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Poésie

Posts Tagged ‘fange’

Les enfants lisent (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 25 mars 2021



 

classe 199

Les enfants lisent, troupe blonde ;
Ils épellent, je les entends ;
Et le maître d’école gronde
Dans la lumière du printemps

J’aperçois l’école entrouverte ;
Et je rôde au bord des marais ;
Toute la grande saison verte
Frissonne au loin dans les forêts.

Tout rit, tout chante ; c’est la fête
De l’infini que nous voyons ;
La beauté des fleurs semble faite
Avec la candeur des rayons.

J’épelle aussi moi ; je me penche
Sur l’immense livre joyeux ;
O champs, quel vers que la pervenche !
Quelle strophe que l’aigle, ô cieux !

Mais, mystère ! rien n’est sans tache.
Rien ! — Qui peut dire par quels noeuds
La végétation rattache
Le lys chaste au chardon hargneux ?

Tandis que là-bas siffle un merle,
La sarcelle, des roseaux plats,
Sort, ayant au bec une perle ;
Cette perle agonise, hélas !

C’est le poisson qui, tout à l’heure,
Poursuivait l’aragne, courant
Sur sa bleue et vague demeure,
Sinistre monde transparent.

Un coup de fusil dans la haie,
Abois d’un chien ; c’est le chasseur.
Et, pensif, je sens une plaie
Parmi toute cette douceur.

Et, sous l’herbe pressant la fange,
Triste passant de ce beau lieu,
Je songe au mal, énigme étrange,
Faute d’orthographe de Dieu.

(Victor Hugo)

 

 

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Griot de ma race (Ndèye Coumba Diakhaté)

Posted by arbrealettres sur 30 octobre 2020



Ndèye Coumba Diakhaté
    
Griot de ma race

Je suis griot de ma race :
Poète, troubadour;
Je chante très haut ma race, mon sang,
Qui clame qui je suis.

Je suis… bois d’ébène,
Que ne consume le feu lent du mensonge.
Je suis… la latérite rouge du sang farouche de mes ancêtres.

Je suis… la brousse inviolée,
Royaume des singes hurleurs.

Pas le Nègre des bas quartiers,
Relégué dans la fange fétide, la suie qui colle;
Là-bas, dans la ville grise, qui accable, qui tue.

Je suis… qui tu ignores :
Soleil sans leurre; pas de néon hypocrite.
Je suis… le clair de lune serein, complice des ébats nocturnes,

Je suis le sang qui galope, se cabre d’impatience
Dans le dédale de mes artères. Je suis qui tu ignores.
Je crache sur l’esprit immonde.

Et voici que je romps les chaînes,
Et le silence menteur
Que tu jetas sur moi.

(Ndèye Coumba Diakhaté)

 

Recueil: 120 nuances d’Afrique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey

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CHANT D’UN FANTASSIN (Charles Vildrac)

Posted by arbrealettres sur 16 octobre 2020



 

Illustration: Erich Heckel
    
CHANT D’UN FANTASSIN
À André Bacqué

Je voudrais être un vieillard
Que j’ai vu sur une route ;
Assis par terre au soleil
Il cassait des cailloux blancs
Entre ses jambes ouvertes.
On ne lui demandait rien
Que son travail solitaire.
Quand midi flambait les blés,
Il mangeait son pain à l’ombre.

*

Je connais, dans un ravin
Obstrué par les feuillages,
Une carrière ignorée
Où nul sentier ne conduit.
La lumière y est furtive
Et aussi la douce pluie ;
Et un seul oiseau parfois
Interroge le silence.
C’est une blessure ancienne,
Étroite, courbe et profonde
Oubliée même du ciel ;
Sous la viorne et sous la ronce
J’y voudrais vivre blotti.

*

Je voudrais être l’aveugle
Sous le porche de l’église :
Dans sa nuit sonore il chante !
Il accueille tout entier
Le temps qui circule en lui
Comme un air pur sous des voûtes.
Car il est l’heureuse épave
Tirée hors du morne fleuve
Qui ne peut plus la rouler
Dans sa haine et dans sa fange.

*
Je voudrais avoir été
Le premier soldat tombé
Le premier jour de la guerre.

(Charles Vildrac)

 

Recueil: Chants du désespéré (1914-1920) –
Traduction:
Editions: Gallimard

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Qui souffre en moi (Marie Le Franc)

Posted by arbrealettres sur 8 octobre 2020



 

Kathryn Jacobi _Habanera1

Qui souffre en moi

Qui souffre en moi, la bête ou l’ange?
Pour mes blessures, je voudrais
Pouvoir cueillir le disque frais
De la lune au sein de la fange.

Comme la chaîne d’un vieux puits,
Les maux rouillés grincent de rage;
Mon corps est un jardin sauvage
Où galopent les loups de la nuit.

Mais quand j’appelle, ou que je crie
Au secours, comme un chat retors
Qui reflète dans ses yeux d’or
Une nonchalante ironie,

Mon coeur a pris la clef des champs,
Libre à son tour, et le navire
Du corps pesant lentement vire,
Dans l’eau bourbeuse jusqu’aux flancs.

(Marie Le Franc)

Illustration: Kathryn Jacobi

 

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Pas de nom (Rhissa Rhossey)

Posted by arbrealettres sur 5 octobre 2020



Rhissa Rhossey
    
Pas de nom

Non, frère d’outre-mer
Surtout pas de nom
Je ne suis pas le fils
Du vent et des nuages
Je suis le fils de la fange
De la fange stérile et rouge
Sables, montagnes et pierres
Je suis le fils de la terre
Maternelle
Silence, oubli, mépris
Je suis l’enfant des douleurs
Éternelles
Non, frère, je ne suis pas
Je ne suis plus
Le Seigneur du désert
Mais l’esclave
Des horizons nus

(Rhissa Rhossey)

 

Recueil: 120 nuances d’Afrique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey

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A celle qui est voilée (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 29 juin 2020



    

A celle qui est voilée

Tu me parles du fond d’un rêve
Comme une âme parle aux vivants.
Comme l’écume de la grève,
Ta robe flotte dans les vents.

Je suis l’algue des flots sans nombre,
Le captif du destin vainqueur ;
Je suis celui que toute l’ombre
Couvre sans éteindre son coeur.

Mon esprit ressemble à cette île,
Et mon sort à cet océan ;
Et je suis l’habitant tranquille
De la foudre et de l’ouragan.

Je suis le proscrit qui se voile,
Qui songe, et chante, loin du bruit,
Avec la chouette et l’étoile,
La sombre chanson de la nuit.

Toi, n’es-tu pas, comme moi-même,
Flambeau dans ce monde âpre et vil,
Ame, c’est-à-dire problème,
Et femme, c’est-à-dire exil ?

Sors du nuage, ombre charmante.
O fantôme, laisse-toi voir !
Sois un phare dans ma tourmente,
Sois un regard dans mon ciel noir !

Cherche-moi parmi les mouettes !
Dresse un rayon sur mon récif,
Et, dans mes profondeurs muettes,
La blancheur de l’ange pensif !

Sois l’aile qui passe et se mêle
Aux grandes vagues en courroux.
Oh, viens ! tu dois être bien belle,
Car ton chant lointain est bien doux ;

Car la nuit engendre l’aurore ;
C’est peut-être une loi des cieux
Que mon noir destin fasse éclore
Ton sourire mystérieux !

Dans ce ténébreux monde où j’erre,
Nous devons nous apercevoir,
Toi, toute faite de lumière,
Moi, tout composé de devoir !

Tu me dis de loin que tu m’aimes,
Et que, la nuit, à l’horizon,
Tu viens voir sur les grèves blêmes
Le spectre blanc de ma maison.

Là, méditant sous le grand dôme,
Près du flot sans trêve agité,
Surprise de trouver l’atome
Ressemblant à l’immensité,

Tu compares, sans me connaître,
L’onde à l’homme, l’ombre au banni,
Ma lampe étoilant ma fenêtre
A l’astre étoilant l’infini !

Parfois, comme au fond d’une tombe,
Je te sens sur mon front fatal,
Bouche de l’Inconnu d’où tombe
Le pur baiser de l’Idéal.

A ton souffle, vers Dieu poussées,
Je sens en moi, douce frayeur,
Frissonner toutes mes pensées,
Feuilles de l’arbre intérieur.

Mais tu ne veux pas qu’on te voie ;
Tu viens et tu fuis tour à tour ;
Tu ne veux pas te nommer joie,
Ayant dit : Je m’appelle amour.

Oh ! fais un pas de plus ! Viens, entre,
Si nul devoir ne le défend ;
Viens voir mon âme dans son antre,
L’esprit lion, le coeur enfant ;

Viens voir le désert où j’habite
Seul sous mon plafond effrayant ;
Sois l’ange chez le cénobite,
Sois la clarté chez le voyant.

Change en perles dans mes décombres
Toutes mes gouttes de sueur !
Viens poser sur mes oeuvres sombres
Ton doigt d’où sort une lueur !

Du bord des sinistres ravines
Du rêve et de la vision,
J’entrevois les choses divines… –
Complète l’apparition !

Viens voir le songeur qui s’enflamme
A mesure qu’il se détruit,
Et, de jour en jour, dans son âme
A plus de mort et moins de nuit !

Viens ! viens dans ma brume hagarde,
Où naît la foi, d’où l’esprit sort,
Où confusément je regarde
Les formes obscures du sort.

Tout s’éclaire aux lueurs funèbres ;
Dieu, pour le penseur attristé,
Ouvre toujours dans les ténèbres
De brusques gouffres de clarté.

Avant d’être sur cette terre,
Je sens que jadis j’ai plané ;
J’étais l’archange solitaire,
Et mon malheur, c’est d’être né.

Sur mon âme, qui fut colombe,
Viens, toi qui des cieux as le sceau.
Quelquefois une plume tombe
Sur le cadavre d’un oiseau.

Oui, mon malheur irréparable,
C’est de pendre aux deux éléments,
C’est d’avoir en moi, misérable,
De la fange et des firmaments !

Hélas ! hélas ! c’est d’être un homme ;
C’est de songer que j’étais beau,
D’ignorer comment je me nomme,
D’être un ciel et d’être un tombeau !

C’est d’être un forçat qui promène
Son vil labeur sous le ciel bleu ;
C’est de porter la hotte humaine
Où j’avais vos ailes, mon Dieu !

C’est de traîner de la matière ;
C’est d’être plein, moi, fils du jour,
De la terre du cimetière,
Même quand je m’écrie : Amour !

(Victor Hugo)

 

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CONFUSION (Federico Garcia Lorca)

Posted by arbrealettres sur 8 janvier 2020



CONFUSION

Mon coeur,
ou le tien ?
Qui reflète mes pensées ?
Qui me prête
cette passion
sans racines ?
Pourquoi mon habit change-t-il
de couleur ?
Tout est carrefour!
Pourquoi vois-tu dans la fange
tant d’étoiles ?
Frère, est-ce toi
ou moi ?
Et ces mains si froides sont-elles
celles d’un autre ?
Je me vois parmi les couchants,
et une fourmilière de gens
circule dans mon coeur.

(Federico Garcia Lorca)

 

 

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Derrière le mur (Ingerborg Bachmann)

Posted by arbrealettres sur 17 novembre 2019



 

Illustration
    
Derrière le mur

Je pends aux branches comme neige
dans le printemps de la vallée,
comme source froide je flotte au vent,
je tombe humide dans les fleurs en bouton
comme une goutte,
elles pourrissent tout autour
comme autour de la fange.
Je suis ce qui sans cesse pense à la mort.

Je vole, car ne peux aller tranquillement,
à travers les solides bâtiments des cieux
et renverse piliers et murs creux.
J’alerte les autres, car la nuit ne peux dormir,
avec le bruissement lointain de la mer.
Je me glisse dans la bouche des cascades
et des montagnes détache des tonnerres de pierres.

je suis enfant de la grande angoisse du monde,
suspendu à la paix et à la joie
comme les coups de glas aux pas du jour
comme la faux dans les champs mûrs.
Je suis ce qui sans cesse pense à la mort.

***

Hinter der Wand

Ich hänge als Schnee von den Zweigen
in den Frühling des Tals,
als kalte Quelle treibe ich im Wind,
feucht fall ich in die Blüten
als ein Tropfen,
um den sie faulen
wie um einen Sumpf.
Ich bin das Immerzu-ans-Sterben-Denken.

Ich fliege, denn ich kann nicht ruhig gehen,
durch aller Himmel sichere Gebäude
und stürze Pfeiler um und höhle Mauern.
Ich warne, denn ich kann des Nachts nicht schlafen,
die andern mit des Meeres fernem Rauschen.
Ich steige in den Mund der Wasserfälle,
und von den Bergen lös ich polterndes Geel.

Ich bin der großen Weltangst Kind,
die in den Frieden und die Freude hängt
wie Glockenschläge in des Tages Schreiten
und wie die Sense in den reifen Acker.

Ich bin das Immerzu-ans-Sterben-Denken.

(Ingerborg Bachmann)

 

Recueil: Toute personne qui tombe a des ailes
Traduction: Françoise Rétif
Editions: Gallimard

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Le cygne (Tilemachos Chytiris)

Posted by arbrealettres sur 28 décembre 2018



En moi il y a
un cygne
et un beau lac bleu.
Le cygne
me permet de vivre
au-dessus de la fange au fond
du beau
du bleu
du lac.

(Tilemachos Chytiris)


Illustration

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Enfer (Jules Laforgue)

Posted by arbrealettres sur 4 août 2018



Enfer

Quand je regarde au ciel, la rage solitaire
De ne pouvoir toucher l’azur indifférent
D’être à jamais perdu dans l’immense mystère
De me dire impuissant et réduit à me taire,
La rage de l’exil à la gorge me prend!

Quand je songe au passé, quand je songe à l’histoire,
A l’immense charnier des siècles engloutis,
Oh! je me sens gonflé d’une tristesse noire
Et je hais le bonheur, car je ne puis plus croire
Au jour réparateur des futurs paradis!

Quand je vois l’Avenir, l’homme des vieilles races
Suçant les maigres flancs de ce globe ennuyé
Qui sous le soleil mort se hérissant de glaces
Va se perdre à jamais sans laisser nulles traces,
Je grelotte d’horreur, d’angoisse et de pitié.

Quand je regarde aller le troupeau de mes frères
Fourmilière emportée à travers le ciel sourd
Devant cette mêlée aux destins éphémères,
Devant ces dieux, ces arts, ces fanges, ces misères,
Je suis pris de nausée et je saigne d’amour!

Mais si repu de tout je descends en moi-même,
Que devant l’Idéal, amèrement moqueur,
Je traîne l’Être impur qui m’écoeure et que j’aime,
Étouffant sous la boue, et sanglote et blasphème,
Un flot de vieux dégoûts me fait lever le coeur.

Mais, comme encor pourtant la musique me verse
Son opium énervant, je vais dans les concerts.
Là, je ferme les yeux, j’écoute, je me berce.
En mille sons lointains mon être se disperse
Et tout n’est plus qu’un rêve, et l’homme et l’univers.

(Jules Laforgue)


Illustration: Jerome Bosch

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