Va, cherche dans la vieille forêt humaine
L’abri que je destine à ta vie incertaine.
Ne tremble pas trop quand le soir resserrera tes veines ;
Songe que les chairs fanées ne peuvent refleurir
Et garde aux coins de ta bouche pâle l’ombre d’un sourire.
Prends un bâton, si tu veux, et aussi une besace,
Marche, en suivant, le long des champs, la trace
Que font les bœufs qui s’en vont au labour
Et les enfants en quête des fleurs nouvelles de l’amour.
Tu trouveras peut-être l’amour sur ton chemin
Ou la mort, ou des pauvres qui tendront la main
Vers ton cœur ou bien vers ta gorge ;
Tu leur donneras ce que tu as, un morceau de pain d’orge,
Mais ils diront des injures
Et des larmes te viendront aux yeux d’entendre des paroles impures.
Ne pleure pas, lève la tête, les dieux,
Quand ils sont en exil, marchent encore dans les cieux.
Dérobe aux hypocrites ta noble nudité,
Sois pour eux la laideur, toi qui es la beauté.
Nous avons commencé, lorsque nous nous aimions,
Par nous conter sans fin toutes nos actions,
Nos rêves les plus fous et nos moindres pensées ;
Puis, des choses se sont dans le vague effacées…
Sans jamais nous mentir, nous ne disions pas tout,
Nous ne nous contions plus nos désirs jusqu’au bout,
Et la prudente peur vint des choses écrites.
Nous nous sentions tout près, tout près d’être hypocrites.
Puis, nous prîmes parfois un air indifférent,
Comme un masque divers qu’on quitte et qu’on reprend.
Et depuis, sans savoir, comme on se laisse vivre,
Notre âme à peine lue est close comme un livre.
1
Il n’est vraiment pas surprenant
Que le gâteau et le nanan
Ne se trouvent pas dans mon plat
On m’ fait du plat
J’ fais ma mijaurée
Et j’ reste dans la purée
Avec mes deux yeux
Pour pleurer dans ma chemise
Sans être prise
Par mon amoureux.
2
Il n’est vraiment pas surprenant
Que d’autres aient beaucoup d’amants
Elles sont gentill’s avec eux
Ces vaniteux
Les croient sur paroles
Dans leurs bras ell’s devienn’nt molles
Et pour un baiser
Elles donneraient leur vie.
Je les envie
Sans pouvoir oser.
3
Il n’est vraiment pas surprenant
Que j’adore tous les enfants
Que leurs cris me fass’ palpiter
Mais ma bonté
Comme je la cache
Et comm’ je joue à cach’-cache
Avec le bonheur
Je suis une vieille fille
Pas très gentille
Pleine de rancoeur.
4
Il n’est vraiment pas surprenant
Qu’avec mon caractèr’ méchant
Je reste seul dans mon taudis.
À ce qu’on dit
Je suis hypocrite.
(le manuscrit s’arrête là)
(Robert Desnos)
Recueil: Les Voix intérieures
Traduction:
Editions: L’Arganier
Pareil effacement (le nôtre) ici, également, est exigé.
Quelles traces, qui ne se brouillent ?
Quel itinéraire, qui ne se perde dans le labyrinthe de la lecture ?
Parole hypocrite (la mienne) qui ne s’accepterait comme seuil.
Qui n’aurait autre but que de faire le silence.
Des débris, des miettes.
Le souffle du poème, le vertige de la phrase balaient glose, arguties.
L’intelligence est décimée.
Miraculeusement, la nuit elle-même éclairant
(insaisissable, muette évidence),
chaque poème, chaque phrase est Tout.
J’ERRE au fond d’un savant et cruel labyrinthe…
Je n’ai pour mon salut qu’un douloureux orgueil.
Voici que vient la Nuit aux cheveux d’hyacinthe,
Et je m’égare au fond du cruel labyrinthe,
O Maîtresse qui fus ma ruine et mon deuil.
Mon amour hypocrite et ma haine cynique
Sont deux spectres qui vont, ivres de désespoir ;
Leurs lèvres ont ce pli que le rictus complique :
Mon amour hypocrite et ma haine cynique
Sont deux spectres damnés qui rôdent dans le soir.
J’erre au fond d’un savant et cruel labyrinthe,
Et mes pieds, las d’errer, s’éloignent de ton seuil.
Sur mon front brûle encor la fièvre mal éteinte…
Dans l’ambiguïté grise du Labyrinthe,
J’emporte mon remords, ma ruine et mon deuil…
L’Autre :
Celui d’en face, ou d’à côté,
Qui parle une autre langue
Qui a une autre couleur,
Et même une autre odeur
Si on cherche bien …
L’Autre :
Celui qui ne porte pas l’uniforme
Des bien-élevés,
Ni les idées
Des bien-pensants,
Qui n’a pas peur d’avouer
Qu’il a peur …
L’Autre :
Celui à qui tu ne donnerais pas trois sous
Des-fois-qu’il-irait-les-boire,
Celui qui ne lit pas les mêmes bibles,
Qui n’apprend pas les mêmes refrains …
L’Autre :
N’est pas nécessairement menteur, hypocrite,
vaniteux, égoïste, ambitieux, jaloux, lâche,
cynique, grossier, sale, cruel…
Puisque, pour Lui, l’AUTRE …
C’est Toi