« Ce que je n’entendrai jamais :
Le battement d’ailes d’un papillon
La chute des pétales d’une rose
Le courant de la rivière
Les pas du merle dans la neige. »
Voilà ce qu’écrivait un poète chinois
Au soir de sa vie
Alors qu’il avait pris l’habit,
le bâton et l’écuelle du moine
Pour racheter ses années futiles
à la cour de l’empereur.
(Emmanuel Moses)
Recueil: Le désir en nous comme un défi au monde 84 Poètes d’aujourd’hui
Traduction:
Editions: Le Castor Astral
Les cent fleurs au printemps, la lune en automne,
Le vent frais en été, la neige en hiver,
Si le coeur s’affranchit de tout souci futile,
Ce sont moments plaisants dans le monde des hommes.
(Wumen Guikai)
Recueil: Poèmes Chan
Traduction: du chinois par Jacques Pimpaneau
Editions: Philippe Picquier
Nos paroles ne sont guère que des fanfreluches
colmatant mal les brèches et fissures de nos cages à penser,
même si je rêve d’atteindre l’os du verbe, la moelle de la langue,
à laquelle décidément il faudrait faire rendre gorge,
autant dire que l’Impensable n’est plus très loin.
Comme nous sommes futiles, nous autres, êtres humains !
Nous aimons enrober la substance active du néant
dans l’excipient notoire de la logique binaire.
La Raison raisonnante, raisonnable et raisonneuse
résonne si douloureusement dans nos cœurs
qu’on ne saurait lui donner raison.
Menus souvenirs, vous ai-je perdus ?
Mon coeur est si lourd: ô pleurs en chemin ! …
Sans vous aujourd’hui je ne vivrais plus,
Ce que je saisis dit «non» à ma main…
Ah, étreindre encor mon poupon futile…
Venez en dansant, papillons fragiles !
Menus souvenirs, ô soldats de plomb,
Vous qu’alors en vain j’ai tant désirés,
Sabres sur un rang ou shakos en rond,
Turcs, lanciers, Nippons, Hongrois, accourez !
Et vous, ô canons aux couleurs de cendre,
Mon coeur est si lourd : venez me défendre !
(Attila József)
Recueil: Aimez-moi – L’oeuvre poétique
Traduction: Georges Kassaï
Editions: Phébus
Secret d’une patience infinie
Les vagues des désirs subjugués,
des paroles futiles,
des pensées inachevées
se gonflent, puis viennent mourir
sur les traces de ton silence.
L’âme dévêtue de ses souvenirs
s’enfouit dans la nuit profonde.
Écoute, ô ami, à l’heure féconde
le désir d’être
d’une source de vie.
Bois le vin frais et pur
que déverse sa blessure.
Vois naître sur tes sentiments transis
une rosée de saveurs.
Vois le feu sous la cendre
qui renaît après l’oubli
d’une intime douleur.
Ce monde-ci n’est qu’une œuvre comique
Où chacun fait ses rôles différents.
Là, sur la scène, en habit dramatique,
Brillent prélats, ministres, conquérants.
Pour nous, vil peuple, assis aux derniers rangs,
Troupe futile et des grands rebutée,
Par nous d’en bas la pièce est écoutée,
Mais nous payons, utiles spectateurs ;
Et, quand la farce est mal représentée,
Pour notre argent nous sifflons les acteurs.
Pardonné, purifié, de tout ce
Moi, que peut-il demeurer ?
De cet être formé
Pour et par le péché ?
Comment ces mains pourraient-elles être miennes,
Façonnées par tout le mal que j’ai fait,
La vie prise à des créatures,
Les coups donnés, les choses délicates brisées,
Frappées avec violence, les tissus végétaux déchirés,
Un autre être vivant touché avec rudesse —
Façonnées par la cruauté sans trêve de toute vie,
Pardonnées, ces mains devront mourir.
Pardonné, comment ce visage
Que la peur et la froideur,
L’aveuglement sans amour, la fatigue inquiète
Ont marqué, ont ridé,
Ces traits formés et composés
Par la futile indifférence,
La mesquinerie changeante et la violence cachée,
Comment ce visage pourrait-il être béni,
Qui porte témoignage d’une vie mal vécue ?
Chaque créature est la signature de ses actes.
La mouette pique de haut, façonnée par le vent et la faim,
Les yeux, le bec fouailleur et les fortes ailes blanches
Avivés, affilés, rendus beaux et puissants par le vent et par l’eau,
Les cris et les battements d’ailes murmurent la vérité
sacrée de son être.
L’homme agit mal : seul pur le chant
Issu des lèvres de l’amour, et le cri muet
Quand la douleur raille l’humain qui est en nous.
***
THIS BODY OF DEATH
Forgiven and made pure, what of all this
Self could remain?
This person formed
For sin, by sin?
How could these hands be mine,
Shaped as they are by all the ill I have done,
Life of creatures taken,
Blows given, delicate things broken,
Struck violently, green textures torn,
Another living being touched ungently-
Shaped as they are by all life’s restless cruelty,
Forgiven, these hands must die.
Forgiven, how could this face
That fear and coldness,
Unloving blindness, anxious weariness
Have marked and lined,
These features formed and framed
By trivial indifference,
Unstable pettiness and latent violence,
How could this face be blessed,
Bearing its record of a life lived amiss?
Each creature is the signature of its action.
The gull swoops, shaped by wind and hunger,
Eyes and scavenging beak, and strong white wings
Turned to a fine edge of beauty and power by wind and
water.
Scream and wing-beat utter the holy truth of its being.
Man acts amiss: pure only the song
That breaks from the lips of love, or the wordless cry
When grief or pain makes mock of all that is human in us.