c’est un instant toujours émouvant
que celui où l’on se demande
certains matins
si l’on va pouvoir reconnaître la vie
si les choses ont gardé la même place
si les places ont gardé le même nom
et s’il reste quelque part un miroir de secours
où l’on cesserait enfin de se voir
où l’on verrait plus loin que soi
alors c’est comme si l’on s’avançait tout seul
Boulevard Arago
à l’aube
pour une exécution intime
et l’on n’éprouve aucun soulagement
à l’idée que le bourreau n’est pas là
et pourtant tout à coup on se retourne
c’est bon signe
on se croyait suivi
il y a donc des gens qui en suivent d’autres
il y a donc une suite et c’est tout ce que l’on voulait savoir
dans les sous-bois du langage
une voix cherche à dire
le premier mot de la journée
comme on cherche sa clé
sur le palier dans le noir
on n’hésite plus
on mise sur cet objet perdu
sur cette voix déjà proche des faubourgs
sur l’étrangère qui s’appuie aux affiches lacérées de la vie
mais sur quoi ne s’appuierait-on pas ce matin ?
sur quelle blessure ?
— sur quel outrage ?
1. Sur le toit de l´hôtel où je vis avec toi
Quand j´attends ta venue mon amie
Que la nuit fait chanter plus fort et mieux que moi
Tous les chats tous les chat tous les chats
Que dit-on sur les toits que répètent les voix
De ces chats de ces chats qui s´ennuient
Des chansons que je sais que je traduis pour toi
Les voici les voici les voilà…
{Refrain:}
Le soleil a rendez-vous avec la lune
Mais la lune n´est pas là et le soleil l´attend
Ici-bas souvent chacun pour sa chacune
Chacun doit en faire autant
La lune est là, la lune est là
La lune est là, mais le soleil ne la voit pas
Pour la trouver il faut la nuit
Il faut la nuit mais le soleil ne le sait pas et toujours luit
Le soleil a rendez-vous avec la lune
Mais la lune n´est pas là et le soleil l´attend
Papa dit qu´il a vu ça lui…
2. Des savants avertis par la pluie et le vent
Annonçaient un jour la fin du monde
Les journaux commentaient en termes émouvants
Les avis les aveux des savants
Bien des gens affolés demandaient aux agents
Si le monde était pris dans la ronde
C´est alors que docteurs savants et professeurs
Entonnèrent subito tous en chœur
{Refrain}
3. Philosophes écoutez cette phrase est pour vous
Le bonheur est un astre volage
Qui s´enfuit à l´appel de bien des rendez-vous
Il s´efface il se meurt devant nous
Quand on croit qu´il est loin il est là tout près de vous
Il voyage il voyage il voyage
Puis il part il revient il s´en va n´importe où
Cherchez-le il est un peu partout…
A la fin du neuvième mois ou au début du dixième,
la musique des grillons qui vous parvient, si faible qu’on ne sait dire si on l’entend ou non.
Une poule étalée sur ses poussins, pour les protéger.
Tard en automne, les gouttes de rosée qui brillent comme des perles de toutes sortes sur les roseaux du jardin.
Le soir, quand le vent souffle dans les bambous, au bord de la rivière.
S’éveiller à l’aube, et aussi s’éveiller la nuit, c’est toujours émouvant.
Un village dans la montagne, sous la neige.
Mon Dieu, plus que le charme émouvant des visages,
Plus même qu’une voix basse et grave de femme,
Plus que les horizons voilés des paysages,
Vous me faites aimer le mystère des âmes.
— Ames douces, lagunes sombres qu’on délaisse,
Qu’en vos eaux dont je sais l’immobile tristesse
Mon visage, déjà meurtri se reconnaisse!
Je n’aime plus qu’à me pencher sur vos fièvres
Et je n’ai plus que le souci de vos secrets,
Des mots tremblants et doux qui chantent sur vos lèvres
Comme un vol de pigeons posés aux toits dorés…
Un arrosoir, une herse à l’abandon dans un champ,
un chien au soleil, un cimetière misérable,
un infirme, une petite maison de paysan,
tout cela peut devenir le réceptacle de mes révélations.
Chacun de ces objets, et mille autres semblables
dont un oeil ordinaire se détourne avec une indifférence évidente,
peut prendre pour moi soudain, en un moment qu’il n’est nullement en mon pouvoir de provoquer,
un caractère sublime et si émouvant,
que tous les mots, pour le traduire, me paraissent trop pauvres
[..]
Cherche, parmi tous ces objets misérables et grossiers de la vie paysanne,
celui, posé ou appuyé et n’attirant point l’oeil,
dont la forme insignifiante, dont la nature muette
peut devenir la source de ce ravissement énigmatique, silencieux, sans limite.
Avec mes vieilles mains de ton front rapprochées
J’écarte tes cheveux et je baise, ce soir,
Pendant ton bref sommeil au bord de l’âtre noir
La ferveur de tes yeux, sous tes longs cils cachée.
Oh ! la bonne tendresse en cette fin de jour !
Mes yeux suivent les ans dont l’existence est faite
Et tout à coup ta vie y parait si parfaite
Qu’un émouvant respect attendrit mon amour.
Et comme au temps où tu m’étais la fiancée
L’ardeur me vient encor de tomber à genoux
Et de toucher la place où bat ton coeur si doux
Avec des doigts aussi chastes que mes pensées.
Superflu, me regardant dans les miroirs
avec un goût de semaines, de biographes, de papiers,
j’arrache de mon sieur le capitaine de l’enfer,
j’établis des clauses indéfiniment tristes.
j’erre d’un point à l’autre, j’absorbe des illusions,
je bavarde avec les oiseaux dans leurs nids:
et eux, souvent, d’une voix fatale et froide
chantent et font fuir les maléfices.
I1 y a un vaste pays dans le ciel
avec les superstitieux tapis de l’arc-en-ciel
et les végétations vespérales :
c’est vers lui que je vais et grande est ma fatigue,
foulant une terre retournée de tombes encore fraîches,
je rêve entre ces plantes aux fruits indécis.
Je Passe entre les enseignements possédés, entre les sources,
vêtu comme un être original et abattu :
j’aime le miel usé du respect,
le doux catéchisme entre les feuilles duquel
dorment des violettes vieillies, évanouies,
et les balais, aux secours émouvants,
dans leur apparence il y a sans doute, cauchemar et certitude.
Je détruis la rose qui siffle et la ravisseuse anxiété:
je brise les extrêmes aimés: et plus encore,
je guette le temps uniforme, sans mesures
une saveur que j’ai dans l’âme me déprime.
Quelle aurore a surgi! Quelle épaisse lumière de lait,
compacte, digitale, me protège !
J’ai entendu hennir son rouge cheval
nu, sans fers et radieux.
Je survole avec lui les églises,
Je galope à travers les casernes désertes de soldats
et une armée impure me poursuit.
Ses yeux d’eucalyptus volent l’ombre,
son corps de cloche galope et frappe.
J’ai besoin d’un éclair de splendeur persistante,
d’une parenté joyeuse qui assume mes héritages.