Foulées creusant le sable,
empreintes digitales,
cœurs gravés dans la peau des arbres,
filets de graffiti sur les murs d’un cachot,
rides et cicatrices
en quoi une vie se résume,
encoches de bâton,
nœuds au mouchoir,
tatouages,
à la teneur d’archives ou de pedigree,
signes de quelque chose qui s’est passé
ou allait se passer,
même à jamais perdues
ces traces
persistent peut-être à peser
de toute leur minceur
sur l’inanité du rien.
Celui qui cherche un sens à sa vie
Ne sait pas que la vie, dans sa profusion même, est le sens.
Pas de ligne droite, pas d’horizon, pas de chemin tout tracé !
Mais partout où la nuit recule, les traits silencieux d’un amour,
Dans l’éclat de chaque instant, la brèche inespérée,
Le chevreuil bondissant,
Dans chaque paume ouverte, le sésame oublié,
Sur chaque mur qui se dresse, les graffitis de la joie !
graffiti de goémon,
esquisse de petit crabe
au crayon orange,
esprits de bois flotté,
serments de cordages,
ton pas crissant
dans les coquillages
soulève des breloques,
des colliers,
l’écume des grottes,
la contrebande d’un été.
Le mur de la Santé est le plus beau du monde.
L’eau avare qui suinte à son pied est limpide
Comme un lac de montagne où les oiseaux du ciel
Vont tracer sur l’ennui leur grand deleatur.
Le mur de la Santé est le plus haut des murs,
Mais la rose du rêve est piquée à son flanc ;
Ces graffiti de sang ont la couleur du temps,
Du temps qui fuit, du temps qui dort, du temps perdu,
Du temps que nous vivons, du temps qui vit sans nous.
Le mur de la Santé est le plus vieux du monde.
Le nom de mes amours en dentelle de suie
Dans le dessin d’un coeur percé y meurt et brille.
Le mur de la Santé est le plus grand des murs.
Les longs cheveux du vent effacent la brûlure
Des évasions manquées. C’est dans le souvenir
Que s’ouvrent les battants des portes de prison
Sur les champs de blé roux au bas d’un paysage
Signé par le soleil : Vincent en toutes lettres.
Mais on dit que Vincent est mort fou à Auvers.
Le mur de la Santé n’est saoul que le dimanche.
C’est un dimanche aussi que j’écris ce poème,
Avec le sang qui naît de sa main, mal fermée
Sur la vie, et son ombre endormie à mes pieds.
Ici
on cherche toujours quelque chose
dans les cafés, les églises, les places
et jusque dans les poubelles
on cherche en l’autre, en soi
dans la cohue des trottoirs
l’accalmie des ponts
dans l’eau stagnante des fontaines
et sur les bancs indiscrets
on cherche en bas, en haut, devant soi
un ticket de métro
une terre ou une femme perdus
un livre qu’on lira
sur un lit d’hôpital ou en prison
une chanson sans titre
un ouvre-boîtes solide
un oiseau qui ne chante que de nuit
On cherche
un regard qui fera basculer votre vie
un graffiti à vous seul adressé
un heurtoir arabe sur une porte italienne
une carte postale que vous avez envoyée il y a vingt ans
et que le destinataire a revendue
votre date de mort inscrite
sur un tronc d’arbre
dans un petit parc
que vous ne faites que traverser
Ici
on cherche toujours quelque chose
dans le carrousel délirant
du désir
I
On n’a pas le droit de crier
Sous l’immense préau du monde,
Entre les murs pâles de haine
Où l’homme est un paraphe obscène.
On n’a pas le droit de crier ;
Tous les vivants sont verrouillés,
Personne ne connaît personne.
On n’a pas le droit de crier,
De demander pourquoi, d’oser
Regarder les femmes mouillées,
Donner du feu aux cigarettes
Au bout desquelles gît un homme
Dans la litière de ses peines.
On n’a pas le droit de crier,
De cracher rouge, de saigner ;
Tout est trop propre et, dans les chambres,
On cache les agonisants
Qui pourraient salir le pavé :
Pas de balayeur pour les gens,
Mais une trappe dérobée
Dans un coin de la conscience…
II
Partout c’est le même silence
D’hôpital, où, le coeur feutré,
Chacun, sur des rails invisibles,
S’enfonce à petites journées
Comme un lombric dans un cadavre.
Personne ne connaît personne
Dans les usines, dans les gares
Où s’époumone un seul forçat,
Où brûle une seule effigie
Que nul ne songe à regarder.
Tous les vivants sont verrouillés,
Toutes les femmes sous vitrine
Et, si parfois tu te souviens
D’avoir existé sur la terre,
Tu mords tes lèvres, tu renonces.
Ce fut toujours ainsi, crois-moi :
Des graffiti que la pluie lave
Sur les murs aveugles du temps…
Tu n’as pas besoin de crier
Puisque tu n’as que des semblables,
Tu n’as pas besoin de crier
Puisqu’ils sont la bouche et l’oreille,
Puisqu’ils se taisent, puisqu’ils ont
Accepté de vivre leur mort
Sous le domino de la vie.
Tout voyage est de conquête, tout regard est un raid.
Au soir des randonnées, nous sommes vainqueurs si nous le voulons
et nous ornons notre tente d’étendards, d’images et pensées, dépouilles
qui nous font chérir l’ennemi et retoucher son portrait.
Les Retouches sont les trophées de mes chasses baroques.
Les vues d’optique voisinent avec les graffiti,
les tapis avec les coupes,
et les cailloux avec mon œil taillé