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C’est facile, d’écosser les petits pois (Philippe Delerm)

Posted by arbrealettres sur 28 février 2023




    
C’est facile, d’écosser les petits pois.
Une pression du pouce sur la fente de la gousse
et elle s’ouvre, docile, offerte.
Quelques-unes, moins mûres, sont plus réticentes
– une incision de l’ongle de l’index
permet alors de déchirer le vert,
et de sentir la mouillure et la chair dense,
juste sous la peau faussement parcheminée.

Après, on fait glisser les boules d’un seul doigt.
La dernière est si minuscule.
Parfois, on a envie de la croquer.
Ce n’est pas bon, un peu amer,
mais frais comme la cuisine de onze heures,
cuisine de l’eau froide, des légumes épluchés
– tout près, contre l’évier,
quelques carottes nues brillent sur un torchon,
finissent de sécher.

Alors on parle à petits coups,
et là aussi la musique des mots
semble venir de l’intérieur, paisible, familière.
On parle de travail, de projets, de fatigue
– pas de psychologie.

L’écossage des petits pois n’est pas conçu pour expliquer,
mais pour suivre le cours, à léger contretemps.
Il y en aurait pour cinq minutes, mais c’est bien de prolonger,
d’alentir le matin, gousse à gousse, manches retroussées.

On passe les mains dans les boules écossées
qui remplissent le saladier.
C’est doux ; toutes ces rondeurs contiguës
font comme une eau vert tendre,
et l’on s’étonne de ne pas avoir les mains mouillées.
Un long silence de bien-être clair

[…]

(Philippe Delerm)

Recueil: La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules
Traduction:
Editions: L’Arpenteur

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Plus jamais (Ayyappa Paniker)

Posted by arbrealettres sur 23 janvier 2023



Illustration: Jérôme Royer
    
Plus jamais

Puisque tu me le demandes
Il faut bien que je le dise :
Je n’en veux plus, je n’en veux plus jamais.
Je ne veux pas de nouvelle existence.
Une vie m’aura largement suffi.

D’une si longue peine —
Arrivées et départs du début à la fin,
L’amour créé, l’amour détruit,
L’instant de douleur
Qui vient pulvériser une vie de délices,
L’heure solitaire des désirs morts
Et sa survie de bavardage —
Je ne veux plus, je ne veux plus jamais
Ni vivre, ni mourir, ni exister encore.

Le récipient près de l’évier,
Les bruits qu’on étouffe au grenier,
La tombée de la nuit dans les tumeurs du ciel,
La chouette qui hulule sur le toit de l’école,
Aux proues des barques qui s’éloignent
Le regard fixe, muet,
Et sur l’aire des départs le sourire évanoui,
Je n’en veux plus, je ne veux plus jamais
Ni vivre, ni mourir, ni exister encore.

Une autre maison ?
Une mère nouvelle ?
Une enfance recommencée ?
Des défis jamais lancés ?
Des élans à découvrir ?
Des blessures, encore ?
De nouveaux rythmes à prendre ?
Des promesses fraîches du jour?
Je n’en veux plus, je n’en veux plus jamais.

(Ayyappa Paniker)

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SE LA COULER DOUCE, C’EST LUNDISPENSABLE (Achbé)

Posted by arbrealettres sur 14 janvier 2020



Illustration: Achbé    
    
SE LA COULER DOUCE, C’EST LUNDISPENSABLE

Se la couler douce, c’est lundispensable.
Reprends en douceur.
Si tu as le choix entre les escaliers et l’ascenseur,
Prends l’ascenseur.
Si tu es au travail, fais mine d’être débordée,
Attention! cela demande beaucoup de talent.
Si tu n’es pas encore au travail, ralentis le pas.
Si tu es à la maison, laisse la vaisselle sale dans l’évier.
S’il y a des moutons sur le parquet,
Laisse-les et ce soir, compte-les pour t’endormir.
La lenteur est un art de vivre.
La slow life, c’est le faste de l’Homme moderne.
Car attention, à vivre trop vite, tu meurs plus longtemps.

(Achbé)

 

Recueil: Ma rue par Achbé
Traduction:
Editions: Gallimard

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Pour avoir la paix (Éric Pessan)

Posted by arbrealettres sur 26 octobre 2018




    
Pour avoir la paix, je me sers un verre.
Enfin, quand j’ai un verre à la main,
je peux penser à autre chose
que les bouteilles rangées sous l’évier

(Éric Pessan)

 

Recueil: Le syndrome Shéhérazade
Traduction:
Editions: L’Attente

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Un rossignol (Kawai Chigetsu)

Posted by arbrealettres sur 29 mars 2018



 

Un rossignol !
Mes mains dans l’évier
S’arrêtent un instant

(Kawai Chigetsu)

 

 

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Seul (Antoine Emaz)

Posted by arbrealettres sur 28 mars 2018




    
seul
on ne se porte pas si mal
sans être vraiment léger

cela tient à cet air
qui aide

comme de la tendresse
diffuse la lumière
enrobe

bien sûr on ne va pas
en rester là

on sera rejoint

et ça s’en ira comme le reste
dans l’évier du soir
on le sait

reste que c’est

(Antoine Emaz)

 

Recueil: Peau
Traduction:
Editions: Tarabuste

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Vie de peu (Antoine Emaz)

Posted by arbrealettres sur 26 mars 2018




    
vie de peu
dans l’espace temps mémoire

au bout quand même des mots
luisent
et puis s’éteignent

pas triste
neutre

l’évier est on est

son inox durera plus

il n’en sait rien
il sert

(Antoine Emaz)

 

Recueil: LIMITE
Traduction:
Editions: Tarabuste

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LES CLÉMENTINES DE LA NUIT (François de Cornière)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2018




    
LES CLÉMENTINES DE LA NUIT

Fraîches dans la main
quand je vais les chercher
les clémentines de la nuit
j’en connais le goût.

Un coup d’ongle ou de dents
et le jus sur les lèvres
mais nous n’en disons rien
ou simplement « c’est bon ».

Nous enlevons la peau
nous détachons les quartiers
nous partageons au bord de notre lit
ces minutes comme les fruits
sans les compter.

Mais quand je porte dans la cuisine
les pépins et les petites robes
sur le bord de l’évier
je vois tout le prix briller
des nuits de clémentines :
longtemps après la soif.

(François de Cornière)

 

Recueil: Ces moments-là
Traduction:
Editions: Le Castor Astral

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Je suis arrivé le matin c’était trop tard (Raymond Queneau)

Posted by arbrealettres sur 14 décembre 2017




Je suis arrivé le matin c’était trop tard
il y avait de la rouille autour de l’évier
le poids du poêle pesait sur le parquet
ça se gondolait même les tuiles il était trop tard
je n’aurais pu redresser tout ça même avec
des cabestans des poulies des objets dont je ne connais
pas le mot qui les désigne et que je ne saurais
utiliser efficacement
les champignons poussaient sur la faïence de la vaisselle
la vaisselle croupissait dans la paille des fauteuils
les fauteuils s’endormaient sur le poil des ténèbres
les ténèbres mâchaient le chouigne gueumme des morts
je suis arrivé trop tard c’était le lendemain

(Raymond Queneau)

Illustration: Geneviève Borschneck

 

 

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Jusqu’à la dernière minute de la Terre (Lucien Becker)

Posted by arbrealettres sur 19 août 2017



Illustration: David Caspar Friedrich
    
Jusqu’à la dernière minute de la Terre
il y aura un homme lié à sa vie par les veines du sang
et ses tempes minces comme du papier tangueront
avec le bruit que fait la goutte d’eau sur l’évier.

La lumière luira au fond de ses yeux
comme au fond des verres que le couchant renverse
pour se survivre un instant dans le monde,
la lumière luira sans autre soutien
que la grisaille d’un visage qui avance avec la nuit.

Avec toute la beauté du monde enfouie dans un seul regard,
il fermera la bouche sur la dernière grappe de ciel,
il tendra les mains vers des murs qu’il verra reculer
et son coeur ne sera plus qu’une taupe prise au piège.

La mort ne demandera pas leurs noms
à ceux qui tomberont, las de tourner sur place :
chaque cadavre s’enfoncera lentement dans le sol
avec autour de lui une foule toujours plus haute de vivants.

Comme entre deux portes,
l’homme aura traversé son existence
avec comme seule joie celle que procure
la fraîcheur de l’air sur les lèvres.

(Lucien Becker)

 

Recueil: Rien que l’amour
Editions: La Table Ronde

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