Je suis un pommier tout près de la route
Que ne longe pas de clôture.
Ils sont rouges mes fruits,
Ils flamboient dans mes branches.
Sers-toi, passant, on ne te dira rien.
Et si tu tiens à remercier quelqu’un,
Remercie la terre où j’ai mes racines,
Ce pays-ci qui nous berce tous deux,
Qui me nourrit, qui te nourrit aussi.
Quand au printemps le soleil devient bon,
Je sens se faire en moi une nuée de fleurs,
Quand l’été me verse un suc vénéré,
J’incline jusqu’au sol mes branches
Pour rendre grâce à la terre,
Et lui dire humblement
Ce que je veux lui dire,
Je ne sais trop comment.
Quand vient l’automne
Et que mes branches ploient sous la foison des fruits,
Je les offre aux humains,
Puis quand commence à tomber ma parure,
Quand la neige me fait une fourrure épaisse,
J’étreins très fort le sol de toutes mes racines
Afin que la tempête
Ne puisse m’arracher à mes assises,
Et d’année en année je porte plus de fruits
Et chaque année je veux en donner davantage.
Je chéris les enfants balancés dans mes branches,
Portant le foulard rouge
Qui parle d’un drapeau.
Et je chéris aussi les jeunes filles
Dont les pieds blancs parcourent mon feuillage,
Poches, tabliers tout remplis de pommes,
Criant de joie, les joues en feu.
J’arrive alors à oublier les gens
Qui ont jeté des pierres
Dans ma boule de feuilles.
Je me souviens que le printemps passé
Deux jeunes gens se sont appuyés à mon tronc
Et se sont embrassés,
Que le garçon, joyeux,
Mit une fleur à son chapeau
Et partit en chantant.
Je suis un pommier tout près de la route
Que ne longe pas de clôture.
Ils sont rouges, mes fruits,
Ils flamboient dans mes branches.
Sers-toi, passant, on ne te dira rien.
Et si tu tiens à remercier quelqu’un,
Remercie la terre où j’ai mes racines,
Ce pays-ci qui nous berce tous deux,
Qui me nourrit, qui te nourrit aussi.
Humblement, Il est venu
On ne l´a pas reconnu
Il était mal habillé
Il n´avait pas de souliers
Parce qu´Il était pieds nus
On ne l´a pas reconnu
Humblement, Il est venu
Comme s´Il tombait des nues
Il disait des mots très doux
On ne comprenait pas tout
Mais personne n´y a cru
De ceux qui l´ont entendu
Humblement, Il est venu
Demander la bienvenue
Demander du pain, du vin
Et un lit jusqu´au matin
Il ne voulait rien de plus
Il n´a pourtant rien reçu
Humblement, Il est venu
Humblement, a disparu
Ce n´était qu´un étranger
Que pouvait-Il bien chercher?
Ce n´était qu´un inconnu
On ne l´a pas retenu
Ça fait deux mille ans ou plus
Qu´il n´est jamais reparu
Mais on s´en souvient pourtant
Et tout le monde l´attend
Les filles pour le recevoir
Se font belles chaque soir
Les enfants parlent de Lui
Comme on parle d´un ami
Les hommes, eux, ne disent rien
Mais lui gardent un verre de vin
Il viendra le boire un jour
À la joie et à l´amour
Oui, il pleut comme jamais je n’ai vu…
Et cette lourde clarine assoupie,
Comme elle sonne en la grange pourrie !
Comme elle sonne en mon coeur qui s’est tu !
Oh ! les pleurs des clarines quand il pleut !
Et pour le cerveau quel agacement !
Jour primitif plein de boue et rigoles !
Une pauvre voisine, à demi folle,
Hurle contre la pluie en ricanant…
Oh ! les pleurs des clarines quand il pleut !
Oui, il pleut… Et cela sonne humblement
Comme tout ce qui est amour et haine…
Non loin un enfant, près d’une fontaine,
Joue à l’harmonica, très tristement.
Oh ! les pleurs des clarines quand il pleut !
Que de vains contes disent les clarines !
Quel monde vide de tout rêve ! Rien !
… Comment lors ne pas pleurer tel un chien,
Oui, comment ne pas mourir fou, pardine !
Le garçon qui joue de la musette,
La fillette qui tresse sa couronne,
Deux sentiers qui se croisent dans le bois,
Loin, dans un champ lointain, une lumière,
Je vois tout. Je me rappelle tout.
Humblement, amoureusement, je le garde.
Il n’y a qu’une chose qui toujours m’échappe,
Dont même plus jamais je ne me souviendrai.
Je ne demande ni force ni sagesse.
Laissez-moi seulement me chauffer près du feu.
J’ai froid… Qu’il ait ou non des ailes
Le dieu joyeux ne vient jamais me voir.
J’ai de toi une image
Qui ne vit qu’en mon coeur.
Là, tes traits sont si purs
Que tu n’as aucun âge.
Là, tu peux me parler
Sans remuer les lèvres,
Tu peux me regarder
Sans ouvrir les paupières.
Et lorsque le malheur
M’attend sur le chemin,
Je le sais par ton coeur
Qui bat contre le mien.
Vers le soir, tu me parles parfois de la mort
Comme si tu étais déjà un peu absente,
Comme si ton coeur se détachait sans effort
De la vie dont tu fus la docile servante.
Tu me parles paisiblement de la maison
Qu’il ne faudra pas vendre et des vieux groseilliers
De ton jardin qu’on ne devra pas arracher,
Et des miettes de pain à donner aux pinsons
Qui viennent dès l’hiver picorer dans la cour,
Et de tous ces simples travaux de tous les jours
Que tes mains dénouées auront abandonnés.
Et ta voix coule alors, pareille à un ruisseau
Qui s’en va humblement, comme le veut sa pente,
Mais qui, sans le savoir, fait refleurir la menthe
Et met au creux des prés des morceaux de ciel bleu.
La feuille d’un palmier privé de ses racines,
Murmure à mon oreille une chanson sans suite.
Le ciel tout près de moi me tourmente et me ment,
Il m’a pris mes deux chiens gelés restés derrière,
Et j’entends leur exsangue, immobile aboiement,
Les étoiles se groupent et me tendent des chaînes.
Faudra-t-il humblement leur offrir mes poignets ?
Une voix qui voudrait faire croire à l’été
Décrit un banc de parc à ma fatigue humaine.
Le ciel est toujours là qui creuse son chemin,
Voici l’écho des coups de pic dans ma poitrine.
Ô ciel, ciel abaissé, je te touche des mains
Et m’enfonce voûté dans la céleste mine.
(Jules Supervielle)
Recueil: Le forçat innocent suivi de Les amis inconnus
Traduction:
Editions: Gallimard
S’il y a une chose en mathématique
qui me fascine plus que toute autre,
ce n’est ni le nombre, ni la grandeur,
mais toujours la forme.
Et parmi les mille et un visages
que choisit la forme pour se révéler à nous,
celui qui m’a fasciné plus que tout autre
et continue à me fasciner,
c’est la structure cachée
dans les choses mathématiques.
La structure d’une chose n’est nullement une chose
que nous puissions « inventer ».
Nous pouvons seulement la mettre à jour patiemment,
humblement en faire connaissance, la « découvrir ».
LE POMMIER SUR LA ROUTE (Mihai Beniuc)
Posted by arbrealettres sur 17 juin 2020
Illustration: Henri Eisenberg
LE POMMIER SUR LA ROUTE
Je suis un pommier tout près de la route
Que ne longe pas de clôture.
Ils sont rouges mes fruits,
Ils flamboient dans mes branches.
Sers-toi, passant, on ne te dira rien.
Et si tu tiens à remercier quelqu’un,
Remercie la terre où j’ai mes racines,
Ce pays-ci qui nous berce tous deux,
Qui me nourrit, qui te nourrit aussi.
Quand au printemps le soleil devient bon,
Je sens se faire en moi une nuée de fleurs,
Quand l’été me verse un suc vénéré,
J’incline jusqu’au sol mes branches
Pour rendre grâce à la terre,
Et lui dire humblement
Ce que je veux lui dire,
Je ne sais trop comment.
Quand vient l’automne
Et que mes branches ploient sous la foison des fruits,
Je les offre aux humains,
Puis quand commence à tomber ma parure,
Quand la neige me fait une fourrure épaisse,
J’étreins très fort le sol de toutes mes racines
Afin que la tempête
Ne puisse m’arracher à mes assises,
Et d’année en année je porte plus de fruits
Et chaque année je veux en donner davantage.
Je chéris les enfants balancés dans mes branches,
Portant le foulard rouge
Qui parle d’un drapeau.
Et je chéris aussi les jeunes filles
Dont les pieds blancs parcourent mon feuillage,
Poches, tabliers tout remplis de pommes,
Criant de joie, les joues en feu.
J’arrive alors à oublier les gens
Qui ont jeté des pierres
Dans ma boule de feuilles.
Je me souviens que le printemps passé
Deux jeunes gens se sont appuyés à mon tronc
Et se sont embrassés,
Que le garçon, joyeux,
Mit une fleur à son chapeau
Et partit en chantant.
Je suis un pommier tout près de la route
Que ne longe pas de clôture.
Ils sont rouges, mes fruits,
Ils flamboient dans mes branches.
Sers-toi, passant, on ne te dira rien.
Et si tu tiens à remercier quelqu’un,
Remercie la terre où j’ai mes racines,
Ce pays-ci qui nous berce tous deux,
Qui me nourrit, qui te nourrit aussi.
(Mihai Beniuc)
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Posted in poésie | Tagué: (Mihai Beniuc), arracher, assise, automne, épais, été, étreindre, bercer, bon, branche, clôture, commencer, comment, davantage, devenir, dire, donner, flamboyer, fleur, foison, fort, fourrure, fruit, humain, humblement, incliner, longer, neige, nourrir, nuée, offrir, parure, passant, paye, pommier, porter, printemps, racine, remercier, rendre grâce, rouge, route, savoir, se servir, sentir, sol, soleil, suc, tempête, tenir, terre, tomber, vénérer, verser | Leave a Comment »