Dans la pénombre des océans
Où finit la terre
Loin de toi ma geôlière
J’écoutais Haendel
Son Tremblement de terre de Rome
Comme granit dans la démesure de la fissure
L’île de Groix en face
Où Bourguiba faisait surface
Barbe généreuse et yeux perçants
Où le phare balayait la mer
Ses signaux verts battaient la nuit plaintive
Je ne savais si les airs du hautbois
Suppliaient l’océan d’être plus clément
Ou si les vagues frappant les rochers
Libéraient la falaise des bunkers de brume
Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu
Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu Adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles
II
Non je ne me sens plus là
Moi-même
Je suis le quinze de la
Onzième
Le soleil filtre à travers
Les vitres
Ses rayons font sur mes vers
Les pitres
Et dansent sur le papier
J’écoute
Quelqu’un qui frappe du pied
La voûte
III
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaîne
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
Avec le clefs qu’il fait tinter
Que le geôlier aille et revienne
Dans la cellule d’à coté
On y fait couler la fontaine
IV
Que je m’ennuie entre ces murs tout nus
Et peint de couleurs pâles
Une mouche sur le papier à pas menus
Parcourt mes lignes inégales
Que deviendrai-je ô Dieu qui connais ma douleur
Toi qui me l’as donnée
Prends en pitié mes yeux sans larmes ma pâleur
Le bruit de ma chaise enchainée
Et tour ces pauvres coeurs battant dans la prison
L’Amour qui m’accompagne
Prends en pitié surtout ma débile raison
Et ce désespoir qui la gagne
V
Que lentement passent les heures
Comme passe un enterrement
Tu pleureras l’heure ou tu pleures
Qui passera trop vitement
Comme passent toutes les heures
VI
J’écoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu’un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison
Le jour s’en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison
(Guillaume Apollinaire)
Recueil: La Liberté en poésie
Traduction:
Editions: Folio junior
Est-ce l’envie?
Ou est-ce ton corps?
Est-ce notre vie
Qui fait que ça dure encore?
Est-ce ton bonheur?
Où est-ce mon honneur
qui me tient prisonnier
ou qui me fait geôlier?
Est-ce l’habitude,
Toujours la même attitude,
le vide de chaque jour,
Ou le manque d’amour?
Est-ce l’amour,
Étrange amour ?
Est-ce la douceur
de tes caresses mon cœur?
Une dure limite, un mur d’amour
Dure limite, amour pas mûr
Pas mûr, pas mûr
Mur, tessons de bouteilles
Grilles et chiens qui veillent
Chacun sur ses gardes, qui monte la garde
Les frontières, échecs d’hier
Les autres terres, tous nos cimetières
Une dure limite, un mur d’amour
Dure limite, amour pas mûr
Pas mûr, pas mûr
Dure limite, mur d’amour
Dure limite, amour pas mûr
Pas mûr, pas mûr {2x}
Et le mur de Berlin n’a pas,
n’a pas de fin
Non le mur de Berlin,
t’en as un, j’en ai un
Il coupe la terre en deux,
comme une grosse pomme
Il coupe ta tête en deux,
comme la première pomme un peu
Il coupe ta tête en deux
et te fait femme ou homme,
si tu veux
Puis il serpente entre deux terres
et te fait faire toutes les guerres,
toutes les guerres
Une dure limite, un mur d’amour
Une dure limite
Moeurs d’amour, mœurs d’amour
Une dure, dure, dure limite {3x}
Dure limite
L’esprit dans l’espace.
Le feu des orages embrase les ténèbres,
L’esprit brûle dans l’espace.
Il diffuse la lumière magique.
L’express aux vertes fenêtres
Brillant sur le viaduc.
Moi-même je brûle et m’éclaire;
Aveugles ils éprouvent mon électricité
Mais ne voient pas la lueur.
Tous tremblent comme moi,
D’une ivresse de mort.
Ils reconnaissent lá le frisson
Des ailes refusant de se déployer,
De rayonner comme un astre en la nuit.
Ils maudissent les geôliers du soleil,
Qui dorment
Comme des fonctionnaires.
Tous les hommes dorment la nuit,
Ils n’éprouvent pas les révélations magiques,
Qui sourdent en moi de moi
L’homme est expulsion de l’esprit.
Difformité de la connaissance.
Et chaque nuit, la merveilleuse enfant du geôlier
se promenait toute nue dans les cellules
et donnait du plaisir à tous les prisonniers.
Quel pain d’amour avec le cruchon, la gamelle.
Ineffable chaleur, on t’a bien reconnue, va !
O poésie, ô fleur de cadenas.
« Je suis le méchant garde-chiourme
qui des braves gens est honni
je suis gourmand, je suis gourmet
de la douleur des prisonniers.
-Je suis l’indulgent garde-chiourme
ces garçons-là… des assassins ?
Non ! des jeunes qui jettent leur gourme
ou des tempéraments malsains! »
Mais toi, que je tiens en volière
ma juge, amante et vraie geôlière
m’aimes-tu blanc, m’aimes-tu vert ?
(Oeil, avant-garde de l’enfer,
m’aimes-tu pour son goût pervers ?
Ou seulement pour te distraire ?
(Max Jacob)
Recueil: Actualités éternelles
Traduction:
Editions: De la Différence
J’ai creusé mon cachot dans le mensonge épais,
Impénétrable et sombre, où, geôlier de moi-même,
Je m’enferme à l’abri même de ceux que j’aime,
Plus seul quand j’ai parlé qu’aux temps où je me tais.
Ma parole est un mur sans porte ni fenêtre
Qui monte autour de moi, dur, puissant et massif,
Avec maint bas-relief gai, trompeur et lascif :
Et nul œil curieux jusqu’à moi ne pénètre.
Seul, je me connais. Seul, je sais ce que je suis.
Seul, j’allume ma lampe en mes sinistres nuits.
Et, seul, je me contemple et, seul, je me possède.
Je me couche, comme un chartreux, dans mon linceul.
Et, loin de tout désir qui me flatte ou m’obsède,
Je goûte, comme Dieu, le néant d’être seul.
Dans votre propre coeur
Entendez-vous le pas,
Mais c’est plutôt la voix
D’une femme qui pleure?
Dans la chair sans issue
A peine elle remue
Pour ne pas effrayer
Son malheureux geôlier.
(Jules Supervielle)
Recueil: Le forçat innocent suivi de Les amis inconnus
Traduction:
Editions: Gallimard