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Poésie

Posts Tagged ‘espalier’

Les parfums (Anna de Noailles)

Posted by arbrealettres sur 6 juin 2023



Illustration: Maureen Wingrove alias Diglee
    
Les parfums

Mon coeur est un palais plein de parfums flottants
Qui s’endorment parfois aux plis de ma mémoire,
Et le brusque réveil de leurs bouquets latents
– Sachets glissés au coin de la profonde armoire –

Soulève le linceul de mes plaisirs défunts
Et délie en pleurant leurs tristes bandelettes…
Puissance exquise, dieux évocateurs, parfums,
Laissez fumer vers moi vos riches cassolettes !

Parfum des fleurs d’avril, senteur des fenaisons,
Odeur du premier feu dans les chambres humides,
Arômes épandus dans les vieilles maisons
Et pâmés au velours des tentures rigides ;

Apaisante saveur qui s’échappe du four,
Parfum qui s’alanguit aux sombres reliures,
Souvenir effacé de notre jeune amour
Qui s’éveille et soupire au goût des chevelures ;

Fumet du vin qui pousse au blasphème brutal,
Douceur du grain d’encens qui fait qu’on s’humilie,
Arôme jubilant de l’azur matinal,
Parfums exaspérés de la terre amollie ;

Souffle des mers chargés de varech et de sel,
Tiède enveloppement de la grange bondée,
Torpeur claustrale éparse aux pages du missel,
Acre ferment du sol qui fume après l’ondée ;

Odeur des bois à l’aube et des chauds espaliers,
Enivrante fraîcheur qui coule des lessives,
Baumes vivifiants aux parfums familiers,
Vapeur du thé qui chante en montant aux solives !

– J’ai dans mon coeur un parc où s’égarent mes maux,
Des vases transparents où le lilas se fane,
Un scapulaire où dort le buis des saints rameaux,
Des flacons de poison et d’essence profane.

Des fruits trop tôt cueillis mûrissent lentement
En un coin retiré sur des nattes de paille,
Et l’arôme subtil de leur avortement
Se dégage au travers d’une invisible entaille…

– Et mon fixe regard qui veille dans la nuit
Sait un caveau secret que la myrrhe parfume,
Où mon passé plaintif, pâlissant et réduit,
Est un amas de cendre encor chaude qui fume.

– Je vais buvant l’haleine et les fluidités
Des odorants frissons que le vent éparpille,
Et j’ai fait de mon coeur, aux pieds des voluptés,
Un vase d’Orient où brûle une pastille.

(Anna de Noailles)

Recueil: Je serai le FEU (Diglee)
Editions: La ville brûle

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Je rêve d’un beau soir (Jacques Rabemananjara)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2023




    
Je rêve d’un beau soir au bord d’un étang vert
Où la verdeur des joncs s’irise de sarcelles.
L’azur y baignera ses arrière-étincelles
Comme des souvenirs dans l’onde découverts.

Les flots auront des fleurs d’écumes et d’éclairs.
Mon coeur, qu’auront repris les ultimes parcelles
D’une offrande oubliée au creux de la nacelle,
Sentira le frôler le Songe enfui dans l’air.

Sur les verts espaliers où pend le crépuscule,
Mes doigts fins s’en iront, au bout des nénuphars,
Cueillir le vert phosphorescent des libellules.

Mais j’y verrai bientôt, sous le cri des canards,
La lune éparpiller, en harmonie inerte,
Ses sanglots bleus d’argent au cil des moires vertes.

(Jacques Rabemananjara)

 

Recueil:Oeuvres complètes POÉSIE
Editions: Présence africaine

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Printemps (Louis Bouilhet)

Posted by arbrealettres sur 1 mai 2021



Printemps

Lève-toi ! lève-toi ! le printemps vient de naître.
Là-bas, sur les vallons, flotte un réseau vermeil.
Tout frissonne au jardin, tout chante, et ta fenêtre,
Comme un regard joyeux, est pleine de soleil.

Les larges espaliers, couverts de boutons roses,
De leur haleine douce embaument le ciel pur.
Seule, la vigne est nue, et, près des fleurs écloses,
Comme un serpent transi rampe au long du vieux mur.

Du côté des lilas aux touffes violettes,
Mouches et papillons bruissent à la fois ;
Et le muguet sauvage, ébranlant ses clochettes,
A réveillé l’amour endormi dans les bois.

Puisque avril a semé ses marguerites blanches,
Laisse ta mante lourde et ton manchon frileux ;
Déjà l’oiseau t’appelle, et tes sœurs les pervenches
Te souriront dans l’herbe en voyant tes yeux bleus.

Viens, partons ! Au matin, la source est plus limpide ;
N’attendons pas du jour les brûlantes chaleurs ;
Je veux mouiller mes pieds dans la rosée humide,
Et te parler d’amour sous les poiriers en fleurs !

(Louis Bouilhet)

Illustration: Josephine Wall

 

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LE VILLAGE KARSTIQUE (Srecko Kosovel)

Posted by arbrealettres sur 28 février 2020


 


 

LE VILLAGE KARSTIQUE

I
Seul
par le village.
Dans la nuit
hurlent les espaliers
— le bora escalade
les murs, cogne
à la vitre : « Qui ? ,

La fenêtre éclaire
la nuit.
Et au bout du village
le pin gémit,
tressaille
quand il me reconnaît.

II
Les toits abrupts dans l’ombre
dorment;
toits de chaumes, toits de pierre,
lugubres tous
avec leurs fronts bas.

Les gens ont les bras croisés
sur la poitrine.

Comment ?
Pourquoi ?
« Meurs, ou reviens sur tes pas! »

III
L’océan des pins
mugit sombrement
— l’Adriatique, martèle le rivage,
cogne les ténèbres,
le bora heurte
la fenêtre morte.

La nuit pèse sur le village karstique.
Qui désespère ?
Qui se lamente,
que je le maudisse
en ce coeur malade ?

Qui ?

(Srecko Kosovel)

Illustration

 

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Le jardin perdu (Claude Roy)

Posted by arbrealettres sur 28 février 2019



    

Le jardin perdu

Il est venu un jardin cette nuit
qui n’avait plus d’adresse
Un peu triste il tenait poliment
ses racines à la main
Pourriez-vous me donner
un jardin où j’aurais
le droit d’être jardin?
Il faudrait arroser mes laitues
et un mur ayant bu beaucoup de soleil
pour mûrir mes poires en espalier
Deux carrés pour mes asperges
et les plates-bandes de fraisiers
Si vous aviez la bonté
de mettre aussi un vieux figuier
pour donner de l’ombre
et beaucoup d’arbres fruitiers
pour les saisons de confitures
N’oubliez pas un puits profond
et un jet d’eau à volonté
C’est une vie qui n’est pas une vie
que d’être un jardin égaré
qui n’existe qu’en souvenir
et ne sait plus où fleurir

(Claude Roy)

 

Recueil: À la lisière du temps suivi de Le voyage d’automne
Traduction:
Editions: Gallimard

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PHIDYLÉ (Leconte de Lisle)

Posted by arbrealettres sur 23 septembre 2018



Jean-Francis Auburtin d [800x600]

PHIDYLÉ

Offre un encens modeste aux Lares familiers,
Phidylé, fruits récents, bandelettes fleuries ;
Et tu verras ployer tes riches espaliers
Sous le faix des grappes mûries.

Laisse, aux pentes d’Algide, au vert pays Albain,
La brebis, qui promet une toison prochaine,
Paître cytise et thym sous l’yeuse et le chêne ;
Ne rougis pas ta blanche main.

Unis au romarin le myrte pour tes Lares.
Offerts d’une main pure aux angles de l’autel,
Souvent, ô Phidylé, mieux que les dons plus rares,
Les Dieux aiment l’orge et le sel.

Plus de neiges aux prés. La Nymphe nue et belle
Danse sur le gazon humide et parfumé ;
Mais la mort est prochaine; et, nous touchant de l’aile,
L’heure emporte ce jour aimé.

Un vent frais amollit l’air aigu de l’espace;
L’été brûle ; et voici, de ses beaux fruits chargé,
L’Automne au front pourpré; puis l’hiver, et tout passe
Pour renaître, et rien n’est changé.

Tout se répare et chante et fleurit sur la terre ;
Mais quand tu dormiras de l’éternel sommeil,
O fier patricien, tes vertus en poussière
Ne te rendront pas le soleil!

(Leconte de Lisle)

Illustration: Jean-Francis Auburtin

 

 

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OFFRANDE (Camille Mauclair)

Posted by arbrealettres sur 2 août 2018



oleg zhivetin 204

OFFRANDE

Mon cœur et mon âme,
Si tu veux je te les donne,
Et tout ce qui éclôt en moi
Est suspendu au-dessus de toi
Comme un espalier,
Se courbant pour que tu le cueilles.
Je suis gerbe bonne à lier,
Je suis vendange pour ta corbeille,
Je suis fruit pour ton panier,
Je suis ombre sur ton sommeil,
Mais laisse-moi t’accompagner.

Comme les nuages du ciel,
Comme l’eau que tu côtoies,
Je t’accompagne et je te veille,
O toi,
Car ton chemin est toujours le mien :

Et je veux bien n’être qu’un objet
Pourvu qu’il soit près de ta main,
Et je veux bien n’être qu’une fumée
Pourvu qu’elle t’amuse,
Et je veux bien n’être qu’un rien
Si tu as envie d’un rien,
Et je veux être toute chose
Pourvu que ton rêve s’y pose.

(Camille Mauclair)

Illustration: OlegZhivetin 

 

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Pensée de malade (Alain Borne)

Posted by arbrealettres sur 5 décembre 2017




    
Pensée de malade

Je m’en irai avec les fleurs,
printemps cruel à admirer
ton soleil mûrit ma mort
ah! survivrai-je à sa beauté ?

Les fleurs meurent
les fleurs meurent
les fruits mûrissent aux espaliers
vais-je mourir en cet été ?

Que ma vie brûle encore un jour !
l’été n’est rien qu’un long jour sourd
que je défaille à supporter.

L’été mourra…
et je mourrai
au temps que les sorbes mûries
tachent le corsage oublié
des jeunes filles de la vie.

(Alain Borne)

 

Recueil: Oeuvres poétiques complètes
Traduction:
Editions: Curandera

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