Les petits ont deux mois; fourrés comme des ours,
Lustrés comme des loirs, ils sont bien de leur race.
Juin flambe en eux, jamais leur souplesse n’est lasse ;
Il faut à leurs ébats les seize heures des jours.
Dressant leurs reins arqués sur leurs pieds de velours
Ils s’affrontent; soudain, l’un à l’autre s’enlace;
Ils roulent; tous leurs jeux sont des assauts de grâce;
Auprès d’eux les chevreuils bondissants semblent lourds.
La grâce en les enfants, la beauté dans les roses,
La nature impuissante en ses métamorphoses,
N’a que deux fois produit le chef-d’oeuvre parfait.
Hors d’elle, l’art vagit empêtré dans ses langes.
Qu’a fait l’orgueil humain ? les peintres, qu’ont-ils fait ?
Corrège, des amours, et Raphaël, des anges !
(Hippolyte Taine)
Recueil: le chat en cent poèmes
Traduction:
Editions: Omnibus
Au printemps le fleuve déborde, s’unissant à la mer,
De l’océan, la lune monte avec la marée;
Scintillante, suivant les flots sur dix mille lis,
La lune glisse omniprésente le long du fleuve au printemps.
Le courant serpente entre les prairies parfumées,
Les arbres fleuris deviennent neigeux sous les rayons argentés;
Dans l’air qui semble condensé, se meut le givre
Qui voile les rives sablonneuses, à peine distinctes.
Ciel et fleuve, sans l ‘ombre d ‘une poussière, forment un camaïeu pur,
Au-dessus duquel brille une lune solitaire dans le firmament infini;
Qui fut le premier à contempler la lune au bord du fleuve?
Et quand pour la première fois, la lune a-t-elle éclairé la nuit?
La vie se perpétue, génération après génération,
Fleuve et lune paraissent immuables, année après année.
Innombrables sont les hommes qui s’en sont allés sous cette lune,
Seul demeure le grand Yangtsé charriant ses eaux précipitées.
Autant me semble, éloigné ce flocon de nuage qui va s’effilochant,
Autant est triste l’homme sur la rive aux érables verts;
Cette nuit-dans quelle maison, pense-t-on au voyageur sur l ‘eau
Sous cette lune qui s’attriste d’éclairer en solitaire le pavillon vide?
Elle s’y attarde, comme accrochée par dessus son toit,
Et pénètre le boudoir habité par une âme esseulée.
Elle se présente, insistante, à la fenêtre au rideau tiré,
Indélébile sur la planche où tomberont les coups du battoir.
A cette heure, à défaut de nouvelle, nous regardons la même lune,
Mais je voudrais être un de ces rayons qui te caresse…
Que l ‘oie sauvage porte mon message aussi loin que la lune!
Que les ondes nées des ébats des poissons composent mon courrier!
La nuit précédente, un rêve, où les pétales tombaient sur l’étang;
La mi-printemps déjà passée, et toi, malheureuse, tu ne me reviens pas…
Avec les eaux du fleuve, le printemps touche presque à sa fin,
A l’ouest, près de l ‘étang, la lune est sur son déclin;
Elle va bientôt se coucher au fond de la mer brumeuse,
Mais longue est la route, avant que les fleuves, Xiao et Xiang se rejoignent:
Combien sont-ils, ceux qui rentrent au clair de lune, cette nuit-là?
A la lune déclinée, les arbres du fleuve soupirent, mélancoliques.
Nous appliquons la lune,
Nous étendons la brume
Sur la blessure
Inguérissable des clairières,
Sans poids.
Le soir sous la lune
Nous avons des ébats que même la lune
Ne voit pas.
Nous faisons danser
En rondes brunes
Les haltes des rivières
L’ébat des bois.
Venus sans grands projets
Veulent de grands jets;
Nous voulons un monde
En grandes robes de soirée,
Pour servir la rosée.
Nous ne sommes pour personne, nous sommes!
… lutins remuants! Les hommes
Sont trop lourds pour savoir
Que pour nous un instant les eaux
Et l’ombre ont dansé.
(Armand Robin)
Recueil: Ma vie sans moi suivi de Le monde d’une voix
Traduction:
Editions: Gallimard
Ni pour baiser ton bel œil
Que tu remplis trop d’orgueil.
Ni pour sucer à mon aise
La fraise de ton téton.
Tout cela, ma Jeannelon,
Ne peut éteindre ma braise.
Ainsi au lieu de l’étouffer
Je la sens plus s’échauffer
Après que je t’ai baisée :
L’haleine qui sort de toi
S’écoule au profond de moi,
Et la rend plus embrasée.
Mais aussi ne veux-tu point
Que je parvienne à ce point
Où chaque amoureux aspire?
Crois que si j’avais cet heur,
J’aurais plus de joie au cœur
Que si j’avais un empire.
Tu dis me vouloir du bien,
Mais pourtant je n’en crois rien;
J’ai beau te crier à l’aide,
Tu me vois bien consumer :
Vraiment ce n’est m’aimer
De ne m’offrir le remède.
C’est bien loin de me l’offrir
De me laisser là souffrir
Sans te chaloir de ma peine.
Que tu as peu d’amitié,
Pour t’émouvoir à pitié !
Toute ma prière est vaine.
Fais-moi, fais-moi ce plaisir
De contenter mon désir.
Et je prierai la déesse
Qui gouverne les amours.
Qu’elle bien-heure toujours
L’ébat de notre jeunesse.
(De La Ronce)
Recueil: Poètes du Baiser
Editions: Société des Éditions LOUIS-MICHAUD
Oh ! que j’aime la solitude !
Que ces lieux sacrés à la nuit,
Éloignés du monde et du bruit,
Plaisent à mon inquiétude !
Mon Dieu! que mes yeux sont contents
De voir ces bois, qui se trouvèrent
A la nativité du temps
Et que tous les siècles révèrent,
Être encore aussi beaux et verts
Qu’aux premiers jours de l’univers !
Que je trouve doux le ravage
De ces fiers torrents vagabonds,
Qui se précipitent par bonds
Dans ce vallon vert et sauvage !
Puis, glissant sous les arbrisseaux,
Ainsi que des serpents sur l’herbe,
Se changent en plaisants ruisseaux,
Où quelque Naïade superbe
Règne comme en son lit natal,
Dessus un trône de cristal !
Que j’aime à voir la décadence
De ces vieux châteaux ruinés,
Contre qui les ans mutinés
Ont déployé leur insolence !
Les sorciers y font leur sabbat ;
Les démons follets s’y retirent,
Qui, d’un malicieux ébat,
Trompent nos sens et nous martyrent ;
Là se nichent en mille trous
Les couleuvres et les hiboux.
L’orfraie, avec ses cris funèbres,
Mortels augures des destins,
Fait rire et danser les lutins
Dans ces lieux remplis de ténèbres.
Sous un chevron de bois maudit
Y branle le squelette horrible
D’un pauvre amant qui se pendit
Pour une bergère insensible,
Qui d’un seul regard de pitié
Ne daigna voir son amitié ….
L’hiver peut bien bleuir
jusqu’au marbre
la chair des alphabets
l’apprentypographe n’a pas peur
l’apprentypographe n’a pas froid
il tient l’été
serré entre deux doigts
Nous appliquons la lune,
Nous étendons la brume
Sur la blessure
Inguérissable des clairières,
Sans poids.
*
Le soir sous la lune
Nous faisons danser
En rondes brunes
Les haltes des rivières
L’ébat des bois
*
Venus sans grands projets
Veulent de grands jets ;
Nous voulons un monde
En grandes robes de soirée,
Pour servir la rosée.
*
Nous ne sommes pour personne, nous sommes!
Les lutins remuent, les hommes
Sont trop lourds pour savoir
Que pour nous un instant les eaux
Et l’ombre ont dansé.