L’ÉTOFFE DE L’UNIVERS
(à Pierre Teilhard de Chardin)
Première Partie (Allegro Vivace)
Ce tissu insondable
Flottant vers l’infini
Cette toile
Sans faille
Indescriptible
Ce tic tac du cosmos
Métronome du silence
À la fibre qui palpite
En milliers de battements
Deuxième Partie (Andante)
Ce tissu irréparable
Aux franges sans limites
Cette nature libérée
Ce cosmos qui virevolte
Cet univers en marche
Dans l’étoffe du temps
Finale (Molto Vivace)
Cette pluralité des mondes
Ces espaces infinis
Cette planète inouïe
Au tissu bigarré
Cette gravitation
Ce fileté des jours
Ces continents en déroute
Ce genre humain
Ces foules à travers siècles…
Dont on prévoit la fin.
(Andrée Chedid)
Recueil: L’Étoffe de l’univers
Traduction:
Editions: Flammarion
Corps, portefaix de l’âme, en qui peut-être croire
Serait plus vain, cher corps, que de ne t’aimer pas;
Coeur sans fin transmuté dans ce vivant ciboire;
Bouche toujours tendue aux plus récents appâts.
Mers où l’on peut voguer, sources où l’on peut boire;
Froment et vin mêlés au rituel repas;
Alibi du sommeil, douce cavité noire;
Inséparable terre offerte à tous nos pas.
Air qui m’emplis d’espace et m’emplis d’équilibre;
Frissons au long des nerfs; spasmes de fibre en fibre;
Yeux sur l’immense vide un peu de temps ouverts.
Corps, mon vieux compagnon, nous périrons ensemble.
Comment ne pas t’aimer, forme à qui je ressemble,
Puisque c’est dans tes bras que j’étreins l’univers ?
(Marguerite Yourcenar)
Recueil: Les charités d’Alcippe
Traduction:
Editions: Gallimard
Aux quatre coins de moi-même,
mélancoliquement je cherche
tout ce qui me manque à l’appel!
Où, mon fluide pas
qui feuilletait pour moi les horizons
ainsi que les pages d’un livre
d’images merveilleuses ?
Où, ma main qui serrait les jours
comme un jeu coloré de cartes
dont je pouvais tirer même la bonne ?
Quel miroir me rendra
la courbe exacte du sourire ?
Quelle plume saura traduire
les cadences de quels vers ?
Veuf de tout ce qui fut,
amputé de ce qui pouvait être
et désormais ne sera plus sur cette terre,
qu’attendre donc, qu’attendre
sinon, dans la roche creusée,
le bref horizon d’une bière ?
Pourtant — grâce très grande! — il reste
le coeur : il est plein de toi :
les yeux, les joues, les lèvres, les cheveux
et la voix grave et le sourire
et cette main qui me caresse
et te transfuse peu à peu
dans mes fibres les plus secrètes,
et ton pas qui est le mien.
Puisque tu es en moi,
puisque tu es moi.
A ceux qui savent les écouter,
Les feuilles font des confidences
Elles ne parlent pas aux branches
Mais aux fibres de notre corps.
Leur doux frémissement d’aile tiède
Creuse des sillons de lumière
Où l’ombre inquiète se loge
Fille de la terre et du ciel,
L’orgueil humain les fait trembler.
Le prix du temps leur est connu
Une saison et puis, et puis…
L’envol blond vers un autre ailleurs.
Mon souffle coule en un courant rythmique subtil ;
il emplit mes membres d’une puissance divine :
j’ai bu l’Infini comme un vin de géant.
Le Temps est mon théâtre ou mon spectacle de rêve.
Mes cellules illuminées sont la trame flamboyante de la joie
et les fibres frémissantes de mes nerfs sont devenues
de fins courants d’ivresse, opale et hyaline,
où pénètre l’Inconnu, le Suprême.
Je ne suis plus vassal de la chair,
esclave de la Nature et de sa loi implacable ;
je ne suis plus captif des rets étroits des sens.
Mon âme s’étend par-delà tout horizon en une vision sans borne,
mon corps est l’heureux et vibrant instrument de Dieu,
mon esprit un vaste soleil de lumière immortelle.
(Sri Aurobindo)
Recueil: Poésie
Traduction: Français Cristof Alward-Pitoëff
Editions: Sri Aurobindo Ashram Trust
Les fibres des heures tissent
Les livres des jours
S’envolent en étincelles
Les sillons rêveurs des labours
S’ouvrent aux cris les dédales sourds
Et de nouvelles portes invitent les bras lourds
De tant de désespoirs à s’envoler
Telles des ailes fleurissant d’amour