Les choses étaient-elles bonnes alors ?
Oui. Elles étaient bonnes.
Le savais-tu qu’elles étaient bonnes ?
À l’époque ? À ton époque ?
Non, parce que je m’inquiétais
ou peut-être j’avais faim
ou j’étais endormie, la moitié du temps.
Parfois, il y avait une poire ou une prune
ou une tasse avec quelque chose dedans,
ou un rideau blanc, ondulant.
C’était joyeux.
Ou alors une main.
Imaginez : lumière tamisée,
tente orientale,
canopée, beauté, plénitude,
corps lovés et chéris,
effervescences, puis plus rien.
Mirages, à vous de décider.
Tout, jamais.
Bien que par-dessus ton épaule, le voici,
ton propre temps disposé comme un pique-nique
au soleil, toujours rayonnant
bien que ce soit la nuit.
Ne regardez pas derrière vous, disent-ils :
Vous transformerez tout en sel.
Mais pourquoi pas ? Pourquoi ne pas regarder ?
N’est-ce pas scintillant ?
N’est-ce pas joli, là derrière soi ?
(Margaret Atwood)
Recueil:Poèmes tardifs
Traduction: Christine Évain & Bruno Doucey
Editions: Pavillons
Chair frémissante du prodige
angoisse et volupté mêlées
l’homme se remet en chemin
à peine courbé sous le vent
dans l’effervescence des herbes
dont s’éprend un coquelicot
frêle rescapé des semailles
J’ai toujours voulu
tout accueillir tout aimer
tout faire vivre
d’un seul regard démultiplié
m’accorder à ma ligne de plus haute tension
par-delà la fatigue
par-delà l’épuisement
tout accueillir tout
aimer
aller
aller plus avant
vers les grands creusets de l’effervescence
ne jamais en finir avec l’infini
doter chaque instant
d’une présence authentique
dernier souffle premier souffle
Écouter enfin
écouter autrement
écouter toute la palette
de mon radar intime
m’ouvrir
à tous les confins
vivre sept ou neuf vies
en vigueur folle
en vibrant retour de présence
faire jongler la création
ne pas cesser
d’apprendre à naître
jouer en tous lieux et en tous temps
de mon clavier d’apesanteur
comme d’un absolu trait d’union
dernier souffle premier souffle
Autrement
obstinément
là
où les corps s’électrisent
dans l’insoupçonnable
don de soi
là
où l’on fait chanter les contraires
au pays
des langues-univers
des immersions fertiles
des transes ciselées
des justesses transformantes
là
où l’on se reconnaît toujours
dernier souffle premier souffle
Un seul mot
et le monde cesse d’être hostile
un seul mot
et je rejoins le point d’orgue des éblouis
j’entre en résonance
avec la ferveur du big-bang
je convoque mes frères d’altitude
chasseurs subtils
blasons de pur vertige
danseurs d’accélération
tous ceux qui vont et viennent
s’attardent ou jaillissent
entre la vie et la mort
l’eau et le feu
l’oubli et l’extase
dernier souffle premier souffle
Face aux pièges à néant
aux grandes schizophrénies mortifères
qui dévastent
l’esprit même de la planète
je me voue
inlassablement
à l’aïkido du coeur
libre
d’être toujours plus libre
tel un guerrier des bienveillances radicales
libre de tout donner
pour ces instants où la sève
déborde
s’enfièvre davantage
fermente en turbulences
dernier souffle premier souffle
Venise New York Bénarès
au centre
de la ligne d’horizon
l’esprit et l’espace
respirent
ensemble
la lumière irrigue
le réseau des veines
mille poèmes
en amont du poème
mille voix
en amont de la voix
l’amour l’énergie l’amour
il est temps de plonger
pour étreindre les sirènes
dernier souffle premier souffle
Par-delà ces tremblements d’ailes noires
libre
de tout donner pour ce désir
souriant
libre de ne plus croire à rien
sinon
au baume du doute
à l’ardente lucidité
libre
d’exacerber les
précipices
de consentir à l’imprévisible
souffle du sommeil
souffle du poème
dernier souffle premier souffle
second souffle
(Zéno Bianu)
Recueil: Satori Express
Editions: Le Castor Astral
L’hiver venait à peine de mourir
et tout était offert
de ce qu’on appelle la terre et le ciel
la mer et ses cantiques
ce qui n’est à personne
un peuple de graminées
à l’ancre d’un rocher
l’air cru l’effervescence
la lune sur les prés
dans un autre silence
Je suis né dans un arbre
Et l’arbre on l’a coupé
Dans le soufre et l’asphalte
Il me faut respirer
Mes racines vont sous le pavé
Chercher une terre mouillée
Qui suis-je
Qu’y puis-je
Dans ce monde en litige
Qui suis-je
Qu’y puis-je
Dans ce monde en émoi ?
On m’a mis à l’école
Et là j’ai tout appris
Des poussières qui volent
À l’étoile qui luit
Une fois que j’ai tout digéré
On me dit « Le monde a changé ! »
Qui change
Qui range
Dans ce monde en mélange
Qui change
Qui range
Dans ce monde en émoi ?
On m’a dit « Faut te battre ! »
On m’a dit « Vas-y ! »
On me donne une grenade
On me flanque un fusil
Une fois qu’on s’est battu beaucoup
On me dit « Embrassez-vous ! »
Qui crève
Qui rêve
Dans ce monde sans trêve
Qui crève
Qui rêve
Dans ce monde en émoi ?
J’ai pris la route droite
La route défendue
La route maladroite
Dans ce monde tordu
En allant tout droit tout droit tout droit
Je me suis retrouvé derrière moi !
Qui erre
Qui espère
Dans ce monde mystère
Qui erre
Qui espère
Dans ce monde en émoi ?
On m’a dit « la famille »,
Les dollars les autos
On m’a dit « la faucille »,
On m’a dit « le marteau »,
On m’a dit on m’a dit on m’a dit
Et puis on s’est contredit !
Qui pense
Qui danse
Dans cette effervescence
Qui pense
qui danse
Dans ce monde en émoi ?
Mes amours étaient bonnes
Avant que les docteurs
Me disent que deux hormones
Nous dirigent le cœur
Maintenant quand j’aime je suis content
Que ça ne vienne plus de mes sentiments !
Qui aime
Qui saigne
Dans ce monde sans thème
Qui aime
Qui saigne
Dans ce monde en émoi ?
Et pourtant je me jette
Et j’aime et je me bats
Pour des mots pour des êtres
Pour cet homme qui va
Tout au fond de moi je crois je crois
Je ne sais plus au juste en quoi !
Qui suis-je
Qu’y puis-je
Dans ce monde en litige
Qui suis-je
Qu’y puis-je
Dans ce monde en émoi ?
J’ai toujours voulu
tout accueillir tout aimer
tout faire vivre
d’un seul regard démultiplié
m’accorder à ma ligne de plus haute tension
par-delà la fatigue
par-delà l’épuisement
tout accueillir tout
aimer
aller
aller plus avant
vers les grands creusets de l’effervescence
ne jamais en finir avec l’infini
doter chaque instant
d’une présence authentique
dernier souffle premier souffle