Mais ces oiseaux qui volaient haut dans le soir,
En chantant malgré le vent et malgré l’ombre.
Disaient-ils point, ah, si fiers en ce décombre!
L’inexorable dureté de l’espoir.
La peur entrait dans la bête et dans la plante,
Les angoisses peuplaient l’air alentour, mais
Ces oiseaux, alors, chantèrent à jamais,
Ignorants de la lumière fléchissante.
Déjà le jour noircissait dans les roseaux,
Un deuil froid poignait les choses de la plaine,
Tout mourait, dans quel secret ! et cette peine
Était longue sur l’étang.
Mais ces oiseaux…
Nos désirs sont d’amour la dévorante braise,
Sa boutique nos corps, ses flammes nos douleurs,
Ses tenailles nos yeux, et la trempe nos pleurs,
Nos soupirs ses soufflets, et nos sens sa fournaise.
De courroux, ses marteaux, il tourmente notre aise
Et sur la dureté, il rabat nos malheurs,
Elle lui sert d’enclume et d’étoffe nos coeurs
Qu’au feu trop violent, de nos pleurs il apaise,
Afin que l’apaisant et mouillant peu à peu
Il brûle d’avantage et rengrège son feu.
Mais l’abondance d’eau peut amortir la flamme.
Je tromperai l’enfant, car pensant m’embraser,
Tant de pleurs sortiront sur le feu qui m’enflamme
Qu’il noiera sa fournaise au lieu de l’arroser.
La musique allait seule. il n’y avait plume, pelage,
lait ou fumée ou noms. Ce n’était jour ni nuit.
Seule entre les planètes, de l’éclipse naissant
la musique tremblait tout comme un vêtement.
Soudain le feu, le froid gemmèrent une goutte
et l’univers dressa son spacieux étalage,
lave, cendre hérissée et aurore glissante,
tout transmigra de dureté en dureté,
et sous l’humidité céleste fraîche éclose
le diamant instaura sa symétrie glacée.
Alors le son premier,
la musique esseulée, la musique du monde
se glaça et tomba en étoile changée,
en harpe ou en cithare, en silence ou en pierre.
Dans le froid de l’hiver, sur 1a côte chilienne,
lorsque la pluie s’abat et lave les semaines,
oyez : la solitude est à nouveau musique,
et je ne sais, mais il me semble que le vent,
la pluie, le temps, cela qui a ailes et vagues,
passe et grandit. La harpe, de l’oubli s’éveille.
Ô longs désirs, ô espérances vaines,
Tristes soupirs et larmes coutumières
A engendrer de moi maintes rivières,
Dont mes deux yeux sont sources et fontaines !
Ô cruautés, ô duretés inhumaines,
Piteux regards des célestes lumières,
Du cœur transi ô passions premières,
Estimez-vous croître encore mes peines ?
Qu’encor Amour sur moi son arc essaie,
Que nouveaux feux me jette et nouveaux dards,
Qu’il se dépite, et pis qu’il pourra fasse :
Car je suis tant navrée en toutes parts
Que plus en moi une nouvelle plaie,
Pour m’empirer, ne pourrait trouver place.
Légèreté
tromperie fameuse et jeu de dupes
On pariait alors pour l’épure
on s’appliquait aux mots d’envol
Donnez-moi maintenant un corps lourd
la boue les scories la vieille résistance
du poids sur la terre
non plus la retenue le juste équilibre
mais la dureté d’un corps de femme
souple et féroce
(Jean-Marie Barnaud)
Recueil: Fragments d’un corps incertain
Editions: Cheyne
Femme du tréfonds des univers
femme coulée d’argile et d’or
femme cadeau de l’enfer
femme trophée de guerre
femme souveraine des hommes
femme entrailles d’abondance
au visage de ma mère
au visage de ma soeur
au visage de l’inconnue
le verdict entaché de larmes éternelles
lavant draps oreillers et matelas
de la matrice à la tombe
dis-moi pourquoi tes tripes logent
l’amertume le pardon le remords
l’acceptation la révolte la colère
sous les côtes de l’autre
le mâle endimanché
de son glaive de son poing
de son fusil de son discours
gouffre qui te fascine
en un souffle rauque
sous la dureté du ventre
douce femelle sans saison
ta renaissance viendra de l’obscurité
en éclats de lumière inespérée
car tes os poussiéreux
sont pureté de diamant
l’éternité sous des décombres.