Le chat noir de la palissade
Promène son museau partout,
C’est un pirate en ambassade,
Le chat noir qui s’en vient chez nous.
Dans le jardin ou sur le toit,
En mille et une escapades
De tous côtés, il est le roi.
Il est le tigre du Bengale
Et le prince des maraudeurs,
Sa moquerie est sans égale:
Ce chat-là est un chapardeur.
Il faut le voir, cet escogriffe,
Ce gracile animal ingrat
Qui lacère à grands coups de griffe
Les détritus de papier gras.
Il mène sa vie à sa guise,
Ne faisant que ce qui lui plaît,
Il se complaît dans des bêtises
Qui ne valent pas un couplet.
Et cependant si ce vaurien
Ne commet que des incartades
A la maison, on l’aime bien,
Le chat noir de la palissade.
(Henri Monnier)
Recueil: le chat en cent poèmes
Traduction:
Editions: Omnibus
Si vous m’aviez connu
Du temps des matins souples
Quand je marchais sur l’eau
Dans Venise la trouble
Si vous m’aviez connu
Sur ces scènes indicibles
Je lançais des couteaux
Sur de graciles cibles
Si vous m’aviez connu
Madame toute nue
Sans vouloir me vanter
Vous auriez apposé
Sur mes paupières closes
Vos lèvres parfumées
De cistes et de rosée
Et de bien d’autres choses
Si vous m’aviez connu
Dans ce fringant costume
Quand je fondais de l’or
Pour en faire des plumes
Si vous m’aviez connu
Quand j’étais Matador
Tout déchiré dedans
Tout recousu dehors
Si vous m’aviez connu
Madame toute nue
Pendant que je mourais
Auriez Vous déposé
Sur mes paupières closes
Vos larmes parfumées
De cistes et de rosée
Et du chagrin des choses
Si vous m’aviez connu
Du temps des rêves d’or
Quand je dormais encore
Est-ce que vous m’auriez cru ?
Si vous m’aviez connu
Madame toute nue
Sans vouloir me vanter
Auriez-vous apposé
Sur mes paupières closes
Vos rêves parfumés
De cistes et de rosée
Et du regret des choses
Gracile et indolente
Passer rêvant la porte vénérable
Soupirs odorants du jardin
Fraîches caresses de la fontaine
Arabesques moussues d’une statue baroque
Tout est chuchotements
Bruissements
Parfums vanillés
Kaléidoscopes de pâmoisons colorées
Se laisser envahir par la douce saveur de l’instant
Tout au long de Little Venice
petit canal aux eaux tranquilles
avec son bassin et son île
les barques comme sur la glace
et nous nous embrassant debout contre les arbres
Ma mémoire s’endeuille
ma mémoire s’endort
il y avait alors
des friselis de feuilles
et de douces odeurs
Tout au long de Little Venice
des jours que le temps éfaufile
qui avaient ta forme gracile
indécis lentement s’effacent
mais nous nous embrassons toujours contre nos arbres
Ma mémoire s’endeuille
ma mémoire s’endort
il y avait alors
des friselis de feuilles
et de douces odeurs
Ce n’était pas encore l’allégresse
mais le ciel dans les pommiers
au plus près des oiseaux
allait jusqu’à la danse
et les fleurs les plus graciles
se faisaient libellules
Ils se donnaient tels qu’ils étaient
avec dans leurs paroles
le risque de l’amitié
Tamisées par des vitraux mouvants
sous les croisées d’ogives de la forêt
des gouttes de lumière éclaboussent
un bloc de pierre que du lierre enlace
au pied duquel sous un gazon moussu
piqueté de graciles champignons mauves
un entremêlement de filaments et de racines
tresse le noeud du grand mystère
— Prends le temps de savourer un matin d’été,
de goûter le silence de la nuit qui fuit,
de suivre l’envol des hirondelles graciles
qui jouent avec le vide et réchauffent leurs ailes,
Prends le temps d’écouter le bruissement des feuilles
dont le vent sec de l’aube efface la rosée,
de sentir sur tes lèvres que ta langue effleure
la chaleur du soleil que l’horizon libère,
Prends le temps de laisser la beauté du matin
s’emparer de ton corps et ranimer le monde ;
(Yves Mabin Chennevière)
Recueil: Variations du sensible
Traduction:
Editions: De la Différence
Suave clarté
des soleils de mars.
Demoiselle Nature
dans ce tilleul
sort d’un sommeil
obscur et secoue
d’absurdes rêves.
Levant au matin
ses mains graciles,
elle admire l’éclat
de ses ongles vernis.
(Et je revois
ton corps rieur,
ton corps agile,
menu et neuf.)
Elle s’étire,
le monde attend,
bientôt des visites,
il faut s’habiller.
Passe l’avion
qui exalte le bleu.
Frappe un pivert
à la porte du jour.
***
At Grignan
The suns of March
have sweetened the air.
The Lady Lime
awakes from sleep
and shakes away
the foolish dreams.
The slender hands
raised to the light
show her the sheen
of each lacquered nail.
(I remember this:
you limbs light,
your body laughing,
soft and new.)
A final stretch,
the world awaits,
company soon,
and time to dress.
A vapour trail
blues the sky.
A woodpecker knocks
at the door of the day.
« Assez! Nous voulons de la douceur à la pelle,
L’éloge du printemps, l’esthétique des roses,
Sur fond d’oiseaux, le portrait grandeur nature
D’une femme endiamantée qui se prélasse
Et lève un doigt gracile vers un ciel de velours.
Nous ne voulons ni chaux, ni sang, ni boue
Et surtout pas de cadavre qui nous ressemble! »