Un toit de maison puis l’étoile
au-dessus pâlissante
arrêtaient les regards d’un homme
qui se sentaient repris par le fin jeu des causes
plus bas les enseignes
dévoilaient leurs mots d’or
le bois, le fer, la pierre
imposaient leur présence
une fenêtre grande ouverte
montrait le mur d’ocre et l’armoire
et la main qui posait une cuiller de fer
sur la faïence d’une assiette
à l’ancien ébrèchement.
J’aime, aux hameaux perdus de ma terre ardennaise,
Les bons logis pleins d’ombre où l’on gîte à son aise ;
L’alcôve où, soutenant les ais du plafond bas,
Saille en angle une poutre, ainsi qu’un très vieux bras ;
L’horloge au tic-tac lent et dont la sonnerie
Fait trembler le cadran de faïence fleurie ;
Les pots de cuivre et les fruits mûrs sur le dressoir ;
La table avec le lait mousseux près du pain noir ;
Et, couché devant l’âtre où flambe un feu de souches,
Le chien-loup qui vous lorgne en clignant ses yeux louches.
1
Printemps. Le matin est ivre de soleil,
Plus net le parfum des roses sur la terrasse,
Le ciel a plus d’éclat qu’une faïence bleue.
Le cahier est relié en maroquin très souple,
J’y lis des stances et des élégies,
Qui furent écrites pour ma grand-mère.
Je vois le chemin jusqu’à la grille, les bornes
Se détachent en blanc sur l’émeraude du gazon.
Oh! ce coeur est plein d’un amour exquis, aveugle.
Et quelle joie! ces couleurs, dans les massifs,
Et dans le ciel le cri aigu du corbeau noir,
La voûte du cellier au profond de l’allée.
2
Le vent souffle chaud, étouffant.
Le soleil brûle les mains.
La voûte de l’air sur la tête,
On dirait un verre bleu.
Odeur sèche des immortelles
Dans ma tresse qui se défait.
Sur le tronc rugueux du sapin
Une route pour les fourmis.
Reflets paresseux sur l’étang.
Vie légère, comme jamais…
Aujourd’hui j’ai cru voir quelqu’un
(Mais qui?) dans le hamac léger.
3
Soir bleu. Les vents sont apaisés,
La lumière veut que je rentre.
Qui est là? Devine… un fiancé?
Et pourquoi pas mon fiancé ?…
Sur la terrasse une silhouette familière,
On parle, mais très doucement.
Oh, je n’avais jamais éprouvé jusqu’ici
Une langueur si séduisante.
Les peupliers frémissent d’inquiétude,
Visités par des rêves de tendresse
Le ciel est couleur d’acier bruni,
La pâleur des étoiles est mate.
Je tiens un bouquet de giroflées blanches.
Elles cachent un feu secret, pour brûler
Celui qui les prendra de mes mains timides,
En effleurant ma paume tiède.
4
J’ai écrit des mots
Que longtemps je n’ai pas osé dire.
Le mal de tête m’engourdit,
Mon corps est comme insensible.
Le cor au loin s’est tu, mon coeur
Ressasse les mêmes énigmes,
Une légère neige d’automne
A recouvert le terrain de croquet.
Les feuilles bientôt ne frémiront plus !
La pensée bientôt oubliera ses tourments.
Je ne voulais pas être une gêne
Pour ceux dont le devoir est de se divertir.
J’ai pardonné à ces lèvres rouges
Leur cruelle plaisanterie…
Vous viendrez nous voir demain
En foulant aux pieds la première neige.
On allumera des bougies,
De jour leur éclat est plus doux,
On apportera un bouquet
De roses cueillies dans l’orangerie.
La porte brillait dans le jour en feu
mais les nattes des habitantes
ne tremblaient pas
l’une se penchait sur les eaux des chaudrons
et peint sur une faïence
un oiseau s’épuisait à chanter.
On vit entrer le messager
il avait dans ses mains
une lettre et un pain d’or
il parla
puis ce fut un silence austère
et tout le jardin embauma.
Transparence, cristal devient
la feuille sur son arbre,
faïence brune et pourpre aussi,
ivoire par endroits.
Les arbres tiennent, minuscules,
leurs tasses japonaises.
Ils n’osent plus bouger, de peur
qu’une seule ne tombe.
Plein de lumière est le verger ;
tout y tremble : on eût dit
un magasin de bibelots
en cristal, et de lampes.
« Prends garde », proclame la voix
de mon coeur, « à ne pas
briser d’un geste maladroit
quelque objet qui scintille. »
Cependant, quelle volupté,
quelle joie de gamin :
secouer les arbres d’automne,
rester sous cette douche
au flot doré ; puis quelle mort
magnifique, là-bas,
la mort au sein de cette nappe,
lumières et couleurs.
Je marche silencieux, furtif,
parmi les griottiers
et leur service à thé, si rouge,
faïence du Japon.
Toute beauté qui se détache,
me fait souffrir. Je crains
à chaque fois pour les valeurs
fragiles de la terre.
Transparence, cristal se trouvent
ailleurs que chez les arbres ;
transparence est le monde entier :
coeurs aériens, visages
qui êtes toute transparence,
jusqu’à quand, dites-moi,
le vent d’automne voudra-t-il
encor vous épargner ?
Le vent tarde à souffler ; toujours
dans le soleil se tiennent
le jardin et la création.
La peine en est plus forte,
de voir, du haut des arbres calmes,
tomber en se berçant,
ça et là — quel mortel silence ! —
une feuille en cristal.
Est-ce ainsi que les hommes vivent
(adaptation de Léo Ferré)
Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c’est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j’ai cru trouver un pays.
Coeur léger coeur changeant coeur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n’avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m’endormais comme le bruit.
C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d’hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m’allonger près d’elle
Dans les hoquets du pianola.
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n’en est jamais revenu.
Il est d’autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t’en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Sur l’assiette de faïence
la fleur flétrie
pose l’énigme de l’instant
je lis dans ses dépouilles
qu’il n’y a pas d’autre destin
que celui déjà vécu
alors je construis le labyrinthe
d’un poème nouveau
pour brouiller les cartes
avec la vérité d’un miroir émietté