C’est le concert doux des voix pleureuses,
Vieux chagrins résignés et tendresses
Que l’on méconnut et la tristesse
Des élans réprimés. Effleureuses
Voix sourdes, pleurez comme les ifs
Embrumés qu’échevèle un vent convulsif.
C’est le concert tout en lancinances
Des désirs contraires et la ronde
Des corbeaux et des folles arondes
Par le ciel fleuri d’incohérences:
Rouges pompeux, tristes violets
Dont se mêlent, en accords faux, les reflets.
C’est le concert vraiment sans mesures
Des baisers profonds et des morsures;
Le vibrement nerveux des ciguës
Sous l’archet des bises ambiguës
D’avril où reluit un soleil blond
Que voile une averse blême de grêlons.
C’est surtout l’écart entre le rêve
Et le réel qui, sans nulle trêve,
Par des accents forcenés s’exprime,
Comme une blessure s’envenime,
Puis éclate enfin en gémissant
Et remplit l’horizon noir d’un flot de sang.
Combien de baisers en suspens
Au bord des lèvres affamées
Et parmi les palais absents
De princesses inanimées
Dormant à jamais embrumées
Sous l’or de leurs cheveux dolents.
Combien à l’ancre au fond du port,
Et malgré les voiles vermeilles,
Souplement arquant leur essor,
De bateaux captifs qui sommeillent
Et qui jamais n’appareillent
Que vers ce havre noir, la Mort.
Combien de lys n’ont point éclos
Dont l’aube dédaigna l’offrande;
Et, sur des îles de coraux
Où leurs bras vainement se tendent,
Combien d’exilés qui t’attendent,
O Mort, sous tes verts oripeaux!
J’ai toujours soupçonné que cette ville était une attrape.
Mais ce n’est qu’au midi embrumé d’un printemps précoce,
quand l’air sent l’amidon, que j’ai découvert la tromperie.
Nous habitons à l’intérieur d’une armoire, tout au fond de l’oubli,
au milieu de cannes brisées et de boîtes ficelées.
Six murs marron, des bas de nuages au-dessus de nos têtes,
et ce que nous prenions encore récemment pour une cathédrale :
une bouteille effilée de parfums éventés.
Oh, les pauvres nuits où nous prions la comète filante d’une mite.
Les nervures des feuilles perdurent
Sur les labours embrumés
Le cri des merles écartèle
Les striures dépouillées
La chaleur des vendanges
S’enferme au coeur des pierres
Sous le chaume au grenier
Dans l’ornière sous la pierre
Bat
La constance des semences
on pose quatre mots
un piège
le monde tourne le dos
silence
silence et rumeur
la nuit en plein jour
les yeux partis loin
la tête à l’envers
et plus bas que tout
le ciel sous les pieds
tout à coup
trop de voix dans la main
la main aérée
et moi l’embrumé
me voilà hors je
alors couché là
le banc de soi-même
et là-haut debout
et soi de soi
l’ombre
puis tout projeté
pour combler l’espace
tout vers l’un tout vers l’autre
et l’empreinte d’air
tombant sur la page
Quand je pense qu’un homme va mourir
Dans des buissons de flammes
Pour les canons en fête
Avec des cailloux secs enfoncés dans la tête
Les mains crispées sur un talus d’orties
Je le vois seul comme un enfant qui crie
Un enfant que n’écoute personne
Quand je pense qu’un homme va mourir
Avec des yeux d’enfant et des mains rouges
Avec un visage un corps des mains
Un poulpe d’angoisse au ventre et dans les reins
Le ciel se ferme et les oiseaux s’envolent
Quand je pense qu’un homme va mourir
Et qu’il se prend aux buissons de la mort
Dans les rizières embrumées
Je le vois aussi comme un bateau
Immobile un instant au sommet de la vague
Alors j’ai la tristesse du mendiant
Qui se laisse tomber au bord d’un champ
Pour aujourd’hui l’espérance est finie