Tu portes ma chemise
Et je mets tes colliers.
Je fume tes gitanes,
Tu bois mon café noir.
Tu as mal à mes reins
Et j´ai froid à tes pieds.
Tu passes mes nuits blanches
Et j´ai tes insomnies.
Je ne sais pas où tu commences,
Tu ne sais pas où je finis.
Tu as des cicatrices
Là où je suis blessé.
Tu te perds dans ma barbe,
J´ai tes poignets d´enfant.
Tu viens boire à ma bouche
Et je mange à ta faim.
Tu as mes inquiétudes
Et j´ai tes rêveries.
Je ne sais pas où tu commences,
Tu ne sais pas où je finis.
Tes jambes m´emprisonnent,
Mon ventre te retient.
J´ai ta poitrine ronde,
Tu as mes yeux cernés.
Ton souffle me réchauffe
Et j´étouffe tes cris.
Je me tais quand tu m´aimes,
Tu dors quand je le dis.
Silence de chaux et de myrte.
Mauves dans les herbes fines.
Sur une toile jaune paille
la nonne brode des giroflées.
Volent dans le lustre gris
les sept oiseaux du prisme.
Tel un ours panse en avant
loin de là grogne l’église.
Comme elle brode ! Quelle grâce !
Sur la toile jaune paille
elle aimerait bien broder
des fleurs à sa fantaisie.
Quel tournesol ! Quel magnolia
de faveurs et de clinquant !
Quels safrans et quelles lunes
sur la nappe de l’autel !
Cinq oranges en compote
cuisent dans l’office proche :
ce sont les plaies du Christ
cueillies près d’Almeria.
Dans le regard de la nonne
galopent deux cavaliers.
Une rumeur dernière et sourde
lui décolle la chemise,
la vue des monts et des nuées
dans les lointains arides
fait qu’alors son coeur se brise,
son mur de sucre et de verveine.
Oh, quelle plaine escarpée
sous l’éclat de vingt soleils !
Quelles rivières soulevées
entrevoit sa fantaisie !
Mais à ses fleurs elle s’applique
tandis que debout dans la brise
l’éclat du jour joue aux échecs
par les fentes de la jalousie.
Je sais que c’est sans entendre
que tu parles cette langue inconnue
Mais à qui ferais-je confidence
sur ma lande sans une oreille ?
Tu deviens un moi-même de rêve
vêtu d’une cape de noire transparence
un fort géant sur un cheval
qui me vengera si je meurs.
A qui dirai-je sur ma lande
que m’attend dans la ville une infante
pétrie de mûre et de lait
à qui dirai-je que m’attend
la neige et le charbon
le gel et la brûlure
d’une gitane amoureuse.
A qui dirai-je
sinon à toi
que j’épouse demain la folie.
Dans la roulotte l’hiver est dur
trois jeunes femmes grêles et nues
dans le froid noir pleurent et pleurent
devant leurs pauvres vêtements
sous lequel meurt
la vieille gitane
en claquant les dents
et froissant leur corps.
O le sang d’un amant
pour ce soir
où l’hiver et la mort
brûlent l’ultime voile.
La mer étincelait ainsi qu’une gitane
Sous ses volants d’azur où scintille le fer;
Et tu m’as dit: « Que je suis lasse de la mer.
Venez: l’heure est plus douce à l’ombre du platane.»