Chausse tes sandales
et foule le sable
qu’aucun esclave n’a piétiné
Éveille ton âme
et goûte les sources
qu’aucun papillon n’a frôlées
Déploie tes pensées
vers les voies lactées
dont aucun fou n’a osé rêver
Respire le parfum des fleurs
qu’aucune abeille n’a courtisées
Écarte-toi des écoles et des dogmes
Les mystères du silence
que le vent démêle dans tes oreilles
te suffisent
Éloigne-toi des marchés et des hommes
et imagine la foire des étoiles
où Orion tend son épée
où sourient les Pléiades
autour des flammes de la Lune
où pas un Phénicien n’a laissé ses traces
Plante ta tente dans les horizons
où aucune autruche n’a songé à cacher ses oeufs
Si tu veux te retrouver libre
comme un faucon qui plane dans les cieux
l’existence et le néant suspendus
à ses ailes
la vie la mort
(Hawad)
Caravane de la soif, traduit de la tamajadht des Touaregs par l’auteur et Hélène Claudot-Hawad, Édisud, 1985.
Recueil: 120 nuances d’Afrique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Descendait
des émirs nomades
s’est suicidé
parce qu’avait
plus de Patrie
Aimait la France
changea de nom
Il fut Marcel
mais pas Français
savait plus vivre
sous la tente des siens
où l’on écoute
la cantilène du Coran
en buvant du café
Et ne savait
pas délivrer
la chanson
de son abandon
Je l’ai suivi
avec la patronne de l’hôtel
où nous vivions
à Paris
au numéro 5 de la Rue des Carmes
une ruelle en pente les murs fanés
Il repose
au cimetière d’Ivry
un faubourg qui semble
éternellement
dans une journée
où s’en va la foire
Et peut-être suis-je seul
à savoir encore
qu’il a vécu
***
In memoria
Si chiamava
Moammed Sceab
Discendente
di emiri di nomadi
suicida
perché non aveva più
Patria
Amò la Francia
e mutò nome
Fu Marcel
ma non era Francese
e non sapeva più
vivere
nella tenda dei suoi
dove si ascolta la cantilena
del Corano
gustando un caffè
E non sapeva
sciogliere
il canto
del suo abbandono
L’ho accompagnato
insieme alla padrona dell’albergo
dove abitavamo
a Parigi
dal numero 5 della rue des Carmes
appassito vicolo in discesa
Riposa
nel camposanto d’Ivry
sobborgo che pare
sempre
in una giornata
di una
decomposta fiera
E forse io solo
so ancora
che visse
(Giuseppe Ungaretti)
Recueil: Vie d’un homme Poésie 1914-1970
Traduction:
Editions: Gallimard
Les mains dans les poches,
Le long de la route,
J’écoute
Mille cloches
Chantant : « les temps sont proches;
« Sans que tu t’en doutes! »
Ah! Dieu m’est égal!
Et je suis chez moi!
Mon toit
Très-natal
C’est Tout. Je marche droit,
Je fais pas de mal.
Je connais l’Histoire,
Et puis la Nature,
Ces foires
Aux ratures;
Aussi je vous assure
Que l’on peut me croire!
Pas deux bêtes semblables
pas deux pareilles
dans toute l’histoire
des foires
et dans l’histoire des bêtes
pas deux bêtes pareilles
pas deux mêmes poils
pas deux mêmes oreilles
pas deux mêmes pis
mais l’oeil
toujours le même
saisit le pareil
dans le même
Nous avons eu de beaux jours et du ciel bleu
Nous avons dansé sur les dunes
et joué sous les vagues à capturer des hippocampes
Notre jeunesse a grandi
nous sommes devenus grands
nous sommes devenus jeunes
Nous avons revêtu la jeunesse des astres.
Le chant monte à la mer
à l’heure du jusant.
Le monde veut jouer comme l’enfant des foires
Le monde fait de l’or en frottant ses cailloux
Le monde n’est pas mort
Ses rêves sont debout.
Le chant monte à la mer
qui le sème à tous vents
Le monde est plus heureux
depuis qu’il n’est plus temps.
Hilaire est à la foire.
Il pense à sa femme
qui garde la ferme.
Alors il achète un cadeau.
Une valise blanche
garnie de linge fin.
Il rentre tôt.
Il pose le présent sur la table.
Sa jeune femme est médusée.
Jamais elle n’a vu de valise blanche.
Elle a une idée.
Vite elle dénoue son tablier,
elle met son manteau
et prend la valise.
Elle se regarde
dans le grand miroir,
elle est élégante,
elle marche,
elle arrive à la ville,
elle monte dans le train pour Paris.
Paris, Hilaire!
Le paysan se tait.
Il attend patiemment
qu’elle revienne.
C’est son premier voyage.
Les moissonneurs reviennent du champ,
les pêcheurs de la mer,
et leurs pas sont lourds sous le fardeau qu’ils portent.
Tout est fardeau, même l’amour.
Les vieilles femmes reviennent de l’église,
les jeunes garçons de la foire.
Les larmes sont séchées. Mais où donc est resté le rire ?
Il y a toujours des choses qui restent en arrière,
et l’on regrette tout, même le deuil.
Sur le terrain de foire, au grand soleil brûlé,
Le cirque des chevaux de bois s’est ébranlé
Et l’orgue attaque l’air connu : » Tant mieux pour elle ! »
Mais la brune grisette a fermé son ombrelle,
Et, bien en selle, avec un petit air vainqueur,
Elle va se payer deux sous de mal de coeur.
Elle rit, car déjà le mouvement rapide
Colle ses frisons noirs sur son front intrépide,
Et le vent fait flotter sa jupe et laisse voir
Un gai petit mollet, en bas rouge à coin noir.