Écoutez moi
Moi la chanteuse à demi
Parlez de moi
À vos amours, à vos amis
Parler leur de cette fille aux yeux noirs et de son rêve fou
Moi c’que j’veux c’est écrire des histoires qui arrivent jusqu’à vous
C’est tout
Voilà, voilà, voilà, voilà qui je suis
Me voilà même si mise à nue j’ai peur, oui
Me voilà dans le bruit et dans le silence
Regardez moi, ou du moins ce qu’il en reste
Regardez moi, avant que je me déteste
Quoi vous dire, que les lèvres d’une autre ne vous diront pas
C’est peu de chose mais moi tout ce que j’ai je le dépose là, voilà
Voilà, voilà, voilà, voilà qui je suis
Me voilà même si mise à nue c’est fini
C’est ma gueule c’est mon cri, me voilà tant pis
Voilà, voilà, voilà, voilà juste ici
Moi mon rêve mon envie, comme j’en crève comme j’en ris
Me voilà dans le bruit et dans le silence
Ne partez pas, j’vous en supplie restez longtemps
Ça m’sauvera peut-être pas, non
Mais faire sans vous j’sais pas comment
Aimez moi comme on aime un ami qui s’en va pour toujours
J’veux qu’on m’aime parce que moi je sais pas bien aimer mes contours
Voilà, voilà, voilà, voilà qui je suis
Me voilà même si mise à nue c’est fini
Me voilà dans le bruit et dans la fureur aussi
Regardez moi enfin et mes yeux et mes mains
Tout c’que j’ai est ici, c’est ma gueule c’est mon cri
Me voilà, me voilà, me voilà
Voilà, voilà, voilà, voilà
Voilà
Je ne vous aime pas, ô blonde Célimène,
Et si vous l’avez cru quelque temps, apprenez
Que nous ne sommes point de ces gens que l’on mène
Avec une lisière et par le bout du nez ;
Je ne vous aime pas…depuis une semaine,
Et je ne sais pourquoi vous vous en étonnez.
Je ne vous aime pas ; vous êtes trop coquette,
Et vos moindres faveurs sont de mauvais aloi ;
Par le droit des yeux noirs, par le droit de conquête,
Il vous faut des amants. (On ne sait trop pourquoi.)
Vous jouez du regard comme d’une raquette ;
Vous en jouez, méchante…et jamais avec moi.
Je ne vous aime pas, et vous aurez beau faire,
Non, madame, jamais je ne vous aimerai.
Vous me plaisez beaucoup ; certes, je vous préfère
À Dorine, à Clarisse, à Lisette, c’est vrai.
Pourtant l’amour n’a rien à voir dans cette affaire,
Et quand il vous plaira, je vous le prouverai.
J’aurais pu vous aimer ; mais, ne vous en déplaise,
Chez moi le sentiment ne tient que par un fil…
Avouons-le, pourtant, quelque chose me pèse :
En ne vous aimant pas, comment donc se fait-il
Que je sois aussi gauche, aussi mal à mon aise
Quand vous me regardez de face ou de profil ?
Je ne vous aime pas, je n’aime rien au monde ;
Je suis de fer, je suis de roc, je suis d’airain.
Shakespeare a dit de vous : « Perfide comme l’onde » ;
Mais moi je n’ai pas peur, car j’ai le pied marin.
Pourtant quand vous parlez, ô ma sirène blonde,
Quand vous parlez, mon cœur bat comme un tambourin.
Je ne vous aime pas, c’est dit, je vous déteste,
Je vous crains comme on craint l’enfer, de peur du feu ;
Comme on craint le typhus, le choléra, la peste,
Je vous hais à la mort, madame ; mais, mon dieu !
Expliquez-moi pourquoi je pleure, quand je reste
Deux jours sans vous parler et sans vous voir un peu.
Nous sommes des météores à gueule de planète.
Notre ciel est une veille, notre course une chasse,
et notre gibier est une goutte de clarté.
Ensemble nous remettrons la Nuit sur ses rails ;
et nous irons, tour à tour nous détestant et nous aimant,
jusqu’aux étoiles de l’aurore.
J’ai cherché dans mon encre ce qui ne pouvait être quêté :
la tache pure au-delà de l’écriture souillée.
En poésie, devenir c’est réconcilier.
Le poète ne dit pas la vérité ; il la vit ;
et la vivant, il devient mensonger.
Paradoxe des Muses : justesse du poème.
Dans le tissu du poème doit se retrouver un nombre égal de tunnels dérobés,
de chambres d’harmonie, en même temps que d’éléments futurs,
de havres au soleil, de pistes captieuses et d’existants s’entr’appelant.
Le poète est le passeur de tout cela qui forme un ordre.
Et un ordre insurgé.
Je déteste aujourd’hui le retour du soleil,
Et des champs repeuplés le verdoyant réveil.
La terre caressante étincelle de charmes,
L’univers se ranime… Et je meurs dans les larmes !
Que me font aujourd’hui ces feuilles, ces ruisseaux,
Et ces mouches d’azur sur les boutons nouveaux,
Ces papillons, ces fleurs, la campagne si belle
Qu’il verra sans moi, que je verrai sans lui !
C’est lui qui créait la richesse des cieux,
Et je la recueillais moi-même de ses yeux !
Des ailes du printemps la poussière émaillée
A beau, dans les vallons, fleurir éparpillée,
Mon ombre en y passant consume les gazons.
Mes chagrins sans ressource ont changé les saisons,
Et, comme un crêpe en deuil jeté sur sa parure,
Un reflet de ma vie a fané la nature.
Si vous saviez comme
j’ai peur de vous perdre
comme je déteste les journées vides
passées à vous attendre
qui tournent au ralenti
quand sous le soleil des lampes
votre visage s’inscrit.
(Bruno Mabille)
Recueil: A celle qui s’avance
Traduction:
Editions: Gallimard
Si je m’évade il vient à ma rencontre.
Il me surveille, il ne me quitte pas.
Il me connaît comme on connaît ses mains.
Il me déteste, il m’aime tour à tour.
Il me détruit ne se détruisant pas.
Je l’ai suivi, je connais ses pratiques.
Je lui dis tu quand il m’est étranger.
S’il était là sans que j’y sois moi-même,
j’aurais gagné mon étrange combat.
Nous sommes deux, parfois nous sommes mille.
Nous répétons je tu il nous vous ils
et tous les temps ne nous suffisent pas
pour conjuguer nos verbes condamnables.
Il vit en moi mais je sais qu’il est autre
et je suis l’autre aussi quand il est moi.
Ce corps étroit ne nous contient qu’à peine
et nous serons tous deux même cadavre.
(Robert Sabatier)
Recueil: Oeuvres poétiques complètes
Traduction:
Editions: Albin Michel
Je ne sais, ni ce que je suis,
ni ce que je fais, ni ce que je désire:
je suis déchirée par mille mouvements contraires:
Peut-on s’imaginer un état si déplorable?
Je vous aime éperdument,
et je vous ménage assez pour n’oser, peut-être,
souhaiter que vous soyez agité des mêmes transports
[…]
Adieu, je voudrais bien ne vous avoir jamais vu.
Ah! je sens vivement la fausseté de ce sentiment,
et je connais dans le moment que je vous écris,
que j’aime bien mieux être malheureuse en vous aimant
que de ne vous avoir jamais vu ;
je consens donc sans murmure à ma mauvaise destinée,
puisque vous n’avez pas voulu la rendre meilleure.
Adieu, promettez-moi de me regretter tendrement,
si je meurs de douleur
[…]
cependant je vous remercie dans le fond de mon coeur
du désespoir que vous me causez,
et je déteste la tranquillité, où j’ai vécu,
avant que je vous connusse.
(Gabriel-Joseph Guilleragues)
Recueil: Quand on n’a que l’amour
Editions: Bruno Doucey
Reprends de ce bouquet les trompeuses couleurs,
Ces lettres qui font mon supplice,
Ce portrait qui fut ton complice ;
Il te ressemble, il rit, tout baigné de mes pleurs.
Je te rends ce trésor funeste,
Ce froid témoin de mon affreux ennui.
Ton souvenir brûlant, que je déteste,
Sera bientôt froid comme lui.
Oh ! Reprends tout. Si ma main tremble encore,
C’est que j’ai cru te voir sous ces traits que j’abhorre.
Oui, j’ai cru rencontrer le regard d’un trompeur ;
Ce fantôme a troublé mon courage timide.
Ciel ! On peut donc mourir à l’aspect d’un perfide,
Si son ombre fait tant de peur !
Comme ces feux errants dont le reflet égare,
La flamme de ses yeux a passé devant moi ;
Je rougis d’oublier qu’enfin tout nous sépare ;
Mais je n’en rougis que pour toi.
Que mes froids sentiments s’expriment avec peine !
Amour… que je te hais de m’apprendre la haine !
Eloigne-toi, reprends ces trompeuses couleurs,
Ces lettres, qui font mon supplice,
Ce portrait, qui fut ton complice ;
Il te ressemble, il rit, tout baigné de mes pleurs !
Cache au moins ma colère au cruel qui t’envoie,
Dis que j’ai tout brisé, sans larmes, sans efforts ;
En lui peignant mes douloureux transports,
Tu lui donnerais trop de joie.
Reprends aussi, reprends les écrits dangereux,
Où, cachant sous des fleurs son premier artifice,
Il voulut essayer sa cruauté novice
Sur un coeur simple et malheureux.
Quand tu voudras encore égarer l’innocence,
Quand tu voudras voir brûler et languir,
Quand tu voudras faire aimer et mourir,
N’emprunte pas d’autre éloquence.
L’art de séduire est là, comme il est dans son coeur !
Va ! Tu n’as plus besoin d’étude.
Sois léger par penchant, ingrat par habitude,
Donne la fièvre, amour, et garde ta froideur.
Ne change rien aux aveux pleins de charmes
Dont la magie entraîne au désespoir :
Tu peux de chaque mot calculer le pouvoir,
Et choisir ceux encore imprégnés de mes larmes…
Il n’ose me répondre, il s’envole… il est loin.
Puisse-t-il d’un ingrat éterniser l’absence !
Il faudrait par fierté sourire en sa présence :
J’aime mieux souffrir sans témoin.
Il ne reviendra plus, il sait que je l’abhorre ;
Je l’ai dit à l’amour, qui déjà s’est enfui.
S’il osait revenir, je le dirais encore :
Mais on approche, on parle… hélas ! Ce n’est pas lui !