Fête de taches, gamme des bras
mouvements
on saute dans le « rien »
efforts tournants
étant seul, on est foule
Quel nombre incalculable s’avance
ajoute, s’étend, s’étend!
Adieu fatigue
adieu bipède économe à la station de culée de pont
lé fourreau arraché
on est autrui
n’importe quel autrui
On ne paie plus tribut
une corolle s’ouvre, matrice sans fond
La foulée désormais a la longueur de l’espoir
le saut a la hauteur de la pensée
on a huit pattes s’il faut courir
on a dix bras s’il faut faire front
on est tout enraciné, quand il s’agit de tenir
Jamais battu
toujours revenant
nouveau revenant
tandis qu’apaisé le maître du clavier feint le sommeil
Connais-tu la chanson des fils du télégraphe?
Avec neuf clés, ainsi qu’une lyre, il s’agrafe
Dans les blancs clochetons des sonores godets
Qui sous la porcelaine ainsi que sous un dais
Couvent la gamme errante aux fibres de la corde.
Cet étrange instrument, c’est le vent qui l’accorde ;
C’est le bruit du midi, de l’aube et du couchant,
Qui lui donne son vague, et bizarre, et doux chant.
L’homme, en dressant le bois des poteaux par la plaine,
Ne s’est pas souvenu que la nature est pleine
De soupirs, de sanglots, de notes, de frissons,
Et que toute la terre est un nid de chansons.
Où son travail posait l’appareil de physique,
La nature a su mettre un peu de sa musique.
Applique ton oreille, enfant, contre le bois.
Et ton cœur entendra la voix, la grande voix,
Murmurer comme un flot sans fin, lointaine et douce.
Écoute! C’est le grain qui poind, la fleur qui pousse;
Tous les germes obscurs qui vont sourdre du sol
Et tous ceux que la brise emporte dans son vol;
Tout ce qui veut jaillir près de tout ce qui tombe,
Car la terre est berceau comme la terre est tombe;
C’est la chose qui naît et la chose qui meurt;
C’est la mystérieuse et confuse clameur
De vie universelle éparse par l’espace.
Et tout cela tient dans ces fils où le vent passe
maîtresse, emplis bien de ce chant tout ton cœur.
Il dit qu’il faut aimer, et que l’amour vainqueur,
Dans les ruines, dans les morts, dans les désastres,
Anime les brins d’herbe aussi bien que les astres,
Et toujours plus vivace, en efforts plus ardents,
Palpite, et vibre, et souffle, et s’allume dedans
Les coins les plus perdus de l’immense matière.
Il dit qu’à moi tu dois te donner toute entière.
Viens, je ferai chanter mes baisers sur ton corps,
Et, tel qu’un violon dominant les accords,
Le cri de notre amour, comme un fou qui s’esclaffe.
Couvrira la chanson des fils du télégraphe.
Sous vos agiles doigts, harmonieux artiste,
S’envolent tour à tour un air joyeux ou triste,
Un hymne de revoir, une chanson d’adieu,
Une grisante valse, une prière à Dieu.
Vous savez les secrets des accords mélodiques,
Des rythmes langoureux, des cadences pudiques,
Parce que vous avez la flamme sainte en vous,
Poète qu’on devrait écouter à genoux.
D’elles-mêmes, glissant, vont à vos doigts les touches
Ainsi que des baisers s’appliquent à des bouches ;
Et lorsqu’à nous charmer votre cœur songe un peu,
Le piano vibrant chante dans le jour bleu.
Telle, mon âme faible a des notes d’ivoire,
Une petite gamme y vibre, blanche et noire ;
Mais quel amour saura jamais, sans dévier,
En faire largement chanter tout le clavier !
Donne-moi la brise en les feuilles rieuses,
Et le vent qui court en poussière aux chemins,
Et l’arôme sain des flores pieuses,
Tous les hiers et les demains;
Donnez-moi le poème des fleuves graves,
Le regard placide des lacs oubliés,
Le rêve intraduit des heures suaves
Où nos regrets sont palliés;
Donnez-moi l’Océan, en la nuit, qu’on écoute
— En la nuit des yeux clos ou des astres voilés —
Donne-moi l’aveu de ton âme toute
Et le son de tes songes parlés;
Parle-moi de ta voix aux gammes réelles
— Que m’importe, à présent, la banale victoire:
J’ai songé vingt ans à des choses mortelles,
Et l’Ombre m’a drapé de ses langes de gloire.
Derrière chez mon père, un oiseau chantait,
Sur un chêne au bois,
— Autrefois —
Un rayon de soleil courait sur les blés lourds;
Un papillon flottait sur l’azur des lents jours
Que la brise éventait;
L’avenir s’érigeait en mirages de tours,
Qu’enlaçait un fleuve aux rets de ses détours;
C’était le château des fidèles amours.
— L’oiseau me les contait.
Derrière chez mon père, un oiseau chantait
La chanson de mon rêve;
Et, voix de la plaine, et voix de la grève,
Et voix des bois qu’Avril énerve,
L’écho de l’avenir en riant mentait:
Du jeune coeur, l’âme est la folle serve,
Et tous deux ont chanté
Du Printemps à l’Eté.
Derrière chez mon père, sur un chêne au bois,
Un oiseau chantait d’espérance et de joie,
Chantait la vie et ses tournois
Et la lance qu’on brise et la lance qui ploie;
Le rire de la dame qui guette
Le vainqueur dont elle est la conquête;
La dame est assise en sa gonne de soie
Et serre sur son coeur une amulette.
Derrière chez mon père, un oiseau chantait
De l’aube jusqu’en la nuit:
Et dans les soirs de solitaire ennui
Sa chanson me hantait;
Si bien qu’au hasard de paroles très douces
Je me remémorais ses gammes,
Apprises parmi les fougères et les mousses,
Et les redisais à de vagues dames,
Des dames blondes ou brunes ou rousses,
Des dames vaporeuses et sans âmes.
Derrière chez mon père, sur un chêne au bois,
Un oiseau chantait la chanson de l’orgueil;
Et dans les soirs nerveux d’émois
Je l’écoutais du seuil;
Ils sont morts, les vieux jours de fiers massacres;
Mes orgueils, écumants du haut frein de mon veuil,
Se sont cabrés aux triomphes des sacres,
Ils ont flairé les fleurs du cercueil,
Arômes des catafalques — doux et acres;
Mes vanités sont au cercueil.
Derrière chez mon père, un oiseau chantait
Qui chante dans mon âme et dans mon coeur, ce soir;
J’aspire l’ombre ardente où fume un encensoir.
O jardins rutilants qui m’avez enfanté,
Et je revis chaque heure et toutes vos saisons:
Joie en rire de feuilles claires par la rive,
Joies en sourires bleus de lac aux horizons,
Joie en prostrations de la plaine passive,
Joie éclose en frissons;.
Les jeunes délices qui furent dans nos yeux
— Aurores et couchants — les étoiles des cieux
Et le portail de Vie ouvert et spacieux
Vers les jeunes moissons!
Derrière chez mon père, sur un chêne au bois,
Derrière chez mon père, un oiseau chantait,
En musique de flûte alacre et de hautbois,
En musique qui te vantait,
Toi, mon Rêve et mon Choix;
Sais-tu combien aux soirs s’alanguissait ma vie;
Sais-tu de quels lointains mon âme t’a suivie,
Et comme ton ombre la tentait
Vers le Château d’Amour que l’oiseau chantait
Sur un chêne au bois?
— Autrefois. —