Elle est brise embaumée qui vient guérir mon mal,
parfum délicieux, savoureuse haleine.
Elle me fait signe, d’un doigt délicat, et va
d’un pas gracieux, la magie relevant encore le fard de ses yeux.
Au creux de la ramure, elle rayonne, fidèle, dans la nuit,
lumière à l’état pur, tout imbibée de musc.
Quand, de sa paume ouverte, elle m’offre des fleurs de jasmin,
ce sont blanches étoiles que je cueille sur cette lune épanouie.
Corps habillé de grâce, être tout de douceur,
enveloppe de pur parfum, vin capiteux,
Elle berce mon coeur de mots que je savoure
comme autant de rêves, comme une rencontre, au bout de l’exil.
(Ibn Zaydûn)
Recueil: Pour l’amour de la Princesse (Pour l’amour de Wallâda)
Traduction: André Miquel
Editions: Actes Sud
Début de la saison. Les fleurs se disputent la beauté.
De la même source, les nuées et les brumes sur le lac.
Sans fard, dans ta barque à lotus
hors du temps chercher l’esprit du Vide.
Les pétales mouillés s’agitent sur les tempes
dans les rameaux secrets des coquilles intimes
du clignement de l’oeil aux chemins de halage
les courbes discourent dans les épis de la neige
La rosée
Le calice tendre frémit
délicieusement entre le cuivre et l’orangé
dans l’écrin des paupières vertes
baisers de seins clairs
germent avec les ongles sombres
sur les nuques saupoudrées de pollen
L’étamine
le parfum brille
je t’aime
La corolle striée grandit chante
les roues marbrées des veines caressantes
le duvet des lueurs les liqueurs d’émoi
rouillent dans les ruines où tremblent nos brumes
Le pistil
rosée de fièvre
la neige de soie tombe
respire
Tout autour de nous
tout proche
le scintillement des découvertes
Respire encore
Le sang vif perle
autour du fard dans les coquilles
caressantes entre le bronze et les rameaux
charmeurs de soies passagères
valsent en lèvres
niellées dans la lueur des pétales
(Michel Butor)
Recueil: Collation précédé de HORS-D’OEUVRE scandés par les SOUVENIRS ILLUSOIRES D’UN JAPON TRES ANCIEN
Traduction:
Editions: Seghers
Je déclare l´état de bonheur permanent
Et le droit de chacun à tous les privilèges.
Je dis que la souffrance est chose sacrilège
Quand il y a pour tous des roses et du pain blanc.
Je conteste la légitimité des guerres,
La justice qui tue et la mort qui punit,
Les consciences qui dorment au fond de leur lit,
La civilisation au bras des mercenaires.
Je regarde mourir ce siècle vieillissant.
Un monde différent renaîtra de ses cendres
Mais il ne suffit plus simplement de l´attendre :
Je l´ai trop attendu. Je le veux à présent.
Que ma femme soit belle à chaque heure du jour
Sans avoir à se dissimuler sous le fard
Et qu´il ne soit plus dit de remettre à plus tard
L´envie que j´ai d´elle et de lui faire l´amour.
Que nos fils soient des hommes, non pas des adultes
Et qu´ils soient ce que nous voulions être jadis.
Que nous soyons frères camarades et complices
Au lieu d´être deux générations qui s´insultent.
Que nos pères puissent enfin s´émanciper
Et qu´ils prennent le temps de caresser leur femme
Après toute une vie de sueur et de larmes
Et des entre-deux-guerres qui n´étaient pas la paix.
Je déclare l´état de bonheur permanent
Sans que ce soit des mots avec de la musique,
Sans attendre que viennent les temps messianiques,
Sans que ce soit voté dans aucun parlement.
Je dis que, désormais, nous serons responsables.
Nous ne rendrons de compte à personne et à rien
Et nous transformerons le hasard en destin,
Seuls à bord et sans maître et sans dieu et sans diable.
Et si tu veux venir, passe la passerelle.
Il y a de la place pour tous et pour chacun
Mais il nous reste à faire encore du chemin
Pour aller voir briller une étoile nouvelle.
Je t’ai peu à peu dévêtue
De cette peau de rêves
De ces baisers cousus
Et soudain nue tu m’apparus
Plus rien de moi n’était à toi
Et tu t’enfonçais loin de moi
Mais ce que j’avais su te prendre
Et qui peut-être était le meilleur de moi-même
Me collait aux doigts comme un fard
Dont je ne savais que faire
Tourné vers les beaux seins que j’aime.
Amour, tu ne reviens plus vers mes yeux morts;
et comme mon coeur idéaliste te pleure.
Mes calices attendent tous ouverts
tes hosties d’automne et tes vins d’aurore.
Amour, croix divine, abreuve mes déserts
de ton sang d’astres qui rêve et qui pleure.
Amour, tu ne reviens plus vers mes yeux morts
qui redoutent et désirent tes larmes d’aurore!
Amour, je ne t’aime pas quand tu es distant
balançant entre tes fards de joyeuse bacchante,
et tes traits fragiles et fades de femme.
Amour, viens sans chair, d’un ichor qui étonnera;
et que moi, comme un Dieu, je sois l’homme
qui aime et engendre sans plaisir sensuel!
Faite ainsi, devant toi, telle que me voici :
Sans apprêt, sans fard, sans grimage ni grâce,
Mais débridée, rebelle, mauvaise à frémir —
C’est ainsi devant toi que je veux me tenir.
Tant et tant pour mesurer ma taille qui s’élance,
Tant et tant pour compter mon temps sur cette terre.
Mesure supplémentaire quand s’envolera mon âme
Surgie de sa prison qui vaguera en silence.
Mes mots ne m’emporteront pas vers les hauteurs —
Mes mots comme broyés par une peur soudaine.
Est-ce « comme ça », « comme ça » que je te parlerai
Moi la moribonde qui, de jour en jour, meurt ?
De jour en jour continents, océans
Montent comme les visions d’un rêve rayonnant,
Comme des chemins tout blancs du néant au néant
Qui tracent couleur azur les abîmes et les cimes.
Déjà ne serai plus, ne suis plus de longtemps.
Par delà la frontière ma route me fait signe.
Est-ce par là que viendraient l’expiation du crime,
Châtiment et vengeance, remords, rétribution ?
Me voici devant toi, je suis telle que je suis,
Débridée, rebelle, marmonnant insoumise.
Alentour m’enveloppent de stériles sanglots
Sur moi-même qui de moi ne deviendrai pas moi.
Le soleil, sur le sable, ô lutteuse endormie,
En l’or de tes cheveux chauffe un bain langoureux
Et, consumant l’encens sur ta joue ennemie,
Il mêle avec les pleurs un breuvage amoureux.
De ce blanc Flamboiement l’immuable accalmie
T’a fait dire, attristée, ô mes baisers peureux,
« Nous ne serons jamais une seule momie
Sous l’antique désert et les palmiers heureux! »
Mais ta chevelure est une rivière tiède,
Où noyer sans frissons l’âme qui nous obsède
Et trouver ce Néant que tu ne connais pas.
Je goûterai le fard pleuré par tes paupières,
Pour voir s’il sait donner au coeur que tu frappas
L’insensibilité de l’azur et des pierres.
La belle princesse Ko-Koué, qui possède le cœur du maître, va lui rendre hommage.
Dès l’aube, elle monte à cheval, et entre, au palais, par la Porte d’Or.
Elle dédaigne toute espèce de fards,
sachant bien qu’ils ne pourraient que ternir, les nuances exquises de son teint.
Mais, d’un pinceau léger, elle dessine ses sourcils.
Seuls, les papillons des vers à soie,
ont des cornes d’une courbe aussi délicate…
et c’est ainsi, qu’elle se présente devant sa Majesté.
(Textes chinois)
Recueil: Le Livre de Jade
Traduction: Judith Gautier
Editions: Plon