La poésie vient te trouver en vélo, en mobylette, en voiture
parfois elle arrive comme une amazone le glaive dressé
parfois elle te suit à la sortie du supermarché comme une mendiante en haillons
elle t’entraîne telle une porno-star dans les abysses imaginaires
elle te rappelle à l’ordre comme un directrice de maison de redressement
elle t’apparaît dans les tréfonds du sommeil telle une vierge immaculée
(…)
Si j’étais patron d’usine,
Je jouerais au cerf-volant.
J’aurais pu devenir directeur
D’une fabrique de savon.
J’aimais trop les nuages,
Et je dessinais un coeur
Avec les bulles du bonheur.
Un marchand de canons
avait des soucis
(qui n’en a pas ?)
Son chiffre d’affaires
baissait, baissait
– était dérisoire, en somme.
Je ferais mieux de vendre
des scies ou des rasoirs,
disait-il à son président
président directeur général.
Et le monstre, honnête commerçant,
pour soulager
soulager sa peine et sa misère
faisait une prière
prière quotidienne
pour que
pour que la guerre
la guerre
la guerre enfin, quoi
la guerre arrange, mais oui,
arrange ses affaires
ses petites affaires
qui baissaient, qui baissaient
dans un monde
un monde si difficile,
si difficile à vivre
aujourd’hui.
(Jules Mougin)
Recueil: Le rire en poésie
Traduction:
Editions: Gallimard
Voici l’évènement
et le jour sans pareil
le jour des solennités opaques
le jour considérable
le grand jour
Oh
grand
c’est façon de parler
Pour le monde
c’est un jour comme les autres
et l’évènement
ne résout aucun
des grands problèmes humains
n’affecte aucun
nègre d’Amérique
aucun enfant pleurant de faim
une larme dans l’oeil
aucun cardinal aux ongles dorés
aucun président
aucun directeur
aucun général
personnages en quête d’Histoire
aucun
de mes semblables
sauf ma femme
peut-être
et mon voisin de palier
Pardonnez-moi d’exagérer
objectivement
il ne se passe
rien de neuf
rien d’important
rien de grave
rien
1
Sur la route de Vincennes
Par Grenoble et Montauban
Près du Havre et Valenciennes
J’ai rencontré des enfants
Qui m’ont accueilli
Par ces cris:
{Refrain}
Où allez-vous ? Où allez-vous ?
Qui êtes-vous
Parmi les autres ?
Avec les autres?
Ou avec nous ?
Nous vous tendons notre main,
Mais passez votre chemin,
Si vous avez besoin
D’une nounou,
D’un percepteur,
D’un directeur,
Pour votre goût!
Si vous aimez les coups
Sur votre jou(e)
Et tout et tout,
Si vous vous mettez à genoux
Devant les fous
Vous n’êtes pas avec nous!
Mais si vous avez du coeur
Et de l’ardeur
Si vous aimez vivre
Et si les vieux livres
Et si les gros sous
Ne sont pas tout
Pour vous
Vous êtes avec Nous.
Vous êtes avec Nous.
2
Plus loin près de la fontaine
Deux belles m’ont appelé
Le vent soufflait dans les chênes
L’air était tout embaumé
Et elles m’ont dit
À grands cris: {Refrain}
3
Au milieu des champs de vignes
Des vieillards à l’oeil joyeux
Qui me faisaient de grands signes
M’offrir’nt un vin délicieux
Ah! ça c’est gentil!
Ils m’ont dit: {Refrain}
4
Lorsque j’entrai dans la ville
J’aperçus des ouvriers
Jean, Jacques, Pierre et Emile
Avec qui j’ai déjeuné
Oui mais ils m’ont dit
Mon ami:
5
Et maintenant par le monde
Je marche avec des amis
Et le soleil à la ronde
Éclaire tous les pays
Mais à tous je dis
Mes amis: {Refrain}
(Robert Desnos)
Recueil: Les Voix intérieures
Traduction:
Editions: L’Arganier
D’autres villes d’autres échos
Il faut bien que le son
finisse sa course passant par nous
Modifié par nous chaque obstacle vivant
atténue sa stridence
Chaque arbre et chaque maison
chaque camion sur la route pierreuse
chaque directrice de projet à la banque
chaque homme lisant son journal au café
chaque collégienne en uniforme et le chat
fait ses griffes sur le tronc mince
du laurier-rose avant de tourner
au coin de la rue
« Je suis le Président-Directeur Général
de l’univers », dit Dieu,
« une entreprise
que je souhaite plus rentable.
Le moindre travailleur, coccinelle ou taureau,
y a droit au soleil,
à la musique, au vague à l’âme.
Je n’exclus pas les apprentis,
comme la source du ruisseau
ou le bourgeon de la pivoine.
Même les retraités,
l’étoile veuve et la très vieille lune
doivent connaître le bonheur.
Je leur rendrai visite, un de ces jours:
ensemble, soyons productifs. »