Je suis allé me promener
Au matin j’ai vu les tombeaux
A la terre noire mêlés
J’ai vu les corps délicats
Certains tristes, d’autres souriants
Couchés mystérieusement dans les tombes
Les veines vidées, le sang tari
j’ai vu les linceuls engloutis.
Des tombes pleines, démolies
Leurs maisons à tous sont en ruines
Je les ai vus libres de tout souci
j’en ai vu tant en piètre état.
Plus de pâture au pâturage
Et plus d’hiver à l’hivernage
Toutes rouillées, rendues muettes
J’ai vu les langues dans les bouches.
Les uns dans les plaisirs et la boisson
Certains dans la musique et dans la fête
Certains dans le malheur et la souffrance
J’ai vu les jours devenus hier.
Ces yeux noirs sont ternis
Ces visages de lune effacés
Dessous la terre noire
J’ai vu les mains qui ont cueilli des roses.
Les uns tête inclinée
Ont à la terre abandonné leur corps
Partis fâchés avec leur mère
Je les ai vus tourner la tête.
Certains pleurent en gémissant
Les démons marquent leur âme au fer
Leur tombeau est en flammes
J’ai vu s’élever la fumée.
Lorsque Younous a vu cela
Il est venu nous l’annoncer
Mon esprit s’émut, ma raison s’étonna
Lorsque j’ai vu tout cela.
Ne bouge pas. Écoute.
Quelqu’un viendra ce soir,
Peut-être…
Les rideaux se balancent.
Le ciel est plein de fraises
Et de lis.
Écoute les paroles
De la brise, écoute
Les longs murmures
Du crépuscule,
Écoute les chansons bleues
Des arbres,
Les silences de la rue.
Ne bouge pas. Regarde.
Quelqu’un viendra ce soir,
Peut-être.
Une porte a gémi
Avec finesse.
Regarde au fil des rues
Les colliers des feux rouges.
Toutes les voitures
S’éloignent
Vers des maisons de velours noir.
Regarde. Les portes de l’ombre
Vont s’ouvrir.
Ô printemps qui vient de ses yeux,
Ô canari voyageur au clair de lune,
mène-moi à elle,
en poème d’amour ou en coup de poignard
je suis dans l’errance et blessé,
j’aime la pluie et le gémir des vagues lointaines,
je me réveille d’un profond sommeil
pour penser aux jambes désirables d’une femme que j’ai vues un jour,
pour m’adonner au vin et composer des poèmes,
dis à Leïla ma bien-aimée
à la bouche d’ivresse et aux pieds soyeux
que je suis malade et en manque d’elle
j’entrevois des traces de pieds sur mon coeur.
***
(Muhammad al-Maghut)
Recueil: Poésie Syrienne contemporaine
Traduction:de l’Arabe par Saleh Diab
Editions: Le Castor Astral
«J’aime l’automne quand tout le monde
rentre dans sa maison
on a fait ses provisions
moi j’ai ramassé du fourrage
pour en faire des oreillers
bien secs j’ai beaucoup mangé
pour être grasse sous ma fourrure
et maintenant bonsoir m’sieurs dames. »
La marmotte dort dans son trou
les feuilles tombent puis la neige
le vent souffle les bois gémissent
la marmotte ferme ses petits
poings sur son oreiller
( *)
Que ne pouvons-nous déchirer la réalité comme un brouillon
textes écrits dans l’oreille d’une voix qui gémit
textes écrits sur les parois poreuses d’un sourire
textes écrits sur les paupières des pleurs
tombant dans le silence d’une couleur vive
textes écrits dans les mains de la pluie
qui hurle dans les tempes d’écaille
textes écrits sur les murs
Je me transformerai
En femme de sang
En femme de larmes
Je serai le givre
Le sable
Le feuillage du buis
Pour que tu m’écrases
J’embrasserai tes jambes
Tes genoux
Je serai
La forêt première
L’algue des origines
Tu veux pleurer
Tu veux gémir
Tu veux le houx
Comme couronne
La très précieuse
Lumière du vert
Tu ne sais pas
Que les doigts
Sur un front
Font un chant de Noël
Qu’une bouche
Dans la douceur des cuisses
Peut faire jaillir
Le lait des nébuleuses.
(Claude de Burine)
Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction:
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi
1. Mam´zelle Clio
Mam´zelle Clio
Le premier jour je me rappelle
C´était chez des amis idiots
Mam´zelle Clio
Mam´zelle Clio
Votre maman avait des ailes
Dans une robe de taff´tas
Vous étiez une demoiselle
Et je vous murmurais tout bas
{Refrain:}
Dormir avec vous dormir une nuit,
Faire un rêve à deux quand le ciel est noir au fond de ma chambre
Le sommeil est doux quand tombe la pluie
Quand le vent du nord murmure tout bas
Décembre
Tous les mots d´amour le vent nous les dit
Quand la cloche sonne une heure perdue lointaine…
Oublier la vie oublier nos peines
Dormir une nuit dormir mon amour dormir avec vous
2. Mam´zelle Clio
Mam´zelle Clio
Vous êtes mariée c´est ridicule
Avec le fils de ces idiots
Mam´zelle Clio
Mam´zelle Clio
Votre mari est somnambule
Il se promène sur les toits
Toute la nuit tandis que moi
{Refrain:}
Je dors avec vous dans le même lit
Nous rêvons tous deux quand le ciel est noir au fond de ma chambre
Votre corps charmant se donne à minuit
Dans un petit hôtel tout près de la rue Delambre
Y a pas d´eau courante et pour faire pipi
C´est au fond de la cour
Mais là-bas y a pas de lumière
Mais ces petites bêtises me sont familières
Je dors avec vous et pendant le jour
J´attends notre nuit
3. Mam´zelle Clio
Mam´zelle Clio
Votre mari dans une crise
M´a flanqué deux balles dans la peau
Mam´zelle Clio
Mam´zelle Clio
Je suis bien mort quoi qu´on en dise
Oui mais le diable m´a permis
De revenir toutes les nuits
{Refrain:}
Dormir avec vous sans vous faire peur
Caresser vos cheveux toucher votre cœur vous dire à l´oreille
» Je t´aime chérie je t´aime et j´en meurs »
Et tirer les poils du petit cocu qui veille
La commode qui grince un bruit sur le toit
Le lit qui gémit c´est moi dans le bois ma brune
Je suis courant d´air et rayon de lune
J´ai l´éternité pour chanter tout bas
Je dors avec toi
Refuge au-dessus de la vue
revenu des futurs orages
ma sérénité non conquise
belle demeure en dehors de la vie
Brûlé dans un grand âtre avec du feu de bois
avec les vieux amis et chantant avec eux
Les étoiles tombées ont couvert de leur gloire
les rouges gorges des oiseaux d’alentour
Neuf oiseau je cours moi aussi dans les branches
La cime des arbres éclairera mon coeur d’aurore
Tous les noeuds délivrés les sphères
joueront dans le grand jardin
avec l’ombre du jeune daim
et les jolies salamandres
Pourtant j’entends gémir quelque part sous les peaux
Et dans ma bouche la lourde résine des larmes
Trop tard
Jours de Drancy, usine à fabriquer la mort
Avec ses râles, ses mouvements, ses tournements.
Ses cris, ses toux, ses pleurs et tous ses tremblements
Mon corps te garde en lui pour bien longtemps encore.
Nuits de Drancy
Usine à fabriquer la mort, nuits de Drancy,
Où le corps en grinçant tâte déjà les planches
Les épaules font mal, je sens gémir les hanches
Mais l’esprit reste souple et chaud dans l’air transi.
Camp de Drancy, octobre 1941.
(Jean Wahl)
Recueil: Vive la liberté
Traduction:
Editions: Bruno Doucey