Extrêmement se perdre aux bornes de soi-même
Grâce au fil qui nous fut donné
Aboutira peu loin mais c’est le seul extrême
Permis par un monde borné.
Si dans sa propre nuit le voyageur s’enfonce
Il n’en peut atteindre le bout.
Un sphinx garde la porte et ne donne réponse
Autre que ses yeux de hibou.
Comme si je n’avais jamais vécu dans cette maison
qui, libérée des meubles lourds,
essaye à présent de garder l’équilibre.
Pareille à une louve qui soudain s’est retrouvée
dans une clairière, je tourne en rond
autour du sapin de Noël
incliné au milieu du salon vide.
Deux louveteaux posent en silence
leurs museaux dans la neige
et regardent les pommes sèches
et les guirlandes parmi les branches.
Mais la lumière qui rayonne de leurs yeux
lave tous les îlots boueux dans le courant
de la Voie lactée
et nous entrons avec des chaussures propres
dans une autre année.
(Aksinia Mihaylova)
Recueil: Le baiser du temps
Traduction:
Editions: Gallimard
Chaque région a gardé les traces de quelques siècles
les combinant en échos de façon originale
musées portails paysages balcons
monuments vitrines et les vêtements des dames
Historiens triant la poussière
des séductrices disparues
(Michel Butor)
Recueil: Montagnes en gestation
Traduction:
Editions: Notari
Du temps où tu gagnas ma maison
Jamais je n’ai eu dans tes yeux l’impression d’être pauvre.
Chaque soir, jusqu’à minuit aux travaux de couture ;
Le repas toujours prêt au temps accordé.
Neuf jours sur dix, nous nous contentions de légumes salés.
Mais toujours tu gardais en surprise une belle pièce de viande.
Nous comme l’est et l’ouest unis dix-huit ans durant,
Partageant l’amer et le doux.
Nous comptions alors sur cent ans d’amour.
Mais en une nuit seulement je t’ai perdu.
Ta fin me revient inlassable en mémoire ;
Comme tu tenais ma main, incapable de parler.
Ce corps vieilli qui dure encore,
Te rejoindra vite dans la poussière.
(Mei Yaochen)
(1002-1060)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
La vieille charrette pousse ses lamentations stridentes le long du chemin ocre
Et laisse derrière elle des sillons de poussière dans le soir venu.
Un couple l’encadre d’efforts ; il pousse, elle tire.
Où conduiront leurs pas lourds qui les éloignent du foyer ?
La faim ne se laisse pas tromper par les feuilles d’orme que nous mangeons.
Nous espérons une terre qui nous donnera un peu de riz.
La main glacée du vent agite les joncs desséchés.
Mais voilà que surgit au loin une ancienne demeure.
Ils auront peut-être gardé pour l’étranger un coin de table.
La porte est muette, la salle est vide, le feu et la marmite absents.
Ils hésitent sur le seuil ouvert de la route désertée ;
Une pluie de larmes inonde leurs joues creuses.
(Chen Zilong)
(1608-1647)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel