Je voudrais être né de ton ventre
avoir vécu un temps à l’intérieur de toi
depuis que je te connais je me sens plus orphelin
O tendre grotte
rouge éden de chaleur
quelle joie d’avoir été cette cécité
je voudrais que ta chair se souvienne
de m’avoir emprisonné
et que quand tu me regardes
quelque chose se resserre dans ton ventre
et que tu te sentes orgueilleuse au souvenir
de la générosité sans pareille de ta chair
se dénouant pour que je sois libre
pour toi je me suis mis à déchiffrer les signes de cette vie
que de toi je voudrais avoir reçue.
(Tomas Segovia)
Recueil: Poésie du Mexique
Traduction: Jean-Clarence Lambert
Editions: Actes Sud
1
Absurde est la matière qui s’écroule,
la matière pénétrée de vide, la creuse.
Non : la matière ne se détruit pas,
la forme que nous lui donnons se désagrège,
nos oeuvres se réduisent en miettes.
2
La terre tourne, entretenue par le feu.
Elle dort sur une poudrière.
Elle porte en son sein un bûcher
un enfer solide
qui soudain se transforme en abîme.
3
La pierre profonde bat dans son gouffre.
En se dépétrifiant, elle rompt son pacte
avec l’immobilité et se transforme
en bélier de la mort.
4
De l’intérieur vient le coup,
la morne cavalcade,
l’éclatement de l’invisible, l’explosion
de ce que nous supposons immobile
et qui pourtant bouillonne sans cesse.
5
L’enfer se dresse pour noyer la terre.
Le Vésuve éclate de l’intérieur.
La bombe monte au lieu de descendre.
L’éclair jaillit d’un puits de ténèbres.
6
Il monte du fond, le vent de la mort.
Le monde tressaille en fracas de mort.
La terre sort de ses gonds de mort.
Comme une fumée secrète avance la mort.
De sa prison profonde s’échappe la mort.
Du plus profond et du plus trouble jaillit la mort.
7
Le jour devient nuit,
la poussière est soleil
et le fracas remplit tout.
8
Ainsi soudain se casse ce qui est ferme,
béton et fer deviennent mouvants,
l’asphalte se déchire, la ville et la vie
s’écroulent. La planète triomphe
contre les projets de ses envahisseurs.
9
La maison qui protégeait contre la nuit et le froid,
la violence et l’intempérie,
le désamour, la faim et la soif
se transforme en gibet et en cercueil.
Le survivant reste emprisonné
dans le sable et les filets de la profonde asphyxie.
10
C’est seulement quand il nous manque, qu’on apprécie l’air.
Seulement quand nous sommes attrapés comme le poisson
dans les filets de l’asphyxie. Il n’y a pas de trous
pour retourner à la mer d’oxygène
où nous nous déplacions en liberté.
Le double poids de l’horreur et de la terreur
nous a sortis
de l’eau de la vie.
Seulement dans le confinement nous comprenons
que vivre c’est avoir de l’espace.
Il fut un temps
heureux où nous pouvions bouger,
sortir, entrer, nous lever, nous asseoir.
Maintenant tout s’est écroulé. Le monde
a fermé ses accès, ses fenêtres.
Aujourd’hui nous comprenons ce que signifie
cette terrible expression : enterrés vivants.
11
Le séisme arrive et devant lui plus rien
ne valent les prières et les supplications.
Il naît de son sein pour détruire
tout ce que nous avons mis à sa portée.
Il jaillit et se fait reconnaître à son oeuvre atroce.
La destruction est son unique langage.
Il veut être vénéré parmi les ruines.
12
Cosmos est chaos, mais nous ne le savions pas
ou nous n’arrivions pas à le comprendre.
La planète descend-elle en tournant
dans les abîmes de feu glacé ?
Tourne-t-elle ou tombe-t-elle cette terre ?
Le destin de la matière est-il dans cette chute infinie ?
Nous sommes nature et rêve. C’est pourquoi
nous sommes ce qui descend toujours :
poussière dans les airs.
Ce qui est à moi
c’est un homme seul emprisonné de blanc
c’est un homme seul qui défie les cris blancs de la mort blanche
(TOUSSAINT, TOUSSAINT LOUVERTURE)
c’est un homme seul qui fascine l’épervier blanc de la mort blanche
c’est un homme seul dans la mer inféconde de sable blanc
c’est un moricaud vieux dressé contre les eaux du ciel
La mort décrit un cercle brillant au-dessus de cet homme
la mort étoile doucement au-dessus de sa tête
la mort souffle, folle, dans la cannaie mûre de ses bras
la mort galope dans la prison comme un cheval blanc
la mort luit dans l’ombre comme des yeux de chat
la mort hoquette comme l’eau sous les Cayes
la mort est un oiseau blessé
la mort décroît
la mort vacille
la mort est un patyura ombrageux
la mort expire dans une blanche mare de silence.
Aôh! monsieur de Malbrough,
Mettez vos habits brodés du dimanche
Et sur les boucles de vos cheveux roux
Votre chapeau à plumes blanches.
Miss Kate, miss Maud et Miss Lily
Ont emprisonné pour vous leurs pieds mignons
En des souliers de satin gris, jolis,
Vraiment, comme ceux de Cendrillon.
Elles vous attendent fort occupées
A refaire les noeuds de soie de leurs corsages;
Venez vite : vos quatre pages
Porteront à Picadilly votre épée.
Aôh! bonsoir, et choisissez de ces trois lys
De ces fées de rêve de Walter Crane,
Miss Kate, miss Maud et miss Lily
Pour danser la gigue au ballet de la reine.
Mais dis-moi,
Blaise,
réponds,
ne t’en déplaise,
à ma petite question :
ton oiseau magique
au beau plumage,
Monsieur Cendrars,
n’était-il pas,
par hasard,
enfermé dans une cage ?
Elle est si tragique,
la beauté,
quand elle est emprisonnée…
Et le cri dont tu parles,
comme le « sifflement d’un petit jet de vapeur »,
n’était-il pas simplement
chant de désespoir
plutôt que de bonheur?
Prévert, lui,
après que l’oiseau
est entré dans la cage,
en efface les barreaux.
Il faut libérer les oiseaux
et tous les animaux.
Et les humains aussi,
de la prison de leurs préjugés.
« Effacer un à un tous les barreaux ».
Et que Jacques Prévert
prête à Paul Eluard
le pinceau de son poème
pour qu’il puisse calligraphier
sur les murs de la cité
Le doux nom de
« LIBERTĖ » !
Soleil emprisonné dans les macles du soir,
blessure d’où suinte le mercure,
tu dis l’ultime cri du sang avant qu’il ne se fige
la grande paix des cicatrices et la convalescence
de la terre.
Des vols fixes d’oiseaux parfaits qui sont sans air
Profondément nus
Ne retombent jamais sur le sein de la terre
Mais se meurent de joie se meurent de lumière
Ces oiseaux sont des mots et sur des lèvres nés
Pur ornement de la voix fraîche entre les vents
Du haut du bas et tout l’imprévisible temps
Ils se tournent pour adorer, et se demandent
S’ils sont toujours du corps ou peut-être de l’âme
A la fin, et s’ils ont gravi les échelons
Qui déplacent le mot de la voix au silence
Et du silence à la terreur de l’âme
Ils se demandent, venus de coeurs emprisonnés
Tous, ils se demandent et ne savent
Vocalises de durable vocation
Ils sont et triomphalement pénitence.
J’ai vécu dans ces temps et depuis mille années
Je suis mort. Je vivais, non déchu mais traqué.
Toute noblesse humaine étant emprisonnée
J’étais libre parmi les esclaves masqués.
J’ai vécu dans ces temps et pourtant j’étais libre.
Je regardais le fleuve et la terre et le ciel
Tourner autour de moi, garder leur équilibre
Et les saisons fournir leurs oiseaux et leur miel.
Vous qui vivez qu’avez-vous fait de ces fortunes ?
Regrettez-vous les temps où je me débattais ?
Avez-vous cultivé pour des moissons communes ?
Avez-vous enrichi la ville où j’habitais ?
Vivants, ne craignez rien de moi, car je suis mort.
Rien ne survit de mon esprit ni de mon corps.
(Robert Desnos)
Recueil: Contrée suivi de Calixto
Traduction:
Editions: Gallimard