Venez là pour m’aimer, dit la fleur du jardin,
L’herbe haute de Juin et l’écho de la plaine,
Le cerisier en fleurs, l’oiseau la gorge pleine…
De chants ensoleillés et de paix du matin.
Venez là pour m’aimer, dit la source profonde,
Le murmure du vent d’un son harmonieux,
Les oiseaux du rivage aux vols ingénieux,
Le profond bleu du ciel, comme celui de l’onde.
Venez là pour m’aimer, dit le faible roseau,
La tourterelle blanche et la petite ânesse,
Le long troupeau qui passe, aînés comme jeunesse,
Le rouet patiné, son bois et son fuseau.
Venez là pour m’aimer, dit notre belle France
Nombreuses régions, véritables trésors
Aux sites sans pareils dans leurs frondaisons d’or
Aimez-moi comme un coeur beau comme l’espérance.
Je suis d’Auvergne et de France et du
monde, mais je sais bien que je suis d’autre
part. Un dit l’Europe, un autre l’Occident
et l’on agite une absurde oriflamme.
Moi, citoyen du chêne et de la rose
ou patriote au coeur des primevères,
j’habite aussi des étoiles lointaines,
en Utopie où j’ai mille demeures,
l’igloo, la case, et la mer et la plaine,
pampas, toundras et neiges éternelles
car je suis né dans chacun de mes mots.
(Robert Sabatier)
Recueil: La cour couleurs Anthologie de poèmes contre le racisme
Traduction:
Editions: Rue du monde
Il revient à ma mémoire
Des souvenirs familiers
Je revois ma blouse noire
Lorsque j´étais écolier
Sur le chemin de l´école
Je chantais à pleine voix
Des romances sans paroles
Vieilles chansons d´autrefois
{Refrain:}
Douce France
Cher pays de mon enfance
Bercée de tendre insouciance
Je t´ai gardée dans mon cœur!
Mon village au clocher aux maisons sages
Où les enfants de mon âge
Ont partagé mon bonheur
Oui je t´aime
Et je te donne ce poème
Oui je t´aime
Dans la joie ou la douleur
Douce France
Cher pays de mon enfance
Bercée de tendre insouciance
Je t´ai gardée dans mon cœur
J´ai connu des paysages
Et des soleils merveilleux
Au cours de lointains voyages
Tout là-bas sous d´autres cieux
Mais combien je leur préfère
Mon ciel bleu mon horizon
Ma grande route et ma rivière
Ma prairie et ma maison.
Le cœur de Paris, c´est une fleur,
Une fleur d´amour si jolie
Que l´on garde dans son cœur,
Que l´on aime pour la vie.
Le cœur de Paris, c´est une romance
Qui parle du soleil ou d´la pluie.
On croit qu´elle finit mais elle recommence.
Le cœur de Paris, c´est la France.
Le cœur de Paris, oh midinettes,
C´est deux sous d´bonheur, une guinguette
On y danse quand il fait beau.
C´est Lison, Manon, Lisette.
Le cœur de Paris, c´est les poulbots
Am figures d´archanges, aux phrases crues,
Montmartre qui s´endort dans une toile d´Utrillo,
Le cœur de Paris, c´est la rue.
Le cœur de Paris, c´est une histoire
Toujours présente à nos mémoires.
C´est la barbe du roi Henri,
Barbe bleue ou barbe noire.
Ainsi se termine ma p´tite chanson
Qui déploie ses ailes à la ronde.
Elle s´envole aux cieux pour porter un peu
Du cœur de Paris dans le monde
Et le monde ravi
Murmure : « Qu´il est gentil,
Le cœur de Paris! »
Voici le Soleil
Qui fait tendre la poitrine des vierges
Qui fait sourire sur les bancs verts les vieillards
Qui réveillerait les morts sous une terre maternelle.
J’entends le bruit des canons — est-ce d’Irun?
On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat Inconnu.
Vous mes frères obscurs, personne ne vous nomme.
On promet cinq cent mille de vos enfants à la gloire des
futurs morts, on les remercie d’avance futurs morts
obscurs
Die Schwarze schande !
Écoutez-moi, Tirailleurs sénégalais, dans la solitude de la terre noire et de la mort
Dans votre solitude sans yeux sans oreilles, plus que dans ma peau sombre au fond de la Province
Sans même la chaleur de vos camarades couchés tout contre vous, comme jadis dans la tranchée jadis dans les palabres du village
Écoutez-moi, Tirailleurs à la peau noire, bien que sans oreilles et sans yeux dans votre triple enceinte de nuit.
Nous n’avons pas loué de pleureuses, pas même les larmes de vos femmes anciennes
— Elles ne se rappellent que vos grands coups de colère, préférant l’ardeur des vivants.
Les plaintes des pleureuses trop claires
Trop vite asséchées les joues de vos femmes, comme en saison sèche les torrents du Fouta
Les larmes les plus chaudes trop claires et trop vite bues au coin des lèvres oublieuses.
Nous vous apportons, écoutez-nous, nous qui épelions vos noms dans les mois que vous mouriez
Nous, dans ces jours de peur sans mémoire, vous apportons l’amitié de vos camarades d’âge.
Ah ! puissé-je un jour d’une voix couleur de braise, puissé-je chanter
L’amitié des camarades fervente comme des entrailles et délicate, forte comme des tendons.
Écoutez-nous, Morts étendus dans l’eau au profond des plaines du Nord et de l’Est.
Recevez ce sol rouge, sous le soleil d’été ce sol rougi du sang des blanches hosties
Recevez le salut de vos camarades noirs, Tirailleurs sénégalais
MORTS POUR LA RÉPUBLIQUE !
Tours, 1938.
(Léopold Sédar Senghor)
Recueil: Anthologie Poésie africaine six poètes d Afrique francophone
Traduction:
Editions: Points
I
Ma France à moi elle est joyeuse
Elle dit bonjour et comment allez-vous
Mais elle sait dire non elle est frondeuse
On ne la f’ra jamais mettre à genoux
Ma France à moi celle que j’adore
Celle qui chantait le chant des partisans
Celle des Klarsfeld celle de Senghor
Celle de Prévert et la France des paysans
France de Stendhal Chamfort Molière
France de Balzac La Fontaine et Victor
Des frères Lumière d’Apollinaire
D’Alfred Jarry des chants de Maldoror
Ma France à moi qu’avant tout j’aime
C’est celle de la liberté d’expression
Les mots d’amour voire les blasphèmes
Sont l’essentiel de ma respiration
II
France de Matisse Monet Soulages
France de Desproges et des tweets de Pivot
France de Coluche France du partage
France de Daumier Gotlib et Picasso
Ma France à moi peut-êt’ croyante
Mais a parfaitement le droit d’être athée
Bible ou Coran si ça lui chante
Elle dit pardon c’est pas ma tasse de thé
Ma France à moi elle est gourmande
D’accordéon de jazz et de Verdi
Elle chérit ses enfants d’légende
Ceux du Vel’ d’hiv’ et ceux du paradis
L’obscurantisme d’un autre âge
Les fanatismes elle en a fait son deuil
Aucun racisme aucun clivage
Ne sont bienv’nus sur sa terre d’accueil
III
Nos femmes en France embrassent et dansent
Libres d’aimer d’faire valser les textos
Z’apprécient guère qu’on les tabasse
Ni d’êt’ voilées ce n’sont pas des bateaux
Eh oui ma France adore ses femmes
Les Barbara Colette Marie Curie
Les De Beauvoir celles qui s’enflamment
Lucie Aubrac Simone Veil Adjani
Ma France de Jaurès fût compagne
Et des savants des chercheurs elle raffole
Jules Ferry Pasteur Charlemagne
C’est grâce à eux qu’on va tous à l’école
Bien sûr ma France elle est laïque
De penser libre et libre de parole
C’est la France de la république
Les religions s’apprenn’ pas à l’école
IV
Cette France que certains haïssez
A ceux qui l’aiment il vous faut la laisser
Cette chanson libre jaillie d’mon cœur
J’aim’rais qu’les écoliers l’apprenn’ par cœur
Car cette Franc’-là tel est mon vœu
Je souhait’ qu’elle soit demain leur France à eux
Que l’Imam prie
Que le prêtre jeûne
Et que l’athée dorme
Quelle importance
Chacun voit son Dieu dans le ciel
Il lui parle en silence
Il lui crie ses souffrances
Gardez vos croyances dans vos âmes
Et aimez-vous pardon
Dans les tombes, vous êtes tous poussière
Et puis quoi?
Kadjatou Xialong Yung
Je déjeune en mafé
Je dîne en sushi
Les yeux émincés
Le nez gros
Une pincée de sel dans mon identité
Quelle chance!
Il paraît que Paris c’est la crise
Et que la France est faillite
Haa, reprenons nos valises
Il paraît que là-bas c’est le paradis
L’hiver fait six mois, quelle importance
Ici les cinquante degrés durent une éternité
Il paraît qu’il y a assurance maladie là-bas
Haa Ébola et sida on s’en fout
Ici l’hôpital c’est la morgue
Et la morgue un reposoir
J’ai vu mon frère offrir sa femme
Pour payer la traversée
J’ai vu ma soeur s’ouvrir à l’inconnu
J’ai vu le viol consenti
Pour fuir le dénuement
La voix libératrice
S’est tue
Depuis, je maudis
Le langage du silence
(Adelle Barry)
Recueil: 120 nuances d’Afrique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Sur la route du passé
Vois-tu venir la France ?
Quelle belle garce, la riguedondé
Dans ses beaux habits brodés
Couleur d’espérance !
Elle a les yeux étoilés
Quand elle marche, elle danse !
Forte en gueule, l’esprit salé
Quel air ! Quelle aisance !
Sur la route du passé
Vois-tu venir la France ?
Le coeur vif, le corps racé
La rigue, la riguedondé
Vive la rose rouge
Dorée comme épis de blé
Dès son adolescence
A couché la riguedondé
Avec ces rois bien râblés
La belle alliance !
Ont ma foi bien travaillé
A chaque délivrance
Accouchait d’une cité
Terre de plaisance
Terre à vignes, terre à blé
Elle a grandi, la France
En remplissant vos greniers
La rigue, la riguedondé
Vive la rose rouge et le joli bleuet
Elle a souffert, a lutté
Pour son indépendance !
A chanté la riguedondé
L’amour et la liberté
Mais désespérance !
A vu le fruit se gâter
Là, trop d’abondance
Ici, trop de pauvreté
Trop de différence
Son grand coeur
S’est révolté
Reprenant sa balance
A rêvé d’égalité
La rigue, la riguedondé
Vive la rose rouge et le joli bleuet
Qu’à mon bouquet j’ajoute
Sur la Bastille a sauté
La Carmagnole de danse
Citoyens la riguedondé
Salut et Fraternité
Vive l’espérance !
Le soleil faisait monter
La bonne semence
Mais les gros rats empestés
Ceux de la finance
Et leurs féodalités
Oh la sinistre engeance !
Ont corrompu la cité
La rigue, la riguedondé
Vive la rose rouge et le joli bleuet
A mon bouquet j’ajoute
Un brin de blanc muguet
Mais entendez-vous monter
Du fond du grand silence
Cet appel la riguedondé !
De tous les déshérités ?
Assez de souffrances !
Mur d’argent, obscénité
Ombre sur la France
On te refera sauter
Un jour, patience !
Liberté, Egalité
Ces grands noms qui t’offensent
Redeviendront vérité
La rigue la riguedondé
Alors au soleil d’été
On verra la France
Qu’elle est belle la riguedondé
Saluant l’Humanité
Marchant en cadence
A ses grands yeux étoilés
Le ciel se fiance
Elle est comme un beau voilier
Sur la mer qui danse
Terre de la liberté
Alors pour ta défense
Tous voteront sans hésiter
La rigue la riguedondé
Descendait
des émirs nomades
s’est suicidé
parce qu’avait
plus de Patrie
Aimait la France
changea de nom
Il fut Marcel
mais pas Français
savait plus vivre
sous la tente des siens
où l’on écoute
la cantilène du Coran
en buvant du café
Et ne savait
pas délivrer
la chanson
de son abandon
Je l’ai suivi
avec la patronne de l’hôtel
où nous vivions
à Paris
au numéro 5 de la Rue des Carmes
une ruelle en pente les murs fanés
Il repose
au cimetière d’Ivry
un faubourg qui semble
éternellement
dans une journée
où s’en va la foire
Et peut-être suis-je seul
à savoir encore
qu’il a vécu
***
In memoria
Si chiamava
Moammed Sceab
Discendente
di emiri di nomadi
suicida
perché non aveva più
Patria
Amò la Francia
e mutò nome
Fu Marcel
ma non era Francese
e non sapeva più
vivere
nella tenda dei suoi
dove si ascolta la cantilena
del Corano
gustando un caffè
E non sapeva
sciogliere
il canto
del suo abbandono
L’ho accompagnato
insieme alla padrona dell’albergo
dove abitavamo
a Parigi
dal numero 5 della rue des Carmes
appassito vicolo in discesa
Riposa
nel camposanto d’Ivry
sobborgo che pare
sempre
in una giornata
di una
decomposta fiera
E forse io solo
so ancora
che visse
(Giuseppe Ungaretti)
Recueil: Vie d’un homme Poésie 1914-1970
Traduction:
Editions: Gallimard