Il est en moi, autour de moi, faisant face de tous côtés.
Emmuré dans l’ego pour exclure Son droit
je me tiens sur ses bornes et plonge mon regard
jusqu’aux frontières de l’Infini.
Chaque chose finie que je vois est une façade ;
de ses fenêtres m’observe l’Illimitable.
En vain d’un corps séparé fut faite ma prison ;
Sa présence occulte brûle en chaque cellule.
Il est devenu ma substance et mon souffle,
Il est mon angoisse et mon extase,
ma naissance est le signe de Son éternité,
ma mort un passage vers Son immortalité.
Mes abîmes muets sont Sa secrète demeure ;
dans la chambre de mon coeur vit le Dieu inadoré.
(Sri Aurobindo)
Recueil: Poésie
Traduction: Français Cristof Alward-Pitoëff
Editions: Sri Aurobindo Ashram Trust
Nous émottons les années et elles se mettent à respirer.
Les non-partagées, on les couvre soigneusement
avec des toiles d’araignées
pour qu’elles ne saignent plus.
Le rouge n’est pas une couleur d’ange, dit-elle,
en dessinant des triangles dans l’air
pendant que j’essaie de trouver la place juste
d’un morceau du puzzle.
J’ai emmuré l’une des portes,
c’est pourquoi tu ne réussis pas à faire rentrer
la table au milieu du salon.
Les reflets de la bougie lèchent les nacres
incrustées dans l’ancien fauteuil viennois,
arrachent des runes bleuâtres
et les effacent tout de suite.
C’est le baiser du temps,
ajoute-t-elle à l’aube
et son doigt suit la ligne blanche
au creux de l’accoudoir
ayant amassé la poudre des ailes
de ce papillon mystique
qui avait survolé nos têtes
une nuit de février
comme s’il voulait démentir les saisons
et éclairer l’écriture secrète
dans l’âme de chacune de nous.
(Aksinia Mihaylova)
Recueil: Le baiser du temps
Traduction:
Editions: Gallimard
Le livret militaire, le diplôme de docteur
Et quelques lyriques tourmentes.
Sur la colline,
Tranquille,
Le moulin à vent.
Le miroir du lac
S’assombrit dans le soir.
Sur une maison abandonnée
La chouette chuinte.
Les étoiles sont loin.
De la fraîcheur.
Il fait bon maintenant
Etre avec les siens
Autour de la table
Sous la lampe à pétrole.
Un chien aboie
Sur l’étranger qui passe.
Seul.
Les chemins vont dans les ténèbres.
Silence.
Des diamants — les étoiles —
Ecorchent le verre bleu de la nuit.
Déserte, la plaine.
Un mur inachevé.
Ruines. Odeur de ciguë.
Ici, dans les fondations,
Le maître-maçon
N’a pas emmuré son amour.
Demain
Sur les pierres chaudes, au soleil,
Sortiront les lézards.
Demain !
Soleil !
Ici il y a du feu dans l’âtre.
Sous les cendres, la braise.
Des vieilles ramures
Jaillit la flamme.
Le passé est une souche
Sur laquelle est assis un homme,
Le visage éclairé
Par la flambée.
Le visage éclairé,
Un homme
Attend l’aube.
Je hais les haies
Qui sont des murs.
Je hais les haies
Et les mûriers
Qui font la haie
Le long des murs.
Je hais les haies
Qui sont de houx.
Je hais les haies
Qu’elles soient de mûres
Qu’elles soient de houx !
Je hais les murs
Qu’ils soient en dur
Qu’ils soient en mou !
Je hais les haies
Qui nous emmurent.
Je hais les murs
Qui sont en nous.
Sortir de sa nuit
après une croissance imparfaite
se réveiller l’âme décolorée
ébouriffée.
Peut-on être nomade du temps ?
Peut-on être
d’une vie à une autre
passant ?
Silence des morts rebelles
qui renforcent les nœuds.
Silence de la vie
au hasard fixée
ou plantée telle une épine
indurée en nos rêves
irritant nos fougues.
Qui peut nous retenir
contre le vertige du dedans
si large si vide ?
Ceux à mi-chemin
arrêtés fébriles
comme des vagues poursuivies
ceux avec leurs mots lourds
tout fripés de tendresse
balancés à contre-temps
ceux boutefeux par désespoir
incendiaires
exacerbés d’espérance
ceux musiciens des songes
qui tâtonnent sans répit
lézardés jusqu’à la moelle
ceux que nulle main n’a guidés
qui s’épuisent à rassembler
leurs brisures
ceux qui mordent à bouche pleine
les pensées fauves
les passions sans remontée
ceux qui n’ont plus de frontières
et qui implosent chargés de sang
et de brûlures…
Qui peut emmurer
le vertige au-dedans
qui peut sceller notre cœur
pour qu’il cesse de s’affoler
pour un souffle d’air
ou d’ange distrait ?
La trahison sait emmurer le coeur
mais les prés et les bois là-bas sont libres.
Les soirs sont les barreaux de ta cellule
mais l’air t’apporte encor l’odeur des roses.
Respire encore, ô coeur, comme un feuillage
qui se balance à peine avant l’orage
ou qui s’égoutte après l’assaut des pluies.
Ou laisse au moins s’effeuiller ce langage
longtemps dans l’ombre ainsi qu’au loin les roses.
Non, il n’y a pas de prison pour l’homme
Ils ne pourront pas m’attacher, non.
Ce monde plein de chaînes
m’est petit et étranger.
Qui enferme un sourire?
Qui emmure une voix….
Libre je suis. Sens-moi libre
Seulement par amour.
SOMMES NOUS, par nous seuls dépassés ou détruits,
Ces errants, déserteurs d’un combat sans conquête,
Cette chair mise à nu par celle qui nous guette,
Obstinée à survivre au souffle de ses nuits ?
Pourquoi n’as-tu choisi qu’un corps pour cette tête,
Amour, arbre à soleil qui prend peur de ses fruits ?
Des grappes de l’éclair les chiffres éblouis
N’ont jamais dénoncé que ma seule tempête…
– Coeur lié nuit et jour au devoir de s’ouvrir,
Quel secret te condamne au secret de mourir,
Étoilé, dans un coeur qui t’écrase et t’emmure?
— Si je te vois encor quand je brûle de moi
Et ai l’astre éclaté donne au ciel sa figure,
L’ange né de mon sang ne ressemble qu’à toi…
J’ai cherché aujourd’hui dans ma vie
ce qui aurait la simplicité d’une source.
Mais où sont les sources
maintenant qu’on a jeté sur elles
tout ce temps qui les a emmurées
Et qu’au-dessus
il ne reste plus dans les herbes
que du vent,
et les battements de mon coeur
seuls sauvés du silence ?
Je garde les yeux ouverts
dans mon rêve sans sommeil
où ce que j’avais autrefois caressé
devient un chien qui montre les dents.