Il était une dame tartine,
Dans un beau palais de beurre frais,
La muraille était de praline,
Le parquet était de croquet,
La chambre à coucher,
De crème de lait,
Le lit de biscuits,
Les rideaux d’anis.
Elle épousa monsieur Gimblette
Coiffé d’un beau fromage blanc
Son chapeau était de galette
Son habit était d’vol-au-vent
Culotte en nougat,
Gilet d’chocolat,
Bas de caramel,
Et souliers de miel.
Leur fille, la belle Charlotte,
Avait un nez de massepain,
De superbes dents de compote,
Des oreilles de craquelin.
Je la vois garnir,
Sa robe de plaisirs
Avec un rouleau
De pâte d’abricot.
Le puissant prince Limonade
Bien frisé, vient lui faire sa cour
Ses longs cheveux de marmelade
Ornés de pommes cuites au four
Son royal bandeau
De petits gâteaux
Et de raisins secs
Portait au respect.
On frémit en voyant sa garde
De câpres et de cornichons
Armés de fusils de moutarde
Et de sabre en pelure d’oignons
Sur de drôles de brioches
Charlotte vient s’asseoir,
Les bonbons d’ ses poches
Sortent jusqu’au soir.
Voici que la fée Carabosse,
Jalouse et de mauvaise humeur,
Renversa d´un coup de sa bosse
Le palais sucré du bonheur
Pour le rebâtir,
Donnez à loisir,
Donnez, bons parents,
Du sucre aux enfants.
(Anonyme)
Recueil: Les plus belles chansons du temps passé
Traduction:
Editions: Hachette
C’est un petit pays qui se cache parmi
ses bois et ses collines;
il est paisible, il va sa vie
sans se presser sous ses noyers;
il a de beaux vergers et de beaux champs de blé
des champs de trèfle et de luzerne,
roses et jaunes dans les prés,
par grands carrés mal arrangés;
il monte vers les bois, il s’abandonne aux pentes
vers les vallons étroits où coulent des ruisseaux
et, la nuit, leurs musiques d’eau
sont là comme un autre silence.
Son ciel est dans les yeux de ses femmes,
la voix des fontaines dans leur voix;
on garde de sa terre aux gros souliers qu’on a
pour s’en aller dans la campagne;
on s’égare aux sentiers qui ne vont nulle part
et d’où le lac paraît, la montagne, les neiges
et le miroitement des vagues;
et, quand on s’en revient, le village est blotti,
autour de son église,
parmi l’espace d’ombre où hésite et retombe
la cloche inquiète du couvre-feu.
(Charles-Ferdinand Ramuz)
Recueil: Le Petit Village
Traduction:
Editions: Héros-Limite
Colin gardait un jour les vaches de son père ;
Colin n’avait pas de bergère,
Et s’ennuyait tout seul. Le garde sort du bois :
Depuis l’aube, dit-il, je cours dans cette plaine
Après un vieux chevreuil que j’ai manqué deux fois
Et qui m’a mis tout hors d’haleine.
Il vient de passer par là bas,
Lui répondit Colin : mais, si vous êtes las,
Reposez-vous, gardez mes vaches à ma place,
Et j’irai faire votre chasse ;
Je réponds du chevreuil. – ma foi, je le veux bien.
Tiens, voilà mon fusil, prends avec toi mon chien,
Va le tuer. Colin s’apprête,
S’arme, appelle Sultan. Sultan, quoiqu’à regret,
Court avec lui vers la forêt.
Le chien bat les buissons ; il va, vient, sent, arrête,
Et voilà le chevreuil… Colin impatient
Tire aussitôt, manque la bête,
Et blesse le pauvre Sultan.
À la suite du chien qui crie,
Colin revient à la prairie.
Il trouve le garde ronflant ;
De vaches, point ; elles étaient volées.
Le malheureux Colin, s’arrachant les cheveux,
Parcourt en gémissant les monts et les vallées ;
Il ne voit rien. Le soir, sans vaches, tout honteux,
Colin retourne chez son père,
Et lui conte en tremblant l’affaire.
Celui-ci, saisissant un bâton de cormier,
Corrige son cher fils de ses folles idées,
Puis lui dit : chacun son métier,
Les vaches seront bien gardées.
Hélas ! petits moutons que vous êtes heureux,
Vous paissez dans nos champs sans soucis, sans alarmes
Aussitôt aimés qu’amoureux,
On ne vous force point à répandre des larmes ;
Vous ne formez jamais d’inutiles désirs ;
Dans vos tranquilles corps l’amour suit la nature ;
Sans ressentir ses maux vous avez ses plaisirs.
L’ambition, l’honneur, l’intérêt, l’imposture,
Qui font tant de maux parmi nous,
Ne se rencontrent point chez vous,
Cependant nous avons la raison pour partage,
Et vous en ignorez l’usage.
Innocents animaux, n’en soyez point jaloux,
Ce n’est pas un grand avantage.
Cette fière raison dont on fait tant de bruit,
Contre les passions n’est pas un sûr remède ;
Un peu de vin la trouble, un enfant la séduit ;
Et déchirer un coeur qui l’appelle à son aide
Est tout l’effet qu’elle produit ;
Toujours impuissante et sévère,
Elle s’oppose à tout et ne surmonte rien.
Sous la garde de votre chien
Vous devez beaucoup moins redouter la colère
Des loups cruels et ravissants,
Que, sous l’autorité d’une telle chimère,
Nous ne devons craindre nos sens.
Ne vaudrait-il pas mieux vivre comme vous faites
Dans une douce oisiveté ?
songe,
Ces prétendus trésors, dont on fait vanité,
Valent moins que votre indolence :
Ils nous livrent sans cesse à des soins criminels ;
Par eux plus d’un remords nous ronge ;
Nous voulons les rendre éternels,
Sans songer qu’eux et nous passerons comme un
Il n’est, dans ce vaste univers,
Rien d’assuré, rien de solide ;
Des choses ici-bas la fortune décide
Selon ses caprices divers.
Tout l’effort de notre prudence
Ne peut nous dérober au moindre de tes coups.
Est-ce l’envie?
Ou est-ce ton corps?
Est-ce notre vie
Qui fait que ça dure encore?
Est-ce ton bonheur?
Où est-ce mon honneur
qui me tient prisonnier
ou qui me fait geôlier?
Est-ce l’habitude,
Toujours la même attitude,
le vide de chaque jour,
Ou le manque d’amour?
Est-ce l’amour,
Étrange amour ?
Est-ce la douceur
de tes caresses mon cœur?
Une dure limite, un mur d’amour
Dure limite, amour pas mûr
Pas mûr, pas mûr
Mur, tessons de bouteilles
Grilles et chiens qui veillent
Chacun sur ses gardes, qui monte la garde
Les frontières, échecs d’hier
Les autres terres, tous nos cimetières
Une dure limite, un mur d’amour
Dure limite, amour pas mûr
Pas mûr, pas mûr
Dure limite, mur d’amour
Dure limite, amour pas mûr
Pas mûr, pas mûr {2x}
Et le mur de Berlin n’a pas,
n’a pas de fin
Non le mur de Berlin,
t’en as un, j’en ai un
Il coupe la terre en deux,
comme une grosse pomme
Il coupe ta tête en deux,
comme la première pomme un peu
Il coupe ta tête en deux
et te fait femme ou homme,
si tu veux
Puis il serpente entre deux terres
et te fait faire toutes les guerres,
toutes les guerres
Une dure limite, un mur d’amour
Une dure limite
Moeurs d’amour, mœurs d’amour
Une dure, dure, dure limite {3x}
Dure limite
Des attentes sans nombre
Parcourent les jungles du coeur.
Les unes hurlent comme les loups.
Qu’elle arrive une bonne fois, elle,
La femme, colonne en marbre de la lune,
Dansant sur des alpages ensoleillés;
D’autres guettent aux alentours de ponts
Pour vous attirer dans le gouffre;
D’autres dorment, ours dans leur tanière
Ou serpents engourdis
Par les brumes de l’automne;
Les unes croisent votre sentier,
Lapins effrayés,
Et courent, courent à travers champs.
Mais il y a une grande attente
Qui ressemble à l’ombre.
Elle est tantôt devant, tantôt derrière,
Elle se roule à vos pieds,
Elle s’apprête à vous saisir la nuque,
Elle s’arrête, vous abandonne
Puis se remet à vous pister.
Parfois vous l’oubliez, elle commence alors
A suinter doucement sur votre cerveau
Sa pluie froide.
Vous vous secouez, elle s’enfuit.
Une fois,
Quand vous ne serez pas sur vos gardes,
Elle jettera sur vous ses filets
Où se brisent désespérées
Toutes les flèches de la lumière.
Laisse-moi, laisse-moi me taire,
Que cessent les mots.
Laisse-moi dire une prière
Tout bas, les yeux clos.
Nul ne peut, ni gardes en armes
Grille ou barbelés,
Nul ne peut interdire aux larmes
Tout bas de couler.
Pareils aux arbres de silence,
Vent, ne nous évite,
Mais qu’avec toi nos voeux s’élancent
Vers d’autres zéniths.
Va ton chemin, brise légère,
Va sans trop flâner
Pour porter à ma vieille mère
Mes tendres pensées.
Parmi les yeux de millions d’êtres,
Ceux de ma maman,
Tu sauras bien les reconnaître :
Ils sont différents.
Nul vent ne sèche la rosée
À ses yeux brûlants,
Elle pleure, martyrisée,
Son fils, dans un camp.
Va vite, vent, je lui envoie
Un signe d’amour,
Que ses yeux malades revoient
Son fils, de retour.
Et le vent murmure : est-ce un rire
Ou, secret, un pleur ?
De ma fin déjà, veut-il dire
Qu’ici sonne l’heure ?
Écoute encore, vent, écoute,
Au coeur un sanglot.
Mais le vent a fui sur la route
Et plus un écho.
Maintenant laisse-moi me taire,
Que cessent les mots.
Laisse-moi dire une prière,
Tout bas, les yeux clos.
(Hirsh Glik)
Recueil: Anthologie de la poésie yiddish Le miroir d’un peuple
Traduction:
Editions: Gallimard
Je tourne autour de moi
moi
maison fermée depuis plusieurs hivers
Qui a muré la porte
et les fenêtres?
J’entends quelqu’un dedans
j’aboie furieusement
je gratte la terre au pied du mur
je m’écorche
un soldat bouge sur les carreaux de la cuisine
un soldat
qui fait la soupe dans son casque
se rase en se regardant dans une vitre aveugle
monte la garde dans un grenier
attend que j’essaie d’entrer pour m’abattre
j’aboie
j’aboie