Elle apparaît en hiver une fois tous les dix ans
quand les glaciers ont stocké plus d’eau qu’à l’accoutumée
elle se couvre de fleurs dès le début du printemps
puis s’enfonce dans les flots
(Michel Butor)
Recueil: Montagnes en gestation
Traduction:
Editions: Notari
Le jour picore
Des gerbes de cris dans la maison calme
Qui se défend du soleil
Et de la neige
L’air suinte du glacier des roses
Des branches en mouvement
Et l’arbre s’arrache à ses racines
J’ai reconnu le jour exact
dans sa nudité
qui s’éclaircit et se glace
son exacte nudité
la paroi sans tableau les ardoises
les glaciers
la neige des vitres
des glaciers
La nuit sait tant de choses,
— mon esprit s’alourdit.
Souvent, j’ai vu les sables noirs
consumer les vertes prairies.
Dans le glacier grondent des failles
plus profondes que la mort.
Dans mon âme il y a des rires et des pleurs
Et des diables aussi, sans doute, et puis des anges.
Et si le paradis ne fut jamais qu’un songe,
Il est sûr que l’enfer est inscrit dans mon sang
Comme au fond de la terre attendent les volcans,
Eux que n’ont pas éteints les glaciers des années.
Bouillonnant de passion, la lave, en jaillissant,
De sa bouche de feu, mord les hauteurs du vent.
L’âme, si frileuse, si farouche,
devra-t-elle vraiment marcher sans fin sur ce glacier,
seule, pieds nus, ne sachant plus même épeler sa prière d’enfance,
sans fin punie de sa froideur par ce froid ?
Tant d’années,
et vraiment si maigre savoir,
coeur si défaillant?
Pas la plus fruste obole dont payer
le passeur, s’il approche?
— J’ai fait provision d’herbe et d’eau rapide,
je me suis gardé léger
pour que la barque enfonce moins.
Quand tout renaît à l’espérance,
Et que l’hiver fuit loin de nous,
Sous le beau ciel de notre France,
Quand le soleil revient plus doux,
Quand la nature est reverdie,
Quand l’hirondelle est de retour,
J’aime à revoir ma Normandie,
C’est le pays qui m’a donné le jour.
J’ai vu les champs de l’Helvétie
Et ses chalets et ses glaciers,
J’ai vu le ciel de l’Italie,
Et Venise et ses gondoliers.
En saluant chaque patrie,
Je me disais : « Aucun séjour
N’est plus beau que ma Normandie,
C’est le pays qui m’a donné le jour. »
Il est un âge dans la vie,
Où chaque rêve doit finir,
Un âge où l’âme recueillie
A besoin de se souvenir.
Lorsque ma muse refroidie
Aura fini, ses chants d’amour,
J’irai revoir ma Normandie,
C’est le pays qui m’a donné le jour.