Rose solaire et solitaire
Immobile midi qu’aucune odeur ne trouble
Que nul mot ne rassure ou distrait de son feu
Un lent pétale las d’une si longue attente
Glisse au revers des astres
Se mêle au poudroiement doré d’étés lointains
O jardins abolis
O la rose entrouvrant pour nous sa robe d’ombre
Où luisait le coléoptère
Serti dans le coeur du mystère.
On dit : c’est un faiseur de jolies choses
Qui cueille des sourires charmants
Tout le long de sa route
Avec des roses,
Des lilas et des muscats;
On dit : c’est un amuseur seulement,
Un ciseleur de vers délicats;
On dit tout cela sans doute,
Mais sait-on si le potier songeant,
Qu’on voit penché sur son tour
Avec le burin, les émaux et les vernis,
Ne s’attarde pas à orner avec amour
La précieuse coupe d’argent
Pour distraire son coeur d’une peine infinie ?
Amour, mon juvénile emblème,
Revenu dorer la terre,
Épars dans le jour rocheux,
C’est la dernière fois que je regarde
(Au pied du ravin, d’eaux
Brusques somptueux, endeuillé
D’antres) la traînée de lumière
Qui pareille à la plaintive tourterelle
Sur l’herbe distraite se trouble.
Amour, santé lumineuse,
Les années à venir me pèsent.
Lâchée ma canne fidèle,
Je glisserai dans l’eau sombre
Sans regret.
Mort, aride rivière…
Soeur sans mémoire, mort,
D’un seul baiser
Tu me feras l’égal du songe.
J’aurai ton même pas,
J’irai sans laisser de traces.
Tu me feras le coeur immobile
D’un dieu, je serai innocent,
Je n’aurai plus ni pensers, ni bonté.
L’esprit muré,
Les yeux tombés en oubli,
Je servirai de guide au bonheur.
(Giuseppe Ungaretti)
Recueil: Vie d’un homme Poésie 1914-1970
Traduction:
Editions: Gallimard
Qui trouve au bord du dénuement
sur les remparts de sa faim
une larme discrète
l’amère saveur du chaos
qui du fond de sa solitude
tire un visage attentif
une fontaine coutumière
et parle sans souci de ses propres embûches
celui-là sait que Dieu s’installe dans le corps
pour une éternité première
et rien ne peut plus le distraire
de cette voix qui s’est tue
au centre de l’épi.
(Jean Sénac)
Recueil: Oeuvres poétiques
Traduction:
Editions: Actes Sud
Les flammes cruelles ont dévoré entièrement la maison où je suis né.
Alors je me suis embarqué sur un vaisseau tout doré, pour distraire mon chagrin.
J’ai pris ma flûte sculptée, et j’ai dit une chanson à la lune ;
mais j’ai attristé la lune qui s’est voilée d’un nuage.
Je me suis retourné vers la montagne, mais elle ne m’a rien inspiré.
Il me semblait que toutes les joies de mon enfance étaient brûlées dans ma maison.
J’ai eu envie de mourir, et je me suis penché sur la mer.
A ce moment une femme passait dans une barque ;
j’ai cru voir la lune se refléter dans l’eau.
Si elle voulait, je me rebâtirais une maison dans son cœur.
(Textes chinois)
Recueil: Le Livre de Jade
Traduction: Judith Gautier
Editions: Plon