Es-tu allé dans la nuit —
je connais
la nuit, c’est de la roche.
De mes mains j’ai frappé,
des battoirs mes mains à force.
Il sont partis en fumée
les charbons que j’ai abattus,
et dans les airs
se sont dissipées les fumées,
et dans les poêles des blancs hivers
elle est morte
la chaleur.
À la place des mains des battoirs.
Mais ils ne sont pas morts
les gens dans le froid
des blancs hivers.
À l’usine, qui fumait de toutes ses cheminées,
ce que j’ai abattu
est devenu fer
il sert pour les voitures
et étayent les maisons
Habite ! vis ! tout va bien,
mes mains sont des battoirs :
pas pour rien.
***
Alter Bergmann
Bist du in der Nacht gegangen —
ich kenn
die Nacht, die Gestein ist.
Ich schlug mir die Hände zu Brettern.
Es sind verraucht
die Kohlen, die ich gebrochen,
es sind die Rauchschwaden
vergangen in Luft,
es ist in Öfen
der weißen Winter
die Wärme
gestorben.
Mir sind die Hände zu Brettern geworden.
Gestorben sind nicht die Menschen
in Kälte
der weiBen Winter.
In Fabriken, wo durch Schornsteine rauchte,
was ich gebrochen,
ist Eisen geworden,
das dient an Wagen,
als Träger in Häusern.
Wohnt! Lebt! Wie gut,
mir sind die Hände zu Brettern geworden
nicht umsonst.
(Johannes Kühn)
Traduction de Claude Vercey
Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers
Dans le jardin, sucré d’oeillets et d’aromates,
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates
Chancellent de rosée et de sève pourvus,
Je viendrai, sous l’azur et la brume flottante,
Ivre du temps vivace et du jour retrouvé,
Mon coeur se dressera comme le coq qui chante
Insatiablement vers le soleil levé.
L’air chaud sera laiteux sur toute la verdure,
Sur l’effort généreux et prudent des semis,
Sur la salade vive et le buis des bordures,
Sur la cosse qui gonfle et qui s’ouvre à demi ;
La terre labourée où mûrissent les graines
Ondulera, joyeuse et douce, à petits flots,
Heureuse de sentir dans sa chair souterraine
Le destin de la vigne et du froment enclos…
Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement,
La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement,
Un goût d’éclosion et de choses juteuses
Montera de la courge humide et du melon,
Midi fera flamber l’herbe silencieuse,
Le jour sera tranquille, inépuisable et long.
Et la maison avec sa toiture d’ardoises,
Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts,
Respirera l’odeur des coings et des framboises
Éparse lourdement autour des buissons verts ;
Mon coeur, indifférent et doux, aura la pente
Du feuillage flexible et plat des haricots
Sur qui l’eau de la nuit se dépose et serpente
Et coule sans troubler son rêve et son repos.
Je serai libre enfin de crainte et d’amertume,
Lasse comme un jardin sur lequel il a plu,
Calme comme l’étang qui luit dans l’aube et fume,
Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus,
Je ne saurai plus rien des choses de ce monde,
Des peines de ma vie et de ma nation,
J’écouterai chanter dans mon âme profonde
L’harmonieuse paix des germinations.
Je n’aurai pas d’orgueil, et je serai pareille,
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
À mon frère le pampre et ma soeur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été,
Je serai si sensible et si jointe à la terre
Que je pourrai penser avoir connu la mort,
Et me mêler, vivante, au reposant mystère
Qui nourrit et fleurit les plantes par les corps.
Et ce sera très bon et très juste de croire
Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareils
Et que mon coeur, ardent et lourd, est cette poire
Qui mûrit doucement sa pelure au soleil…
(Anna de Noailles)
Recueil: Poésie au féminin
Traduction:
Editions: Folio
L’insomnie a brûlé mes douloureuses veines,
Et, dans la cruauté de ces étreintes vaines,
Tu ne devines pas, doux maître de mes sens,
Que vers toi, dans ce corps que l’amante te livre,
Quand ma forme t’enivre,
Mon immortalité fume comme un encens.
Il fait nuit si profonde autour de moi,
tant de solitude et de détresse.
Les murs tremblent et se pressent,
les larmes coulent du pain froid.
Il fait froid à pierre fendre dans la maison.
Aucun feu ne brûle, nulle part de lumière.
Mon souffle fume et expire dans l’air,
et tout espoir devient renonciation.
Dans le pays les routes bâillent largement
et m’appellent sûrement aussi.
Mais je suis fatiguée et emplie de peine…
ll fait nuit si profonde autour de moi.
***
Im Krieg
Es ist so tiefe Nacht um mich
und Einsamkeit und graue Not.
Die Wände drängen zitternd sich
und Tränen rinnen aus dem Brot.
Es ist so bitter kalt im Haus.
Kein Feuer brennt und nirgends Licht.
Mein Atem raucht im Raume aus
und aile Hoffnung wird Verzicht.
Im Lande gähnen Strassen weit
und rufen mich auch sicherlich.
Doch ich bin miide und volt Leid…
Es ist so tiefe Nacht um mich.
(Ingerborg Bachmann)
Recueil: Toute personne qui tombe a des ailes
Traduction: Françoise Rétif
Editions: Gallimard
C’est un vieux qui passe, toussant,
crachant, boitant sur son bâton,
tout fatigué d’avoir marché —
la route est longue —
et tout heureux d’être arrivé,
lorsque le village se montre
comme des enfants en tabliers blancs
qui, las de jouer, se seraient assis
au milieu des prés
pour passer le temps.
Ensuite c’est un char,
avec un vieux cheval,
et la blouse de l’homme,
bossu par derrière à cause du vent,
a l’air d’une cloche.
Le cheval trotte d’un petit trot las
et ses grelots font une chanson triste.
Les peupliers défilent un à un,
la route se déroule;
et l’homme s’en va
avec un plumet de fumée bleue,
fumant sa pipe.
(Charles-Ferdinand Ramuz)
Recueil: Le Petit Village
Traduction:
Editions: Héros-Limite
L’horloge a sonné quatre coups,
l’horloge sonne le réveil;
la rosée tombe et déjà l’aube cède à l’aurore.
L’aurore agite ses mains roses;
les fenêtres des étables
qui s’allument une une
ont de grandes ombres qui passent
à leurs croisées,
et les cheminées des cuisines fument.
Des sabots claquent sur les pavés,
un merle siffle dans les noyers
et, par les portes entr’ouvertes,
on entend le souffle des vaches,
le mouvement de leurs mâchoires
le bruit des chaînes contre le râtelier.
(Charles-Ferdinand Ramuz)
Recueil: Le Petit Village
Traduction:
Editions: Héros-Limite
[Rosalia]
Porto Rico,
Magnifique archipel…
Île aux embruns tropicaux.
Éternelle culture de l’ananas,
Éternelles cerises de café…
[Anita]
Porto Rico…
Dégoûtant archipel…
Île des maladies tropicales.
Toujours y soufflent les ouragans,
Toujours y augmentent la population…
Et les dettes,
Et les cris des bébés,
Et les balles qui sifflent.
J’aime l’île de Manhattan.
Fumer la pipe, c’est le paradis !
[Les Autres]
J’aime vivre en Amérique !
Pour moi tout va bien en Amérique !
Tout est gratuit en Amérique !
À bas prix en Amérique !
[Rosalia]
J’aime la ville de San Juan.
[Anita]
Je connais un bateau qui t’y emmènera.
[Rosalia]
Des milliers d’arbres en fleurs.
[Anita]
Des milliers de personnes qui grouillent !
[Toutes]
Il y a des automobiles en Amérique,
Il y a de l’acier chromé en Amérique,
Il y a des roues à rayon en Amérique,
C’est du lourd, en Amérique !
[Rosalia]
Je roulerai en Buick dans les rues de San Juan.
[Anita]
S’il y a une route à emprunter.
[Rosalia]
J’offrirai une course à mes cousins.
[Anita]
Comment tu vas t’y prendre pour les faire rentrer ?
[Toutes]
L’immigrant choisit l’Amérique,
Tout le monde se dit bonjour en Amérique ;
Personne ne se connaît en Amérique
Porto Rico est en Amérique !
[Rosalia]
J’apporterai une télé à San Juan.
[Anita]
Si il y a du courant !
[Rosalia]
Je leur offrirai une nouvelle machine à laver.
[Anita]
Qu’ont-ils à laver ?
[Toutes]
J’aime les côtes d’Amérique !
Le confort t’attend en Amérique !
Ils ont des poignées à serrure en Amérique,
Ils ont du parquet en Amérique
[Rosalia]
Quand je retournerai à San Juan.
[Anita]
Quand cesseras-tu de bavasser, va-t’en !
[Rosalia]
Tout le monde m’acclamera là-bas !
[Anita]
Là-bas, tout le monde sera parti ici !
(WEST SIDE STORY)
***
America
[Rosalia]
Puerto Rico,
You lovely island . . .
Island of tropical breezes.
Always the pineapples growing,
Always the coffee blossoms blowing . . .
[Anita]
Puerto Rico . . .
You ugly island . . .
Island of tropic diseases.
Always the hurricanes blowing,
Always the population growing . . .
And the money owing,
And the babies crying,
And the bullets flying.
I like the island Manhattan.
Smoke on your pipe and put that in!
[Les Autres]
I like to be in America!
O.K. by me in America!
Ev’rything free in America
For a small fee in America!
[Rosalia]
I like the city of San Juan.
[Anita]
I know a boat you can get on.
[Rosalia]
Hundreds of flowers in full bloom.
[Anita]
Hundreds of people in each room!
[Toutes]
Automobile in America,
Chromium steel in America,
Wire-spoke wheel in America,
Very big deal in America!
[Rosalia]
I’ll drive a Buick through San Juan.
[Anita]
If there’s a road you can drive on.
[Rosalia]
I’ll give my cousins a free ride.
[Anita]
How you get all of them inside?
[Toutes]
Immigrant goes to America,
Many hellos in America;
Nobody knows in America
Puerto Rico’s in America!
[Rosalia]
I’ll bring a T.V. to San Juan.
[Anita]
If there a current to turn on!
[Rosalia]
I’ll give them new washing machine.
[Anita]
What have they got there to keep clean?
[Toutes]
I like the shores of America!
Comfort is yours in America!
Knobs on the doors in America,
Wall-to-wall floors in America!
[Rosalia]
When I will go back to San Juan.
[Anita]
When you will shut up and get gone?
[Rosalia]
Everyone there will give big cheer!
[Anita]
Everyone there will have moved here!
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(…)
J’ai dans mes sabots de la paille,
Avec un bel épi qui dépasse et me raille ;
La porte ne s’ouvre pas,
Le poêle ne fume pas,
Et j’entends qu’on ne vient pas.
Être bien seul avec soi-même,
Ah ! c’est un mets bien délicat !
Des soldats rient ; mais c’est derrière ma fenêtre.
Ils s’éloignent ;
Tout est derrière ma fenêtre,
La vie, les caporaux, les corvées,
Et la fourragère et son cocher laid.
Je me rends visite à moi-même
Et bien que ce plaisir fût longuement mûri,
Il me trouve tout ahuri !
(…)