de tumulte, de vitesse,
En moi-même plonger dans le cosmos,
Me sentir un avec Lui —
Je suis pris dans la foule qui s’agite, résiste,
Malade d’avoir tant crié,
Je suis pris, dans la foule qui s’éteint, se meurt,
Je me hâte vers, le triomphe, sachant que je ne m’abattrai
Qu’avec la hache qui m’abattra,
Et je pressens la plainte que j’élèverai vers Lui.
J’avais l’intention de révéler l’indicible
mais ta lumière devint une explosion
un volcan.
Ma passion m’a rendu transparent
et les mots ont déserté ma langue.