QUAND
Quand peu avant midi
Le soleil est sur la prairie,
Que la chaleur,
Disent les pâquerettes, est bonne
Au niveau de la fleur
Au niveau des racines,
Que le pré est ouvert
A des champs, des landes,
Des chemins, du ciel,
Qu’il y a :
C’est un chant comme c’est du silence,
Que toutes les choses
Ont le temps de se regarder,
Le brin d’herbe
A les dimensions du monde.
II
Quand beaucoup de choses
Au soleil s’acceptent,
Quand on n’a pas envie
De quitter le pré, le talus,
Quand on se sent de connivence
Avec tous les verts,
Avec la barrière et plus loin
Les toits du hameau,
On peut être tenté de se dire
Que la sphère est partout
En train de s’accomplir.
III
Quand la plage vers le soir
Est de la couleur de la mer,
Que la mer
N’est que le prolongement de la plage,
Quand il n’y a de sûr
Que ce gris qui n’est même pas gris,
Ce plan horizontal et, au-dessus de lui,
Le vague hémisphère translucide,
Il faut sortir
De cette espèce d’éternité.
IV
Quand on torture quelque part
Un corps qui ne peut pas
Crier plus fort que lui,
Rien ne le dit.
Le sol
Est comme un autre jour,
L’air aussi, les feuillages,
Les courbes, les couleurs
Et l’aboiement d’un chien
Aux confins de la Beauce.
Mais il est vrai
Que l’on torture tous les jours
Depuis toujours,
Que l’habitude est prise,
Que c’est enregistré
Sans grandes variations.
(Eugène Guillevic)