Wilhelma zoological and botanical gardens, Stuttgart, Germany
Désirs
Je suis le bruit du monde
le balancement inapaisé entre ici et ailleurs
la frondaison muette du cactus
le bois rugueux qui recouvre le gecko
les rais du caméléon jaune soleil
le lit du livre-monde
où les pages sont autant des vagues de la quête
toujours recommencée
Je suis né d’un songe de la terre
rêvant qu’elle s’unissait au ciel.
J’ai grandi dans l’ombre inquiète de racines
toujours assoiffées d’obscur.
Et j’ai fleuri dans l’allégresse de la sève
et l’offertoire des frondaisons.
Je suis l’axe du monde,
vivant défi des temps carbonifères.
L’alliance de l’ombre et de l’éclair,
le tremplin des orages,
l’esprit des sources
et des souffles.
Je suis le sommeil et l’éveil,
le silence et la symphonie.
Je suis l’oratoire des astres,
et mes feuillages s’impatientent
des apocalypses à venir.
J’abrite en mes branches
l’aspic et l’alouette,
l’ogre et l’océanide,
le singe et la sylphide,
le ver et la vestale.
J’abrite l’hier des fauves,
les présent des oiseaux
et le demain des hommes.
J’abrite le nid des anges
et les couvées du ciel.
Je suis l’axe du monde.
*Yggdrasil est le nom donné par les anciens Germains
au Frêne cosmique qui reliait le ciel et la terre.
Il abritait en ses racines les divinités du destin,
en ses branches toute l’humanité
et en son sommeil le palais des dieux.
(Jacques Lacarrière)
Recueil: A l’orée du pays fertile
Traduction:
Editions: Seghers
Ce ne sont pas les oiseaux qui parlent, mais les hommes qui apprennent le silence.
Eux, ils ne savent et n’utilisent aucun langage.
D’une sagesse de feuilles
Dans un vol d’ombres qui se faufilent entre les frondaisons des arbres,
N’exprimant que les longues pensées du monde,
Leur chant s’élève, absolu, ce chant qui n’a qu’une seule phrase
Et ne vient pas d’un coeur divisé, douloureux.
Les bêtes aux yeux indifférents et doux,
Éveillées ou endormies, ont la grâce naturelle.
Ordre innocent des étoiles et des marées,
Un élan circule dans le cours du sang.
Obéissant à un seul pouls vivant,
Avec eux, les saints conversent en secret.
Nous, ignorants et bannis, nous restons
A nous émerveiller du vol de l’hirondelle,
A contempler la main ouverte,
A interroger les lignes de la chance :
Chaque destinée tourmente
L’esprit exilé.
Nos paroles et nos idées ne nomment
Qu’un univers d’ombres; car la vérité est claire
Qui a visité Jacob en rêve,
Que Moïse entendit dans le désert brûlant,
Et que livrent les anges dans l’annonciation.
***
THE SPEECH OF BIRDS
For Helen Sutherland
It is not birds that speak, but men learn silence;
They know and need no language; leaf-wise
In shadowy flight, threading the leafy trees,
Expressive only of the world’s long thoughts,
Absolute rises their one-pointed sons,
Not from a heart divided, and in pain.
The sweet-eyed, unregarding beasts
Waking and sleeping Wear the natural grace.
The innocent order of the stars and tides
An impulse in the blood-stream circulates.
Obedient to one living pulse,
With them, at heart, converse the saints.
We, ignorant and outcast, stand
Wondering at the swallow’s flight
Gazing at the open band,
Questioning the lins of fate —
Bach individual destin »,
Preying on an exiled mind.
Our words, our concepts, only Harle
A world of shadows; for the truth is plain
That visited Jacob in a dream,
And Moses, from the burning desert heard,
Or angels in annunciation bring.
(Kathleen Raine)
Recueil: ISIS errante Poèmes
Traduction: François Xavier Jaujard
Editions: Granit
J’ai retiré mon âme au manoir du Silence ;
J’ai fait derrière moi sonner les gonds d’airain.
Nul ne viendra troubler ma solitude immense,
Nul ne viendra souiller mon vierge souterrain !
Les rumeurs de la vie expirent à ma porte :
Mon parc est sans ramage et mon mur sans échos.
J’ai ravagé les nids que le printemps m’apporte,
Et, de mon lourd donjon, j’ai chassé les corbeaux.
Nulle clarté d’emprunt n’illumine mes salles,
Ni lustres aux plafonds, ni torches aux piliers ;
Seuls, les rayons du jour, bondissant sur les dalles,
Ruissellent à travers mes larges escaliers.
Puis, la Nuit lentement accroche ses pans d’ombre
Aux chapiteaux massifs des pilastres géants ;
Le manoir, tout entier, dans les ténèbres sombre,
Partout on voit s’ouvrir des abîmes béants.
J’aime mes murs déserts comme un rustre ses landes ;
J’y savoure, à l’écart, la douceur du relais,
Les Heures, le front ceint de fleurs et de guirlandes,
Y tissent mon destin d’allégresse et de paix.
Et je ne suis pas seul dans ce palais féerique,
Bien que nul importun n’y pénètre jamais,
Car le Rêve y déploie, étrange et magnifique,
Sa verte frondaison en superbes forêts.