Quoique la Grande Loterie
vous habitue à la soumission,
il doit en convenir : il espérait mieux.
I1 espérait toucher un corps
plus ambitieux, aux bras capables
de joindre l’utile à l’agréable,
aux lèvres non bégayantes.
I1 espérait au moins bénéficier
d’un minimum de chaleur autour de l’os !
Or il habite une carcasse
de Christ rompu, avec des gestes de grabataire,
des poumons qu’irritent les gaz
d’embouteillage,
6 heures, au sortir du carton.
Gens revenus de tout,
exaltation factice,
voitures triomphantes.
Je tiens le coup en songeant à la joie que j’aurai
de retrouver mon soleil et mes livres.
Enfermé dans un taxi puant,
lui-même pris comme un rat
dans un embouteillage monstre,
je pense à mon chat
qui se promène là-bas
parmi le thym et les herbes folles.
En Californie on peut venir voir des amis
et fumer des herbes très raffinées.
À Los Angeles on peut venir voir des anges
marcher sur les eaux du Pacifique
en fait ce sont des blonds sur des planches.
On peut visiter les studios majeurs d’Hollywood
et voir pour de vrai les stars de cinéma.
Moi, à Los Angeles j’ai surtout vu des murs.
Tout d’abord des graffitis,
beaux comme des peintures,
signés par des dizaines d’anonymes
sur des murs longs comme des serpents mythiques.
C’était le début d’une découverte pleine de plaisirs
et de surprises,
celle des murs peints.
On dit murals en américain,
je les ai appelés murals
Mural comme mur vivant,
mur vital, mur moral,
Mural comme mur parlant, mur murmurant.
Mural comme… un mur râle l’autre pas
mais …
mais mural comme non commercial :
ces murs-là n’ont rien à vendre.
Un billboard, grand panneau de réclame,
c’est bien placé, c’est efficace,
c’est souriant, c’est maquillé.
Un mural non.
Et c’est évident dès qu’on arrive.
D’aéropistes en autoroute,
on repère quelques fois un mural
grâce à un embouteillage.
C’est une image souvent mal placée, pas maquillée,
pas souriante.
C’est en pleine rue, en gros plan,
un visage au regard insistant.
Comment les nommer,
ces habitants des murs de Los Angeles ?
Les losangelots ?
Les losangeliques ?
ou alors
les losanges laids
ou les os en gelée
les losangelois ?
ou encore, les anglilosains comme on dirait à
Pont-à-Mousson.
En tout cas de visage en palmier
et de palmier en mural,
j’ai roulé 60 kilomètres de l’Est
où est Losangelest
à l’océan où est Losangelouest.