Pour ce rien cet impondérable
Qui fait qu’on croit à l’incroyable
Au premier regard échangé
Pour cet instant de trouble étrange
Où l’on entend rire les anges
Avant même que de se toucher
Pour cette robe que l’on frôle
Ce châle quittant vos épaules
En haut des marches d’escalier
Je vous aime Je vous aime
Pour la lampe déjà éteinte
Et la première de vos plaintes
La porte à peine refermée
Pour vos dessous qui s’éparpillent
Comme des grappes de jonquilles
Aux quatre coins du lit semés
Pour vos yeux de vague mourante
Et ce désir qui s’impatiente
Aux pointes de vos seins levés
Je vous aime Je vous aime
Pour vos toisons de ronces douces
Qui me retiennent me repoussent
Quand mes lèvres vont s’y noyer
Pour vos paroles démesure
La source le chant la blessure
De votre corps écartelé
Pour vos reins de houle profonde
Pour ce plaisir qui vous inonde
En long sanglots inachevés
Je vous aime Je vous aime
Tu vois ces mains ? Elles ont mesuré
la terre, elles ont séparé
minéraux et céréales,
elles ont fait la paix, la guerre,
abattu les distances
de toutes les mers et de tous les fleuves,
pourtant,
quand elles te parcourent
toi, la petite,
le grain de blé, l’alouette,
elles n’arrivent pas à t’étreindre en entier,
elles peinent pour atteindre
les colombes jumelles
qui sur tes seins reposent ou volent,
elles parcourent les distances de tes jambes,
elles s’enroulent à la clarté de ta ceinture.
Tu es pour moi un trésor plus chargé
d’immensité que la mer et ses grappes
et tu es blanche et bleue et tu es vaste comme
la terre à l’heure des vendanges.
Sur ce territoire,
de tes pieds à ton front
je passera ma vie
marcher, à marcher, à marcher.
Que mon coeur vieux et malade
Accompagne les chrysanthèmes
Laissez-moi exprimer mon chagrin
Et peindre en lavis
Des grappes de raisins
Les mèches blanches de mes cheveux
Vibrer aux sons d’une chanson
SOMMES NOUS, par nous seuls dépassés ou détruits,
Ces errants, déserteurs d’un combat sans conquête,
Cette chair mise à nu par celle qui nous guette,
Obstinée à survivre au souffle de ses nuits ?
Pourquoi n’as-tu choisi qu’un corps pour cette tête,
Amour, arbre à soleil qui prend peur de ses fruits ?
Des grappes de l’éclair les chiffres éblouis
N’ont jamais dénoncé que ma seule tempête…
– Coeur lié nuit et jour au devoir de s’ouvrir,
Quel secret te condamne au secret de mourir,
Étoilé, dans un coeur qui t’écrase et t’emmure?
— Si je te vois encor quand je brûle de moi
Et ai l’astre éclaté donne au ciel sa figure,
L’ange né de mon sang ne ressemble qu’à toi…
Sous les étoiles de septembre
Notre cour a l’air d’une chambre
Et le pressoir d’un lit ancien;
Grisé par l’odeur des vendanges
Je suis pris d’un désir étrange
Né du souvenir des païens.
Couchons ce soir
Tous les deux, sur le pressoir!
Dis, faisons cette folie?…
Couchons ce soir
Tous les deux sur le pressoir,
Margot, Margot, ma jolie!
Parmi les grappes qui s’étalent
Comme une jonchée de pétales,
O ma bacchante! roulons-nous,
J’aurai l’étreinte rude et franche
Et les tressauts de ta chair blanche
Ecraseront les raisins doux.
Sous les baisers et les morsures,
Nos bouches et les grappes mûres
Mêleront leur sang généreux;
Et le vin nouveau de l’Automne
Ruisselera jusqu’en la tonne,
D’autant plus qu’on s’aimera mieux!
Au petit jour, dans la cour close,
Nous boirons la part de vin rose
Oeuvrée de nuit par notre amour;
Et, dans ce cas, tu peux m’en croire,
Nous aurons pleine tonne à boire
Lorsque viendra le petit jour!