La vieille charrette pousse ses lamentations stridentes le long du chemin ocre
Et laisse derrière elle des sillons de poussière dans le soir venu.
Un couple l’encadre d’efforts ; il pousse, elle tire.
Où conduiront leurs pas lourds qui les éloignent du foyer ?
La faim ne se laisse pas tromper par les feuilles d’orme que nous mangeons.
Nous espérons une terre qui nous donnera un peu de riz.
La main glacée du vent agite les joncs desséchés.
Mais voilà que surgit au loin une ancienne demeure.
Ils auront peut-être gardé pour l’étranger un coin de table.
La porte est muette, la salle est vide, le feu et la marmite absents.
Ils hésitent sur le seuil ouvert de la route désertée ;
Une pluie de larmes inonde leurs joues creuses.
(Chen Zilong)
(1608-1647)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Certains veulent la richesse
et s’habiller comme un roi.
Il y a ceux qui ne veulent rien faire.
Ils n’aiment pas faire d’effort.
Certaines personnes parlent toujours trop,
et ne disent pas la Vérité,
et alors ils critiquent tout
et trouvent qu’il n’y a rien qui aille bien.
Mais pour moi, pas pour moi,
ce n’est pas ce que je veux :
Paradis, Paradis, je préfère le Paradis,
Paradis, Paradis, Paradis !
Le Paradis, le Paradis, je préfère le Paradis,
Le Paradis, le Paradis, le Paradis !
Certaines personnes ne pensent qu’à être grand.
Elles veulent monter au Ciel, fanatiques et fières,
elles pensent être je ne sais quoi.
Il y a ceux qui rêvent de grandes carrières
avec de grandes pompes et des laquais,
toujours ils veulent réussir,
et avoir des honneurs en quantité.
Mais pour moi, pas pour moi, ce n’est pas ce que je veux.
Paradis, Paradis, je préfère le Paradis,
Paradis, Paradis, Paradis !
Le Paradis, le Paradis, je préfère le Paradis,
Le Paradis, le Paradis, le Paradis !
***
Preferisco il Paradiso
C’è chi ama la ricchezza
e vestirsi come un re
c’è chi non vuol fare niente
non gli va di faticar.
C’è chi parla sempre troppo,
non sa dir la verità
e poi critica ogni cosa
non c’è nulla che va ben.
Ma per me
no, non va
non è quel che piace a me.
Paradiso,
Paradiso,
preferisco il Paradiso,
Paradiso, Paradiso
Paradiso.
Paradiso,
Paradiso,
preferisco il Paradiso,
Paradiso, Paradiso,
Paradiso.
C’è chi crede d’esser grande
Vuol salire fino al ciel
È fanatico e superbo,
crede d’esser chissà che.
C’è chi sogna gran carriere
grandi inchini ed i lacchè,
vuole sempre aver successo
ed onori in quantità.
Ma per me
no, non va
non è quel che piace a me.
Paradiso,
Paradiso,
preferisco il Paradiso,
Paradiso, Paradiso,
Paradiso.
Paradiso,
Paradiso,
preferisco il Paradiso,
Paradiso, Paradiso,
La beauté est divine
et, plus qu’humaine,
elle naît pourtant d’un simple regard,
des gestes de la servante,
du reflet de sa silhouette dans le lac de Pushkar,
du souvenir de son parfum mêlé à la sueur laiteuse,
du chant du qawwal, prière passionnée,
de l’abandon et de la possession des corps,
de la fatigue qui suit l’effort,
du sourire du gamin édenté comme du silence de l’ascète,
de ton refus digne comme de ma confiance inébranlable.
Hafez l’a si bien dit,
elle est comme la nouvelle lune qui éclaire doucement le chemin des égarés,
puis se retire sous le voile des nuages.
(Titi Robin)
Rajasthan, un voyage aux sources gitanes, 2004.
Recueil: La Beauté Éphéméride poétique pour chanter la vie
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Dans le jardin, sucré d’oeillets et d’aromates,
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates
Chancellent de rosée et de sève pourvus,
Je viendrai, sous l’azur et la brume flottante,
Ivre du temps vivace et du jour retrouvé,
Mon coeur se dressera comme le coq qui chante
Insatiablement vers le soleil levé.
L’air chaud sera laiteux sur toute la verdure,
Sur l’effort généreux et prudent des semis,
Sur la salade vive et le buis des bordures,
Sur la cosse qui gonfle et qui s’ouvre à demi ;
La terre labourée où mûrissent les graines
Ondulera, joyeuse et douce, à petits flots,
Heureuse de sentir dans sa chair souterraine
Le destin de la vigne et du froment enclos…
Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement,
La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement,
Un goût d’éclosion et de choses juteuses
Montera de la courge humide et du melon,
Midi fera flamber l’herbe silencieuse,
Le jour sera tranquille, inépuisable et long.
Et la maison avec sa toiture d’ardoises,
Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts,
Respirera l’odeur des coings et des framboises
Éparse lourdement autour des buissons verts ;
Mon coeur, indifférent et doux, aura la pente
Du feuillage flexible et plat des haricots
Sur qui l’eau de la nuit se dépose et serpente
Et coule sans troubler son rêve et son repos.
Je serai libre enfin de crainte et d’amertume,
Lasse comme un jardin sur lequel il a plu,
Calme comme l’étang qui luit dans l’aube et fume,
Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus,
Je ne saurai plus rien des choses de ce monde,
Des peines de ma vie et de ma nation,
J’écouterai chanter dans mon âme profonde
L’harmonieuse paix des germinations.
Je n’aurai pas d’orgueil, et je serai pareille,
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
À mon frère le pampre et ma soeur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été,
Je serai si sensible et si jointe à la terre
Que je pourrai penser avoir connu la mort,
Et me mêler, vivante, au reposant mystère
Qui nourrit et fleurit les plantes par les corps.
Et ce sera très bon et très juste de croire
Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareils
Et que mon coeur, ardent et lourd, est cette poire
Qui mûrit doucement sa pelure au soleil…
(Anna de Noailles)
Recueil: Poésie au féminin
Traduction:
Editions: Folio
Embrasse-moi et m’aime si très fort
Que ton amour fasse en moi tel effort
Que fortement je t’embrasse et te baise.
Voir et dedans l’amoureuse fournaise
Fais-moi brûler pour être à toi semblable,
Afin qu’amour de désirer s’apaise
Par l’union du seul bien désirable…
(Marguerite de Navarre)
Recueil: Poésie au féminin
Traduction:
Editions: Folio
Comprendre est vain, revenez à la vérité et les soucis se vident,
Les hommes, ordinaires ou sages, sont comme grains de sable.
S’égarer c’est être un papillon de nuit qui se jette sur la flamme,
Comprendre c’est partir comme la grue libérée de sa cage.
Un même croissant de lune se reflète sur mille cours d’eau,
Le bruit d’un seul pin diffère au gré du vent des saisons.
Collez à votre coeur, collez à sa nature,
Arrêtez les efforts qui nous font vivre un rêve.
(Sengrun)
Recueil: Poèmes Chan
Traduction: du chinois par Jacques Pimpaneau
Editions: Philippe Picquier
-Sors de ce vieux bourbier à poésie, poète !
de sa vase gluante aux crapauds endormis.
Soulève-toi d’horreur, mais non plus
à demi, couverts de lieux communs épais,
d’images blettes.
Jarrets gonflés par ton effort, soulève-toi
des eaux croupies du Rêve. -Oui, c’est
fait. Mais pourquoi, resté-je ainsi courbé,
vaincu par mon effort ! Un peuple de
sylvains me nargue sur ces bords ?…
A leurs cris je me dresse en piétinant
d’orgueil. Que fais-je là ? Je prends
racine, je m’enfeuille, et j’entends rire
Pan au cœur de ma feuillée… Je suis
un arbre à poèmes : un poémier.
L’eau chante dans la source
Chant qui devient cri
L’aube réveille la sève
Dans le feuillage endormi
Longtemps captif de la branche
L’oiseau s’en arrache
Et dans un suprême effort
Echappe à l’attraction du sol.
Reconnaître la présence du mystère
dans les plus humbles parcelles du monde
comme au plus intime de chaque être,
faire en sorte que l’écriture
l’atteste par son accueil,
par ses efforts patients ou aventureux
pour devenir poème.
(Gérard Bocholer)
Recueil: Le poème Exercice spirituel
Traduction:
Editions: Ad Solem