Nulle part
le silence des pierres
n’est plus éloquent
la désolation
plus somptueuse
Sous un soleil pesant
l’éternité rôde
Le temps assis sur un roc
se repose d’être le temps
(Anise Koltz)
Recueil: Somnambule du jour
Traduction:
Editions: Gallimard
Je suis triste mon âme est triste
Malgré ce beau soleil qui brille pour rien
Tant mon âme est triste pour rien
De la désolation pure sans soulagement
Du désastre sans rien de cassé
Quelque chose est en morceaux
Quelque chose est plié comme un coin
Comme une oreille de chien trop longue
Qui se replie au sommet du crâne
Avec le tatouage à l’intérieur devenu visible
Ça gémit à l’intérieur comme si ça voulait sortir
Mais c’est pas capable de sortir
Ça sait d’avance que sortir ne sert à rien
Même dehors est encore du dedans retourné
(Gilles Weinzaepflen)
Recueil: Noël Jivaro
Traduction:
Editions: Le clou dans le fer
J’ai mis fin pour toujours
au duel entre espoir et désolation,
aux griefs accablants des envies excédées.
Au sombre ciel d’absence il fait soir.
Je vous contemple
vous tiens dans l’infini
dans l’absolu.
Le cours du monde n’est plus,
ni soleil ni lune
ni astre ni planète aucune ;
l’air se tient coi, nul tracé d’arbres
à l’horizon ne se dessine.
Point de gens ni de chuchotements,
le bruit des pas du temps aboli
arrêté l’instant inachevé
dont je ne compte pas les fragments.
N’est plus ni jour ni obscurité
ni moi ni attache vous liant à moi.
Il n’y a ni plaisir ni peine ni crainte,
tout désir se trouve éteint
une quiétude se sent
dans le silence du ciel.
Tout est en vous recueilli,
en vous solitaire
dans mon esprit sans moi ne se profile
que l’intime vision de vous.
(Rabindranath Tagore)
Recueil: L’écrin vert
Traduction: Saraju Gita Banerjee
Editions: Gallimard
La Poésie de la Terre jamais ne meurt :
Quand tous les oiseaux défaillent sous le soleil brûlant,
Et se cachent dans la fraîcheur des arbres, une voix court
De haie en haie par la prairie fraîche fauchée ;
C’est la voix de la cigale ; elle mène le branle
Dans la féerie d’été puis — car il n’est point de terme
A ses enchantements — épuisée de plaisir,
S’enivre d’indolence sous une herbe accueillante.
La Poésie de la Terre ne s’achève jamais :
Dans la désolation d’un soir d’hiver, quand le gel
A tissé son silence, de l’âtre monte
Le chant aigu du grillon, dont la chaleur sans cesse croît,
Apportant à celui que gagne la torpeur
Le chant de la cigale parmi les monts herbeux.
Tu ne m’attends plus avec le coeur vil
de l’horloge. Qu’importe si tu ouvres
ou fixes la désolation : il reste les heures épineuses,
dénudées, avec les feuilles qui soudain
cognent contre les vitres de ta
fenêtre, haute sur deux allées de nuages.
Il me reste la lenteur d’un sourire,
le ciel sombre d’une robe, un velours
couleur rouille enroulé sur tes cheveux
et déployé sur tes épaules et ton visage
noyé dans une eau à peine mouvante.
Coups de feuilles d’un jaune rugueux,
oiseaux de suie. D’autres feuilles
craquèlent les branches et déjà s’élancent,
enchevêtrées : le faux et le vrai vert
de l’avril, ce rictus moqueur
à la sûre fleuraison. Mais tu ne fleuris plus
tu n’ajoutes plus les jours ni les songes qui s’élèvent
de notre au-delà, tu n’as plus tes yeux
d’enfant, tu n’as plus tes mains tendres
pour chercher mon visage qui me fuit ?
Reste la pudeur d’écrire des vers
de journal ou de pousser un cri dans le vide
ou dans ce coeur incroyable encore
en butte avec son temps exhaussé.
(Salvatore Quasimodo)
Recueil: Ouvrier de songes
Traduction: Thierry Gillyboeuf
Editions: LA NERTHE
jusqu’à la fin des temps
et plus loin encore
dans tout ce bleu
qui n’est que toi
jusqu’à la fin des mondes
et plus loin encore
bien plus loin
sans jamais rien comprendre
dans tout ce bleu
qui n’est que toi
je remonte
vers la source
des hommes-questions
vers tous ceux
qui interrogent
la source sans source
je remonte
vers l’intérieur de tout
mille astres noirs
au fond de mes poches
je mets lentement au jour
cette force d’éden
de coeur en coeur
de lèvre en lèvre
de vie en vie
l’univers tout entier
suspendu
au visage d’une femme
je mets du baume
au monde
je marche l’immensité
je glisse et reglisse
le long des désolations
je remonte
vers les cendres fertiles
au jour le jour
à la nuit la nuit
j’écoute sans relâche
cette voix qui parle en moi
je l’écoute
aimanté par l’impossible
aimanté
par le fond des mondes
oui je dérive
vers la nuit de la nuit
je m’abandonne
aux avant-postes
des grands effondrements
je remonte
en fièvre pétrifiée
en étincelante déploration
mon âge se compte
en milliers d’étoiles
dans tout ce bleu
qui n’est que toi
j’accueille le jamais plus
comme si l’inquiétude
ne pouvait plus neiger en moi
dans tout ce bleu
qui n’est que toi
comme au premier jour
et les villes basculent
et les fleuves rebroussent chemin
dans la profondeur
des profondeurs
la sève circule
chez les danseurs de paradis
Le chagrin a fait son lit entre les plis de mes sourires
Et tracé comme un sillon de désespoir là, sur mon front
Mon passé est un vieillard dont la voix n’a plus rien à dire
Car le temps creuse entre nous un abîme sans fond
Afin que jamais plus je ne voie la lumière
Et la face des gens avec leur compassion
Que la mer déchaînée se jette sur la terre
Que se meure la vie
Que s’éteigne le jour
Mon amour est parti avec un autre amour.
Que le feu de l’enfer comme fétu de paille
Enflamme avec fureur les civilisations
Que la terre s’entrouve et que dans ses entrailles
Naisse un immense oubli
Qui durerait toujours
Mon amour est parti avec un autre amour
Puisque mon coeur blessé se bat dans les ténèbres
Je ne veux plus entendre parler de bonheur
Mais que le chant du vent devienne un chant funèbre
Pour que le monde entier partage ma douleur
L’orgueil et le chagrin dans ma vie font un vide
Ma bouche a l’âcre goût de la désolation
Et ma tête est emplie par des idées sordides
Car mon coeur n’a qu’un cri
Le même nuit et jour