Ceux qui rêvent
Pomme
Mes nuits blanches ne sont pas blanches, à peine claires
Semées d’étoiles
Petits trous dans la toile étanche
Tristes strass sur le voile
Et moi, envoûtée de ténèbres
Je passe des heures infinies
À compter les moutons funèbres
Qui tapissent mes insomnies
Ah minuit est là
Ah je ne dors pas
Et moins je dors et plus je pense
Et plus je pense et moins j’oublie
L’immense impasse, l’espace immense
Qui s’étendent au fond de mon lit
C’est inouï tous ces silences
Qu’il est cosmique cet ennui
Dois-je recourir à la science?
Anesthésier l’insomnie?
Ah minuit est là
Ah je ne dors pas
Et puis passé minuit je danse
Au rythme des tachycardies
Et tout s’emballe et tout balance
Et tout m’étale et tout me fuit
La lune est un fruit un peu rance
La vie est une maladie
Ceux qui rêvent ont bien de la chance
Et les autres ont des insomnies
Ceux qui rêvent ont bien de la chance
Et les autres ont des insomnies
Ceux qui rêvent ont bien de la chance
Quant à moi j’ai des insomnies
Ah minuit est là
Ah je ne dors pas
Ah minuit est là
Ah je ne dors pas
Je ne dors pas
Je ne dors pas
Je ne dors pas
Passé Awa
(Qui rappelle l’oiseau plongeur)
Habite Tamana à Sue
(Évocateur des arcs de catalpa),
Cette belle aux seins
Largement écartés,
Cette fille
A la taille de guêpe.
Son visage
Rayonne
Comme une fleur
Elle se tient souriante
Les hommes qui passent sur la route
(Droite comme une lance)
Ne vont pas plus avant
Sur le chemin qu’ils devaient suivre.
Sans y être invités
Ils se tiennent devant sa porte.
Les maîtres
Des maisons alignées dans le voisinage
Oubliant déjà
Leurs propres femmes
Sans en être priés
Lui donnent la clé de leurs trésors.
Tous sans exception
Sont envoûtés.
Alors la belle se penche
vers eux, engageante,
Et commence le jeu folâtre.
Le temps est le bâillement
d’un dieu sur la haletante
respiration du monde
cet écho dont le feu est la prémisse
a tant envoûté le vide
que le silence y laisse
plis et rides
avant de s’évaporer
en d’abondantes formes closes
Buvons à ta confiance, et à ma fidélité,
À nos présences dans ce même pays,
À jamais envoûtés, soit,
Mais nul hiver ne fut jamais plus beau,
Et jamais sur le ciel on ne vit croix plus fines…
Chaînes plus aériennes, ponts plus grands…
Buvons à tout ce qui sans bruit a fui,
Buvons à notre impossible rencontre,
À tout ce dont je rêve encore
Malgré la porte verrouillée.
(Anna Akhmatova)
Titre: L’églantier fleurit et autres poèmes
Traduction: Marion Graf et José-Flore Tappy
Editions: La Dogana