Mais revoici la cuisine et son train
d’ombres cassées par la fine lumière
de mars. Le chat dort sur le frigo,
l’âme enfoncée jusqu’aux yeux
dans le gant du soleil. Dehors
le disque de la terre entre les pépiements
semble s’être arrêté : il est 9 heures.
Les prés sèchent leurs plaies
sous le drap bleu. Longue est l’attente,
et de quoi ? si rien ne manque apparemment,
pas le moindre rayon à la barre
des collines, pour maintenir à flot
ton frêle esquif dans le courant des jours.
(Guy Goffette)
Recueil: Le pêcheur d’eau
Traduction:
Editions: Gallimard
Tu as déposé ton cœur
dans le compartiment congélateur
de ton frigo
pour le mettre à l’abri
des variations de la température,
des bactéries,
des maladies, des aventures
et des malheurs.
Ainsi, tu pourras le ressortir
et il sera comme neuf
le jour où, enfin
tu en auras besoin.
Prends garde
cependant
à ne pas dépasser
la date
de péremption.
J’ai noté
qui venait de la cuisine
le bruit d’un couteau sur une pomme.
Je l’entendais je l’ai marqué
avec d’autres mots
pour dire d’autres bruits
(comme celui d’un frigo
dans une maison vide
ou encore d’un râteau
sur des graviers l’été).
Aujourd’hui je les retrouve
— mots et bruits —
au milieu d’un carnet
qui me parlent toujours
me renvoient à des lieux
à des jours très précis.
Et si par la fenêtre ouverte
j’écoute vos rires et vos cris
dans un jardin vibrer
c’est dans le jet d’eau qui vous vise
encore un peu d’amour qui se déroule
et qui retombe dans mon poème
maintenant retrouvé.
(François de Cornière)
Recueil: Ces moments-là
Traduction:
Editions: Le Castor Astral
En vous attendant
j’ai confectionné un bijou d’écume
que je porte à mon front comme un diadème arc-en-ciel
reine dans ma solitude
et pourtant je n’avais pas prévu de
vivre en solo près du rien
Étrange timbre du frigo
note ténue dans le silence
où vos voix joyeuses ne font pas tapage
mais le chant des oiseaux et le prélude
du muezzin à la nuit rendent cette idée moins absurde
vivre en solo près du rien
Je joue mon rôle dans votre univers
et vous dans le mien
Ne m’oubliez pas
A chacun sa complétude
même si vous n’aviez pas prévu de
vivre en solo près du rien
Le bouquet de fleurir fait beau sur le frigo
Ca s’ouvre et se ferme s’ouvre et se ferme
La famille est beaucoup mais le père est trop malade
La famille prend de la glace passe repasse font vite
Tombe pétale tic
Tombe pétale tac
Tombe pétale tombe à chaque han du frigo
C’est peut-être à coup de châtaigne qu’on devient marron
C’est peut-être à coup de bonbaine qu’on devient neutron
C’est peut-être à coup de canon qu’on se fait un bâton de maréchal
Une veuve joyeuse, une gueule cassée deux étoiles
C’est peut-être en débitant du saucisson qu’on fait fortune dans la chanson
Faudra que j’essaye avec Fanon…
C’est peut-être à petits coups de blanc qu’on devient poivrot
C’est peut-être à petits coup de dents qu’on devient salaud
C’est peut-être à coup de métro qu’on se fait une gueule de parigot
Qui ne pense plus qu’à sa voiture à son frigo
C’est peut-être en montrant le fond de son pantalon
Qu’on fait son trou dans la chanson
Faudra que j’essaye avec Fanon…
C’est peut-être par la calotte qu’on devient païen
C’est peut-être par la culotte qu’on devient putain
C’est peut-être par le calot qu’on devient crétin
par le culot qu’on devient quelqu’un
Qui ne fait rien de ses deux mains
C’est peut-être en chantant mon cul sur la commode
Qu’on se fait une chanson à la mode
Faudra que j’essaye avec Fanon…
C’est peut-être au chapeau qu’on voit l’homme d’affaires
C’est peut-être aux affaires qu’on voit le gangster
C’est peut-être à coup d’oseille qu’on se fait sa place au soleil
A coup de baise-main qu’on se fait un lit à baldaquin
C’est peut-être en marchant sur les mains des copains
Qu’on se fait un nom dans la chanson
Faudra que j’essaye avec Fanon…
C’est peut-être en forgeant qu’on devient forgeron
C’est peut-être en ahanant qu’on devient bûcheron
C’est peut-être en bourlinguant qu’on devient matelot
A coup de faucille qu’on devient marteau,
A coup de marteau qu’on fait le gros dos
C’est peut-être à coup de chansons sans concession
Qu’on fait sa petite révolution chez les rois loups de la chanson
C’est peut-être à cause d’une chanson
Qu’en une nuit comme des champignons
Poussent les amis qui font la rime à mes chansons.
La boule se déplie et c’est mon père qui se relève d’un mauvais songe.
Il était simplement resté un peu trop longtemps allongé dans sa chambre.
La lumière entre à flots par les grandes fenêtres du séjour,
se pose sur la table ronde en bois clair.
Nous sommes assis l’un en face de l’autre et nous parlons en buvant du vin.
Des calamars farcis cuisent au four.
Dans le frigo il y a des chocolats liégeois.