Un autre mot, une phrase qui en soit pleine
Comme une voile, des vers
Qui se déplacent avec la légèreté du vent
Sur l’herbe ou parmi les arbres,
Qui bruissent en descendant le feuillage de la signification,
Un son qui évoque les sens, celui, soudain,
Lourd et mat, du fruit
Et de longs silences
A la surface du vent et en dessous.
Je n’arrive pas à trouver de mot pour le vent ;
Aveugle comme Homère, méditant sur la mer vineuse,
Je médite sur le vent, fouillant
Les sources de nombreux chants en moi qui n’ont pas vu
le jour,
Révélant en un éclair la flamme constante,
Un feu au coeur du vent.
Je n’arrive pas à trouver de mot pour le vent.
(Nissim Ezekiel) (1924-2004)
Recueil: Un feu au coeur du vent Trésor de la poésie indienne Des Védas au XXIème siècle
Traduction:
Editions: Gallimard
Il me fait entendre
quand il danse avec moi…
des mots…
qui ne ressemblent pas à des mots
il me saisit
par le bras
me plante
dans l’un des nuages
et dans mes yeux
tombe la pluie noire
averse …
averse
il m’emporte avec lui…
il m’emporte
vers un soir de balcons roses
et moi comme une enfant dans ses mains
comme une plume… portée par la brise
il apporte pour moi…
sept lunes dans ses mains
et un bouquet de chansons
il m’offre un soleil.
Il m’offre…
un été…
un troupeau d’hirondelles…
il m’informe…
que je suis sa merveille
que je vaux…
des milliers d’étoiles
que je suis un trésor…
et que je suis…
le tableau le plus beau qu’il ait jamais vu
il raconte…
des choses qui me font tourner la tête
me font oublier le tintamarre de la musique
me font oublier…
la piste…
et les pas
des mots
qui retournent sens dessus-dessous mon histoire…
qui me font femme en quelques instants
une autre femme…
en quelques instants…
Il me fait entendre quand il danse avec moi…
des mots…
qui ne ressemblent pas à des mots
il me laisse…
perdue pendant des heures…
il me laisse
m’amuser avec un fil
un fil dont les noeuds sont serrés
un fil fait de cauris
un fil fait de mots
il me laisse
au milieu du drame…
je ressasse…
je ressasse…
les mots
avec moi rien…
que…
les mots
***
(Nizar Qabbani)
Recueil: Poésie Syrienne contemporaine
Traduction:de l’Arabe par Saleh Diab
Editions: Le Castor Astral
Pour ce rien cet impondérable
Qui fait qu’on croit à l’incroyable
Au premier regard échangé
Pour cet instant de trouble étrange
Où l’on entend rire les anges
Avant même que de se toucher
Pour cette robe que l’on frôle
Ce châle quittant vos épaules
En haut des marches d’escalier
Je vous aime Je vous aime
Pour la lampe déjà éteinte
Et la première de vos plaintes
La porte à peine refermée
Pour vos dessous qui s’éparpillent
Comme des grappes de jonquilles
Aux quatre coins du lit semés
Pour vos yeux de vague mourante
Et ce désir qui s’impatiente
Aux pointes de vos seins levés
Je vous aime Je vous aime
Pour vos toisons de ronces douces
Qui me retiennent me repoussent
Quand mes lèvres vont s’y noyer
Pour vos paroles démesure
La source le chant la blessure
De votre corps écartelé
Pour vos reins de houle profonde
Pour ce plaisir qui vous inonde
En long sanglots inachevés
Je vous aime Je vous aime
Ça m’est égal d’être un peu mort escamoté dessous la terre du côté de ceux qui
ont tort d’être plus là pour prendre Pair
Ça m’est égal que plus personne sache comment je m’appelai Tant et tant de
téléphones sonnent dans des appartements déserts
Ça m’est égal de ne plus voir gens qui pleurent ni gens qui rient de rien sentir
de rien savoir d’être un peu de rien dans du gris
Mais je voudrais pourtant savoir
si quelque part quelqu’un quand même
se souviendra de mes souvenirs
Ai-je rien oublié de tous ceux que j’aime
Je veux bien partir et être très mort mais mes souvenirs seront-ils en vain
comme au fond des mers les galions pleins d’or dormant dans le noir de l’eau sans chemins
Mais nos souvenirs seront-ils en vain
(Claude Roy)
Recueil: Poèmes de Claude Roy
Traduction:
Editions : Bayard Jeunesse
Je vous souhaite la peur délicieuse d’un orage
tout seul dans votre chambre d’enfant
le sourire triste d’un bonbon de miel
au cours d’une convalescence tiède,
un baiser, sur le front, dans le noir.
Je vous souhaite l’émerveillement d’un caillou
choisi sur une plage entre cent millions d’autres.
Je voudrais tant que vous partagiez l’événement d’une ultime coccinelle
perdue sur la page d’un livre à la rentrée des classes,
le bouleversement d’une goutte de rosée qui hésite à l’extrémité d’une branche
ou la fragilité du ronronnement d’un chat dans la pupille de la nuit.
Écoutez la cotte de maille du peuplier dans le vent !
Écoutez l’audace d’une odeur de mimosa en plein coeur de l’hiver !
Je vous souhaite la curiosité,
l’appétit d’infimes et de minuscules rencontres
l’éclair d’une cicindèle ou d’un martin-pêcheur…
le plaisir d’une giboulée sur la peau nue
les grains de douceur sur la rivière
qui confesse tous les dessous du ciel
de ses dentelles d’écume sur les galets.
Je vous souhaite, le panier rempli de chanterelles,
l’odeur de chien mouillé, du vêtement qui sèche
près d’une flamme de feu de bois
et l’amitié de ce vieil habit qui ne craint rien.
Le chèvrefeuille, le chardonneret, l’ancolie, la morille…
Ah ! comme je vous souhaite de bâtir votre enfance
dans un puzzle de nuages blancs
la nuque sur un coussin de mousse.
Le dimanche soir, les filles se promènent dans
leurs belles robes, bras dessus bras dessous, en
grandes bandes sur la route;
elles vont jusqu’au bois, elles s’en reviennent,
les oiseaux se couchent dans les cerisiers.
On entend leurs rires : de quoi rient-elles ?
Ah ! les filles qui n’ont pas vingt ans,
ça ne sait que rire et de tout le monde,
mais c’est pour faire voir qu’on a de jolies dents.
Alors, les garçons vont à leur rencontre;
elles, elles les voient venir, elles cessent de
chanter; elles rient en dedans, les regards baissés,
on les voit qui se serrent les unes contre les autres
comme sous un arbre quand il pleut.
(Charles-Ferdinand Ramuz)
Recueil: Le Petit Village
Traduction:
Editions: Héros-Limite
La première
fille
que j’ai vue
aussi nue
qu’un jardin
en hiver
son frère
me l’avait
échangée
contre
des billes
au regard
de félins
Je mourais
de méningite
cérébrale
et ne savais
rien
de nos douze
ans
ni du jeu
de marelle
sous les jupes
Elle a dit oui
d’accord
je t’aime bien
tu sais
Puis
ôtant sa robe
à dix sous
je vis
ce qu’il y
avait dessous
Et même
dans ses yeux
ronds
aussi
parfaits
qu’un Parthénon
quand
ma mort s’en alla
entre
ses mains
de petite ménagère
des miracles
du corps
Mon petit frère a un zizi
Mais moi, Zaza,
Je n’en ai pas.
Mon petit frère a un zizi
Toujours placé au bon endroit
Mais moi, Zaza,
Je n’en ai pas.
Pourquoi ?
Il me le montre sans répit
Pour me donner du dépit
Pour se donner un air gaulois
Pour m’enfoncer dans l’désarroi !
Il me le sort en catimini’
En tapis rouge en tapinois’
Et me le fait toucher du doigt :
C’est assez doux
Comme caoutchouc
Mais y’a pas de quoi
Perdre la foi.
Et moi, et moi, moi je me dis
Pourquoi mon frère a un zizi
Dans quel tiroir se font les lois ?
Le jour et la nuit
Son zizi le suit
Toujours placé au bon endroit.
Et moi, Zaza, dans les draps blancs
J’ai beau me tâter
Me tâter souvent
À la place où ç’aurait dû été
Que du vent ! Que du vent !
« Tu verras Zaza
Avec mon zizi
Un jour je serai le Roi »
Qu’il dit
Tout en lui collant tout autour du sparadrap.
À la fin c’est énervant
De manquer obstinément
De cette sorte d’émolument.
Si j’ai le regard zoulou
Si j’ai le nombril sournois
Si je fais des coups en d’ssous
Si je pousse de guingois
Si je ne fais pas mon poids
Faut pas demander pourquoi !