Le Tage est plus beau que la rivière
qui passe dans mon village.
Mais le Tage n’est pas plus beau
que la rivière qui passe dans mon village
Parce que le Tage n’est pas la rivière
qui passe dans mon village.
Le Tage a de grands navires
Et sur lui navigue encore,
Pour ceux-là qui voient en toute chose
ce qui n’y est pas,
La mémoire des caravelles.
Le Tage descend d’Espagne
Et le Tage se jette dans la mer au Portugal.
Tout le monde sait ça.
Mais peu de gens savent
quelle est la rivière de mon village
Ni où elle va
Ni d’où elle vient.
Et c’est pourquoi,
vu qu’elle appartient à moins de monde,
Elle est plus libre et plus grande,
la rivière de mon village.
Par le Tage on s’en va vers le monde.
Au-delà du Tage il y a l’Amérique
Et la fortune de ceux qui font fortune.
Personne jamais n’a pensé
à ce qu’il y a au-delà
De la rivière de mon village.
La rivière de mon village
ne fait penser à rien.
Qui se trouve à côté d’elle
se trouve à côté d’elle,
voilà tout.
(Fernando Pessoa)
Recueil: Poèmes païens
Traduction: du Portugais par M. Chandeigne , P. Quillier et M. A. Camara Manuel
Editions: Points
S’il est vrai que les yeux soient le miroir de l’âme,
tu as déjà pu voir dans les miens le feu qui me consume;
et n’est-ce pas assez pour mériter ta pitié,
sans recourir aux prières?
Mais, peut-être plus touchée que je n’ose l’espérer
de cette chaste flamme à laquelle je dois mes vertus et ma gloire,
tu souris à mon amour, comme digne d’être exaucé
par la pureté de ses voeux.
Jour fortuné !
si mon coeur ne s’abuse,
que le temps s’arrête soudain ;
que le soleil cesse de poursuivre son antique carrière ;
Pour qu’après tant de souffrances,
je reçoive le prix si désiré de mon amour,
et que je jouisse à jamais
dans son ineffable possession.
Joli tambour s’en revient de la guerre
Joli tambour s’en revient de la guerre
Et ri et ran, ran, ran pa ta plan !
S’en revient de la guerre
La fille du roi s’est mise à sa fenêtre
Dans sa main droite, elle tient une rose
Et ri et ran, ran, ran pa ta plan !
Elle tient une rose.
Fille du roi, veux-tu m’donner ta rose ?
Fille du roi, veux-tu m’donner ta rose ?
Et ri et ran, ran, ran pa ta plan !
Veux-tu m’donner ta rose ?
Joli tambour, demande-la z’à mon père
Joli tambour, demande-la z’à mon père
Et ri et ran, ran, ran pa ta plan !
Demande-la z’à mon père
Sire mon Roi, veux-tu me donner ta fille ?
Joli tambour, quelle est donc ta fortune ?
Et ri et ran, ran, ran pa ta plan !
Quelle est donc ta fortune ?
Sire mon Roi, ma caisse et mes baguettes
Sire mon Roi, ma caisse et mes baguettes
Et ri et ran, ran, ran pa ta plan !
Ma caisse et mes baguettes
Joli tambour, tu n’es pas assez riche
Joli tambour, tu n’es pas assez riche
Et ri et ran, ran, ran pa ta plan !
Tu n’es pas assez riche
J’ai bien aussi des châteaux par douzaines
J’ai trois vaisseaux dessus la mer jolie
Et ri et ran, ran, ran pa ta plan !
Dessus la mer jolie
L’un est en or, l’autre en argenterie
Le troisième, c’est pour embarquer ma mie
Et ri et ran, ran, ran pa ta plan !
Pour embarquer ma mie
Joli tambour, dis-moi quel est ton père
Joli tambour, dis-moi quel est ton père
Et ri et ran, ran, ran pa ta plan !
Dis-moi quel est ton père
Sire mon roi, c’est l’empereur Auguste
Joli tambour, je te donne ma fille
Et ri et ran, ran, ran pa ta plan !
Je te donne ma fille
Sire mon roi, je fais fi d’toi et d’ta fille
Dans mon pays, y’en a de plus jolies
Et ri et ran, ran, ran pa ta plan !
Y’en a de plus jolies
Y en a des blond’ et des brunes aussi
Ran,ran,ran pataplan!
Et des brunes aussi!
(Anonyme)
Recueil: Les plus belles chansons du temps passé
Traduction:
Editions: Hachette
Brières mes limons de tendresse
O mes cages
Pérous de la lumière
Iles saintes du feu
Les vols ensorcelés de mes canards sauvages
La chambre fortunée où j’en appelle à Dieu
Je revois tout
L’échoppe rose des aurores
Sur mes genoux il pleut encore
Combien de temps déjà
Combien de pas battant mes pas
Dans le miroir quelle rencontre
Mon coeur a fait battre la montre
Encore un soir où je m’en vais
Sur le grand livre des marais
Tracer les mots de mon enfance
D’un geste fondre les saisons
Au bercement des horizons
Et des hoquets de la souffrance.
(René Guy Cadou)
Recueil: René Guy Cadou Poésie la vie entière oeuvres poétiques complètes
Traduction:
Editions: Seghers
Je n’aime que les livres dont les pages sont imbibées de ciel bleu
– de ce bleu qui a fait l’épreuve de la mort.
Si mes phrases sourient c’est parce qu’elles sortent du noir.
J’ai passé ma vie à lutter contre la persuasive mélancolie.
Mon sourire me coûte une fortune.
Le bleu du ciel, c’est comme si une pièce d’or
tombait de votre poche et qu’en l’écrivant je vous la rendais.
Ce bleu en majesté dirait la fin définitive du désespoir
et ferait monter les larmes aux yeux.
Vous comprenez ?
Pourquoi n’ai-je pas conservé
Tes sourires précieux
Et préservé l’ombre
Que tu jetais sur nos routes ?
Pourquoi n’ai-je pas mis de côté
Tes regards d’ambre et d’or,
Fortune fabuleuse pour plus tard
Quand je serai à court de tendresse ?
J’ai gaspillé tes caresses
Je n’ai aucun disque de tes pas
L’orage a éparpillé tes étreintes
Et détruit les silos remplis de baisers.
Le dernier son de ta voix
S’est perdu dans le sable
Et je dessine en vain ton profil
Dans le givre de ma fenêtre.
(Claire Goll)
Recueil: Poésie au féminin
Traduction:
Editions: Folio